Moïse, sauvé des eaux et recueilli par la fille du pharaon, va grandir dans un milieu favorisé. Quand il comprendra d’où il vient, il sera écartelé entre le monde dans lequel il a grandi, la cour de pharaon, et son peuple d’origine. Devenu adulte, il tue un Égyptien pour défendre un frère hébreu dont il se sent solidaire. Obligé de s’enfuir, devenu paria, il fait l’expérience d’un cuisant échec et de l’ingratitude de ceux qu’il voulait aider. Il a certes manifesté sa solidarité avec son peuple mais à la force de ses poings, sans se relier à Dieu.
C’est dans le désert de Madiane qu’il va alors se poser et faire l’expérience dans le passage que nous avons entendu que le Ciel l’espère. Dieu l’appelle après qu’il ait fait un détour pour voir de plus près ce phénomène étrange d’un buisson qui brûle sans se consumer. « Dieu, voyant que Moïse avait fait un détour l’appela du milieu du buisson ». Ce détour, au creux du renoncement, est le signe que Moïse est resté en éveil. Certes il a renoncé à ses illusions mais il n’a pas renoncé à sa quête de sens. Quel sens ce buisson qui brûle sans se consumer ?
Moïse a un feu en lui. Il reste que ce feu est à convertir en force, en chaleur , en lumière et en amour; non un feu qui détruit mais un feu divin qui donne force, courage pour une mission que l’on ne s’attribue pas à soi-même mais qui est donnée par Dieu lui-même. Pour Moïse, sa mission, c’est mener son peuple en terre promise, en terre de liberté. Pour cela tout un chemin qui passe par le désert. D’où l’importance de connaître la destination. Pourquoi Moïse est mort avant d’avoir pu arriver en terre promise ? Pour moi, la terre promise, Moïse, à sa mort, y était déjà. La terre promise, c’est précisément ce que l’Écriture décrit quand elle affirme que Moïse parlait à Dieu comme un ami parle avec un autre ami. La terre promise, c’est le Ciel, c’est l’intimité de la terre et du Ciel. Savoir où l’on va, permet de garder le cap et de comprendre l’urgence de la conversion. La destination est tellement belle qu’il ne faut pas se perdre en chemin, regarder en arrière, regretter les oignons d’Égypte, récriminer comme si Dieu ne nous soutenait pas quand nous traversons nos déserts.
Pour le texte de l’évangile de ce troisième dimanche de carême, deux faits divers : l’affaire des Galiléens que Pilate avait fait massacrer et les dix-huit personnes tuées par la chute de la tour de Siloé ? C’est chacun d’entre nous que menace le glaive de Pilate, sur chacun que la tour peut en tout temps s’effondrer. Jésus ne donne ni explication, ni justification. Il invite simplement et fortement à la conversion, pour ne pas périr. Puis, il raconte lui-même la parabole du figuier qui ne porte pas de fruits. On devrait le couper, il épuise la terre, c’est un parasite. A la demande du jardinier, l’arbre, symbole de l’homme reçoit une dernière chance: « Maître, laisse-le encore cette année, le temps que je bêche autour pour y mettre du fumier ». C’est quoi le fumier ? Dans une interprétation spirituelle, c’est ce qui permet une transformation que Dieu opère à partir de la reconnaissance de ce qui est en moi est à convertir. D’une manière très abrupte, Saint Paul dans le chapitre 5 de sa lettre aux Éphésiens, invite ses lecteurs à imiter Dieu, à se conduire en enfants de lumière. Comment imiter Dieu? Curieusement, il fait la liste de tout ce qui défigure l’être humain: fornication, impureté, cupidité, grossièretés, inepties, facéties. Ce sont les actes mauvais que nous posons ou que nous pourrions poser d’une manière ou d’une autre, les actes dont nous ne sommes pas fiers, constituent un premier niveau, celui des actes mauvais. Pour Saint Paul, nous ne sommes plus prisonniers de ces actes mauvais. Quand tout cela est dénoncé, dit Saint Paul, tout ce qui est mis au jour est lumière. Est-ce les actes mauvais qui deviennent lumière? Certes non! Que veut dire quand tout est dénoncé? Que peut signifier cette expression? Si l’on prend l’expression dénoncer au sens de nommer, on comprend mieux qu’il s’agit de mettre à distance les maux, le mal dont je souffre, le mal que je fais. Les mots posent mes ténèbres dans l’altérité. Ils me permettent de reconnaitre ce qui est acte mauvais, établir ainsi ma responsabilité et convertir ma façon d’agir. Dans ce discernement, je suis amené à nommer ce que j’appelle mon malheur, c’est à dire ce qui relève de la violence reçue, la violence que je peux tourner vers les autres et vers moi-même et qui peut prendre la forme de la culpabilité, de l’angoisse, de la lassitude et de la désespérance. Trouver les mots pour dire ses ténèbres, les mettre à distance pour les regarder et espérer la miséricorde de Dieu, discerner d’une part ce qui est de mon fait, de ma responsabilité et d’autre part, ce qui vient du mal subi, c’est passer de la fausse culpabilité, poison de l’âme, au repentir, chemin de confiance et de libération en Dieu. « Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir, sinon tu le couperas ».
Le figuier stérile n’est pas maudit ici, mais il a usé jusqu’à l’extrême la patience du propriétaire. Qu’on bêche autour de lui, peut-être, donnera-t-il du fruit. C’est une grâce ultime qu’il n’a pas méritée : une grâce qui ne produit pas automatiquement du fruit mais que l’homme, doit faire fructifier en collaborant avec la grâce. Certes, il est important de savoir quel arbre nous sommes, quels fruits nous allons donner. Pour la conversion qui nous est demandée en ce temps de carême, il est nécessaire de savoir les lieux de conversions sur lesquels il nous faut travailler. En fait, dans quelle partie de nos vies, nous produisons des fruits amers ou dans quels domaines, nous pourrions donner du fruit et nous ne le faisons pas. Cette simple remise en question est justement le creuset où notre humilité peut se développer. Humblement, nous appelons l’Esprit Saint pour qu’il simplifie notre terre intérieure, chasse l’amertume, empêche toute récrimination et divisions comme pour le peuple Hébreux dans le désert. Cela ne doit pas nous prendre quarante ans à tourner dans nos déserts. En effet, Christ, par sa croix a visité tous nos péchés et nous livre l’Esprit dans tous ces lieux arides pour que nous donnions du fruit et Il nous prépare ainsi à la lumière de Pâques.
Le chrétien est celui qui sait descendre dans son cœur et y demeurer pour vivre en contact avec la racine de son agir. Il sait que la racine des déséquilibres et des injustices est à chercher par-dessus tout dans le cœur de l’homme. Il arrête de s’en prendre d’abord aux circonstances et aux autres. Il sait qu’il n’y aura pas de changement profond dans sa vie sans un changement de son cœur. Bref il croit vraiment dans sa vie concrète à la puissance du Royaume de Dieu qui est au-dedans de nous comme à son revers qui est la puissance destructrice du péché même le plus caché. Il cherche à être au clair sur lui-même, sur sa confiance en Dieu et sur l’intention profonde qui l’anime. Il ne se contente pas de prendre conscience de ses émotions, mais il sait s’éprouver lui-même dans ce qu’il porte au plus intime de lui-même. Là est la vraie connaissance de soi : « Examinez-vous vous-mêmes pour voir si vous êtes dans la foi. Éprouvez-vous vous-mêmes. Ne reconnaissez-vous pas que Jésus Christ est en vous? A moins peut-être que l’épreuve ne tourne contre vous. » (2Co 13, 5).
Bmg