Jean était venu « rendre témoignage à la Lumière, il n’était pas la Lumière. » (Jean 1. 7) Jean-Baptiste n’est pas lumière. Pourtant Flavius Joseph, historien non chrétien contemporain de cette époque en parle dans des termes dithyrambiques, décrivant des foules immenses affluant vers le désert du Jourdain pour l’écouter. Son succès a été foudroyant. On comprend mieux cette délégation officielle des prêtres et lévites envoyés par les pharisiens. C’est une visite quasi canonique. Les autorités religieuses cherchent à voir clair et ils chargent donc cette délégation d’enquêter et de faire un rapport. Jean-Baptiste désignera Jésus comme la source de toute lumière quand le Ciel s’ouvrira et lui confirmera qu’il est la lumière née de la lumière.
Pourquoi un précurseur ? Pourquoi, Jean-Baptiste qui n’est pas la lumière doit préparer la venue de la lumière ? Il nous donne les outils pour reconnaître en Jésus la lumière. Christ-lumière est à chercher dans nos vies, et plus particulièrement dans notre vie intérieure. C’est tout le message de Jean le Baptiste. Il nous exhorte à éliminer de nos vies tout ce qui pourrait être un obstacle à la lumière.
Jésus-Christ est celui qui vient réaliser la promesse de la nouvelle Alliance. Il va intervenir une fois pour toute pour établir le Règne de Dieu, temps de justice et d’amour véritables. C’est là l’espérance d’une nouvelle terre et de nouveaux cieux. Voilà l’espérance d’Israël mais cela a été également sa difficulté à reconnaître en Jésus le Messie. Pensez donc ce Messie qui serait venu n’a rien réglé ! Bien sûr, de son vivant, il a donné des signes de puissance, son enseignement a fait autorité, surtout quand il annonçait la délivrance aux opprimés et la Bonne Nouvelle aux pauvres. Alors pourquoi le juste doit-il continuer à souffrir, pourquoi l’innocent doit-il subir la violence, encore et encore ? Cette question-là est essentielle. En ce temps de l’Avent, nous sommes invités à ne pas lâcher cette interrogation afin de mieux comprendre comment Dieu nous sauve. Le chemin que nous avons à aplanir, c’est notre humanité assumée. C’est ouvrir nos yeux et nos cœurs à la nouveauté sans cesse renouvelée de la personne du Christ quand Jean-Baptiste nous donne de le contempler. Pour cela, il nous faut cesser d’être tortueux, renoncer à utiliser la raison raisonnante qui est experte en l’art d’étouffer, d’occulter et de camoufler, la Lumière véritable. Nos cœurs désencombrés pourront alors devenir cœur de chair vive. Dans ces trois mots, toute l’anthropologie biblique. Le cœur, c’est l’âme, au sens de la psychê, la chair, c’est le corps au sens large du terme, en lien avec notre psychisme. Qu’est-ce qui est vif en nous, sinon notre esprit ? Dans son magnificat, Marie dit : Mon âme exalte le Seigneur, et mon esprit s’est réjoui en Dieu mon sauveur (Luc 1, 46, version Darby). Son intelligence, sa psychê, son âme exprime la grandeur de Dieu et son esprit est dans la joie (ce dernier, par son intuition, a été plus rapide que l’âme pour réagir à l’annonce de la bonne nouvelle). L’esprit humain comprend plus vite que la psychê. L’apôtre Paul fait souvent référence à l’esprit de l’homme (1 Corinthiens 2, 11 ; 14, 14) : Je prierai avec mon esprit, mais je prierai aussi avec mon intelligence, je chanterai avec mon esprit, mais je chanterai avec mon intelligence… Que tout votre être, l’esprit, l’âme et le corps soit conservé irrépréhensible, pour le jour où notre Seigneur apparaitra. (1 Thessaloniciens 5, 23)
L’homme est composé de trois parties : le corps, par lequel nous prenons conscience du monde, l’âme (notre personnalité́) qui nous donne conscience de nous-mêmes ; et l’esprit, par lequel nous communions avec Dieu. L’esprit, l’homme intérieur est plus profond que l’intelligence (pensée, connaissance, imagination), l’affection (sensibilité́, plaisir, émotion) et la volonté́ (désir, décision). Dans un schéma composé de cercles concentriques, le corps est place à l’extérieur, l’âme, puis l’esprit au centre. Souvent inconscient, l’esprit est le plus difficile à connaître, mais il nous parle si nous savons l’écouter. Comme l’âme, l’esprit a ses pensées, ses sentiments, ses désirs et sa volonté́ propre. Il a ses fonctions, sa sensibilité́ : la conscience morale, l’intuition, la communion. Le chemin spirituel est une voie d’intériorisation qui nous conduit vers les profondeurs de notre être : c’est là que nous rencontrons Dieu en vérité́ en même temps que nous nous trouvons nous-mêmes. Le cœur profond est ainsi à la fois le lieu de notre plus grande intimité, le sanctuaire de notre conscience, mais aussi l’espace où l’Amour de Dieu demeure. Ainsi plus je me fais proche de Dieu en moi, plus je deviens vraiment moi-même. De la même manière que le corps est l’interface avec le monde physique, que le psychisme est l’interface avec le monde des sujets, l’esprit lui est l’interface avec le monde divin. Dieu nous connecte avec la dimension spirituelle de notre être. C’est dans le domaine spirituel non déconnecté́ avec le reste qu’il nous faut mettre notre centre de gravité́. Ce domaine n’est pas évident. Cette intériorité́ dite spirituelle est différente de l’intériorité́ physique ni même de l’intériorité́ psychologique. L’intériorité́ spirituelle est spécifique. Elle n’est pas en soi une capacité́ naturelle propre à l’homme. Elle prend naissance dans la liberté́ de la personne qui se décide pour cet au-delà̀ de lui-même. C’est dans cette intériorité́ que se vivent la foi et l’espérance, c’est dans cette intériorité́ que grandit notre capacité́ à aimer. Si cette intériorité est délaissée, abandonnée, elle se rétracte et devient incapable de vivre cet au-delà̀ de soi. La vie spirituelle s’étiole alors. Le cantique de Marie, au milieu de ces textes liturgique est bien une prière d’action de grâces, joyeuse et spontanée et non une méditation. Elle n’a pas besoin de chercher ce qu’elle va dire, les paroles de l’Écriture, si souvent méditées par elle et surtout depuis l’Annonciation, lui viennent tout naturellement au moment de la Sainte Rencontre avec sa cousine Élisabeth. Elle s’était préparée à la venue de ce Fils dont elle ne mesure pas encore tout le mystère. Cependant son esprit, à la salutation de sa cousine est rejoint par l’Esprit Saint. Éclate alors la joie du Magnificat ! Joie ! quelle joie ? La joie immense, au-delà de l’émotionnel ou l’égocentrisme. Cette joie est libératrice parce qu’elle exprime une réalité intérieure faite de paix et de sérénité parce qu’elle jaillit de la réciprocité d’une rencontre de vérité et d’amour.
Marie exprime aussi dans son magnificat un renversement des valeurs. La Bonne Nouvelle du Christ contredit l’échelle des valeurs humaines. Ce n’est ni la réussite ni le pouvoir. Les vraies valeurs s’appellent les pauvres, les prisonniers, les affamés de pain et de justice. Toute la mission du Christ consistera à guérir, libérer, remettre dans la vie ceux qu’ils rencontrent et qui s’appuient sur Lui. Hier et aujourd’hui, Christ ne cesse de remettre dans la vie ceux qui peinent sur leur chemin de vie. Hier et aujourd’hui, Christ vient dire l’Amour du Père en nos vies. Hier et aujourd’hui, Christ vient nous dire notre finalité, l’Éternité de Dieu. Dieu en Jésus-Christ nous sauve radicalement. Christ vient prendre la déchirure de notre propre mal non pas pour nous y laisser mais pour y transfuser sa vie. Déjà maintenant nous avons à accueillir les semences de résurrection. Depuis la Passion et la Résurrection de Jésus, rien n’est plus comme avant. Plus jamais seul. Nous pouvons être en dialogue au cœur même de notre vie intérieure avec celui qui nous sauve de nos peurs, peur de nous-même, peur des autres, peur de Dieu. Le Précurseur, Jean le Baptiste annonce Celui qui vient, il annonce une révolution, celle de l’Amour de Dieu qui vient établir le Règne de Dieu non pas dans une théophanie extérieure à nous-mêmes mais une théophanie qui passe par le silence de la crèche, par le silence de notre propre cœur. Dieu veut passer par notre consentement, par notre liberté.
Nous avons été baptisés dans le feu et l’esprit Saint. Dieu a touché notre cœur, il est passé par notre intériorité.
En ce dimanche de gaudete, accueillons la joie de Dieu dans notre intériorité, pour qu’elle puisse rayonner, en nous, entre nous pour le monde qui souffre et qui continue à attendre une nouvelle terre, des Cieux nouveaux. C’est cette puissance de la vie de Dieu, sa puissance de salut que nous sommes venus chercher dans l’Eucharistie, pour nous, pour la communauté que nous formons, pour le monde. Béni soit Dieu !