La scène se passe en 730 avant Jésus Christ. Le roi de Juda, Achaz, est dans une situation inextricable. Ses ennemis des royaumes du Nord, de Samarie et de Damas, sont prêts à envahir son pays. Par ailleurs, il n’a pas d’héritier ou plutôt, il a sacrifié aux Dieux païens son propre fils. Mais pour lui, tout horizon reste bouché. Alors, il n’envisage plus qu’une solution : l’alliance avec l’Assyrie, le puissant royaume du Nord, pour pouvoir prendre en tenaille, si besoin est, ses ennemis de Syrie et d’Israël. C’est alors que Dieu envoie son prophète Isaïe pour lui dire : « Demande un signe ». Le roi Achaz est tout le contraire de ce qui plaît au Seigneur. Il a sacrifié son fils unique aux Baals pour obtenir leur protection contre le roi de Syrie et celui de Samarie qui seront anéantis par les terribles Assyriens. Isaïe lui livre un oracle, celui du Seigneur : « Voici que la vierge est enceinte, elle enfantera un fils, qu’elle appellera Emmanuel (c’est-à-dire : Dieu-avec-nous). »
Le mot Alma en Hébreux est traduit en grec par Parthénos par la Septante. On passe donc de la jeune femme, Alma à la vierge, Parthénos. Je suis touché par l’action de l’Esprit Saint qui va jusqu’à mettre sa touche sur le détail d’un mot. Cette petite trahison de sens va ouvrir une perspective sans renier l’interprétation historique et littérale de l’oracle d’Isaïe. Le contexte historique, c’est celui de la naissance d’Ézéchias. Ézéchias, fils d’Achaz et de son épouse, va être un roi qui plaît à Dieu. Les événements seront en faveur de Juda. Dieu sauvera Juda de la barbarie des Assyriens. Ézéchias n’est pas pour autant le Messie. La promesse de l’Emmanuel se fera en deux temps : le temps de l’histoire immédiate et le temps de Dieu, l’avènement du Messie.
C’est bien plus tard qu’une Vierge enfantera l’Emmanuel, Dieu parmi nous. C’est l’Évangile d’aujourd’hui. Luc raconte. Il est l’évangéliste qui met le plus l’accent sur l’action de l’Esprit Saint. Lors de l’annonciation à Marie, l’ange donne à l’Esprit Saint toute sa place : « L’Esprit Saint viendra sur toi et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre. C’est pourquoi celui qui va naître sera saint, il sera appelé Fils de Dieu ». Le récit de l’Annonciation se termine sur ces mots de Marie: « qu’il me soit fait selon ta parole ». Marie invite le Seigneur, s’il le désire, à entrer au cœur de sa vie et à laisser l’Esprit Saint faire grandir en elle le mystère annoncé par l’ange. « Si tu le désires, alors que ton projet prenne naissance en moi et qu’il grandisse ».
C’est à partir de ce moment que l’Esprit saint va œuvrer intensément et en elle au-delà d’elle. D’abord travail intérieur d’enfantement en Marie qui accueille le Verbe dans son cœur puis dans son corps par son total consentement : accueil plénier d’un amour parfait. Tout au début du récit, l’ange s’adresse ainsi à Marie. « Sois sans crainte, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. Voici que tu vas concevoir et enfanter un fils ; tu lui donneras le nom de Jésus. Il sera grand, il sera appelé Fils du Très-Haut; le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ; il régnera pour toujours sur la maison de Jacob, et son règne n’aura pas de fin. » Le fiat de Marie, c’est-à-dire l’ouverture totale de son cœur au projet de Dieu est fondamental quant à la suite des événements. A l’Annonciation, elle dit oui à la grandeur de sa mission. Elle dit oui à ce qui pourra advenir. Elle aura à dire oui au recouvrement au temple dans l’arrachement qu’elle et Joseph auront à faire quand ils entendront Jésus âgé de douze ans leur dire : « Ne saviez-vous pas que je dois être aux affaires de mon Père. » Elle aura à dire oui dans un paroxysme de souffrance au pied de la Croix. Son oui total à l’Annonciation la soutiendra pour tenir debout devant la souffrance de son Fils. « Stabat mater ! »
Avant son fiat, Marie pose une question non sur le fond de l’annonce mais sur sa modalité. « Comment cela va-t-il se faire, puisque je ne connais pas d’homme ? » Marie a été bousculée par la Parole angélique. Cependant, Marie ne doute pas de la Parole que Dieu lui adresse par le message de l’ange mais elle cherche à comprendre les moyens de cette conception. La réponse de l’ange est une invitation à faire confiance à Dieu jusqu’en les moyens mises en œuvre, c’est comme si l’ange lui disait : « Ne considère pas l’ordre de la nature et ne recherche pas le sens littéral de cette merveille que je t’annonce, l’Esprit Saint viendra sur toi »…-et si j’ose dire « basta ». L’ange donne aussi un signe, le signe « d’Élisabeth attendant un enfant » ? Pourquoi ce signe ? L’Esprit Saint œuvre en Marie mais aussi à travers elle. C’est le sens de l’envoi vers sa cousine Élisabeth. La grâce qu’elle a reçue ne reste pas enfermée, elle a pour nature de se communiquer.
L’esprit Saint qui travaille en elle est source de joie : une joie qui rayonne. L’Esprit Saint est à l’œuvre, c’est l’Esprit Saint qui a recouvert de son ombre Marie, c’est encore lui qui l’a conduite en hâte vers sa cousine Élisabeth, c’est l’Esprit Saint qui a fait tressaillir l’enfant en Élisabeth, c’est l’Esprit Saint qui fait prophétiser Élisabeth, c’est l’Esprit Saint qui procure à ces deux futures mamans une joie qui dépasse tout.
Cette allégresse venue de l’Esprit Saint exprime un bonheur en Dieu, envahissant tout l’être, corps compris et cela dans la sobre ivresse de l’esprit Saint.
« Comment m’est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur ? »
Que rayonne sur nous, comme a rayonné sur Marie, l’action de l’Esprit Saint. Que le mystère de Jésus qui a grandi en Marie nous enveloppe de sa beauté et vienne toucher en nous l’enfant intérieure, innocent, éternel et sacré qui reste vivant en nous et qui ne demande qu’à grandir.
Marie est pour nous comme un appel au rayonnement de notre vie intérieure.
Marie s’en va pour accomplir une mission, une évangélisation. L’Enfant qu’elle porte, elle doit le porter aux autres. C’est une sorte d’extase, une sortie de soi, tout le contraire d’un renfermement sur son propre vécu spirituel. Marie est donc saisie dans la mission de Jésus !
Marie goûte déjà la fécondité de sa mission associée à la mission de Jésus.
Nous aussi notre fécondité spirituelle est cette plongée en nous même, non pas un repli introspectif sur nous-même, non pas de l’introspection qui ne mène qu’à nous-même mais bien plus que cela, un mouvement de notre propre esprit porté par l’Esprit saint qui vient rayonner autour de nous toute la beauté intérieure que Dieu a mise en nous.