Mieux comprendre qui est sur la Croix, voilà le sens de la liturgie de ce vendredi saint. Qui est celui qui a porté la Croix, qui est celui qui a été cloué sur la Croix ? Il est l’un d’entre nous,  il est celui qui a pris notre humanité, celui qui a pris notre humanité blessée, celui qui nous comprend, qui nous rejoint jusque dans nos blessures. Il est plus que cela. Sur la Croix, il est celui qui porte dans ses entrailles, au fond de lui-même la Vie qui s’est avérée inattaquable, imprenable.

Qu’elle est cette vie inattaquable ? Elle est celle de Dieu !  Dans quelques jours, à Pâques, nous fêterons la Résurrection, nous fêterons la vie en Dieu plus forte que la mort,  l’Amour en Dieu plus fort que la haine. C’est dans cette visée, dans cette perspective que nous allons faire mémoire, de cette vie en Dieu capable de traverser la mort. Entrons dans ce mystère du Calvaire, entrons dans ce chemin où Dieu, en Christ porte notre souffrance, nos humiliations pour que nous les traversions avec Lui.  Pour nous aider dans cette traversée, deux liens possibles du récit du texte qui vient d’être proclamé avec deux récits racontés dans le même évangile.

D’abord, le miracle de Cana où Jésus a changé l’eau en vin.  A Cana jésus dit à sa mère qui intercède pour les mariés qui n’ont plus de vin à offrir: « Femme, qui y-a-il entre toi et moi ». Le mot femme est prononcé une deuxième fois et seulement une deuxième fois dans l’Évangile de Jean. Sur la croix, Jésus confie sa mère au disciple bien-aimé : « Femme voici ton Fils ». Ce qui se vit sur la Croix, c’est l’accomplissement d’un amour fou dont le banquet de Cana en était les prémisses. Christ épouse l’humanité blessée. Au pied de la Croix se vit les épousailles de Dieu et l’humanité, du Christ et de l’Église mais aussi de l’amour divin qui désire épouser chacune de nos âmes. Dans la foi, la Croix est comme un puits. Jésus y dit « j’ai soif » pour la seconde fois.

La première fois, c’était avec une femme samaritaine qui se trouvait avec lui au puits de Jacob. Au fil d’une conversation qui devenait conversion, elle avait découvert que celui qui lui parlait était la source d’eau vive, le Messie. De la Croix jaillit la source d’eau vive car sur la Croix se trouve le Messie qui accomplit l’Écriture. « Tout est accompli ». L’évangéliste poursuit : « Puis, inclinant la tête, il remit l’esprit. » Le mot grec que nous traduisons par « il remit l’esprit », signifie littéralement : il donna, livra son Esprit. Comme pour les synoptiques, il s’agit de rendre Son Esprit au Père mais le mot grec utilisé nous invite à comprendre que c’est aussi à nous que déjà au pied de la Croix, il nous livre Son Esprit. Au cœur de nos croix il nous rejoint par son Esprit. Quel contraste entre nos vies rejointes par l’Esprit du Christ au creux de nos souffrances et la sobre ivresse de l’Esprit Saint vécue par les disciples à la pentecôte. Cependant c’est le même Don de l’Amour divin.

Tout est accompli, déjà sur la Croix. Les dépositaires de l’amour divin jusqu’à l’extrême de l’amour, ce sont Jean et Marie, c’est l’Église qui naît au creux de la souffrance de Jésus. Au pied de la Croix naît l’Église. Alors que « Tout est accompli », l’Esprit déjà jaillit sur Jean et Marie pour les étreindre. Ce baiser d’amour jaillit du côté ouvert, source de vie, où renaît tout homme sauvé de la mort et du péché. La prière maternelle de Marie conduit à la blessure qui révèle le Cœur de son Fils. Cette blessure et ce cœur guérissent et donnent la vie éternelle. Nos reniements participent à ce chemin qui crucifie Jésus et ce Vendredi Saint nous oblige à les regarder en face. La foule qui crie nous plonge dans la solitude de notre propre péché. Mais si nous savons rejoindre Marie et Jean jusqu’au pied de la Croix, nous pourrons dès maintenant boire à l’eau vive qui jaillit du Christ.