Marc, comme les deux autres synoptiques, raconte le baptême de Jésus par Jean-Baptiste dans le Jourdain. Le baptême de Jean est inspiré du baptême des prosélytes, appelés aussi « craignant-Dieu ». Le prosélyte-craignant-Dieu est un non-juif attiré par le contenu de la foi d’Israël et qui veut se convertir au judaïsme. On lui impose un baptême, c’est-à-dire une plongée dans l’eau comme étape vers la circoncision qui marque alors l’appartenance plénière au peuple d’Israël. C’est vrai que la foi d’Israël peut profondément toucher tous ceux qui sont en quête de vérité et de sens. On peut être attiré par la révélation d’un Dieu qui se fait proche, un Dieu qui aime et qui s’engage, par amour, dans une Alliance. En effet, Dieu s’était engagé à conduire, protéger, purifier, faire grandir son peuple dans une totale fidélité. En retour, Israël acceptait de suive la Loi, de s’en nourrir et de la respecter. Hélas, Israël est souvent infidèle. Se reconnaître pécheur, prendre conscience que le choix de mort est la plus grande tentation de l’être humain, demander pardon et vivre de ce pardon, voilà un préalable que l’on imposait aux prosélytes-craignant-Dieu. Le païen qui veut vivre de la foi d’Israël devait se laisser plonger dans la mort qu’est le péché et ressurgir à la vie. Jean-Baptiste adapte cette liturgie à tous ceux du peuple d’Israël qui viennent à lui pour ce baptême de repentance. Beaucoup accourent vers l’endroit où Jean baptisait, reconnaissent qu’ils n’ont pas été fidèles à l’Alliance et qu’il est urgent de se convertir, de se tourner vers la vie : refus donc de la mort et choix de la vie. Dieu est créateur certes, mais plus que cela : Il est le Dieu de l’Alliance qui s’engage par amour envers ceux qui le reconnaissent comme principe de vie.
Dire merci pour la vie au Dieu de la Vie, comprendre qu’Il aime et le prouve concrètement dans l’épaisseur du quotidien, donne les armes pour affronter la question du mal. Parfois, la vie semble engloutie par la mort. Parfois le sens de nos vies semble se dérober devant nous. Si la vie mène à la mort, pourquoi vit-on ? Accepter le Dieu d’Israël, c’est comprendre que Dieu n’a rien à voir avec la mort. Dieu n’a pas fait la mort affirme le livre de la Sagesse : « Dieu n’a pas fait la mort, il ne se réjouit pas de voir mourir les êtres vivants. Il a créé toutes choses pour qu’elles subsistent ; ce qui naît dans le monde est bienfaisant, et l’on n’y trouve pas le poison qui fait mourir. La puissance de la mort ne règne pas sur la terre, car la justice est immortelle. Dieu a créé l’homme pour une existence impérissable, il a fait de lui une image de ce qu’il est en lui-même. La mort est entrée dans le monde par la jalousie du démon, et ceux qui se rangent dans son parti en font l’expérience » Sg (1, 13-15 ; 2, 23-24). Être plongé dans le baptême de Jean, c’est reconnaître toutes les complicités avec le mal. C’est reconnaître son péché et accueillir de Dieu lui-même le sens de sa vie. Jésus s’est mis dans cette longue colonne de pêcheurs qui reconnaissent leurs péchés et qui font cette démarche de conversion. Mathieu précise que Jean-Baptiste apercevant Jésus dans la file s’étonne de sa démarche : « Moi, j’ai besoin que je sois baptisé par toi et tu viens à moi ! » La réponse de Jésus : « Pour l’instant, laisse faire ! » Jésus ne se dérobe pas à ce premier baptême. Il y rentre à l’égal des autres hommes, comme s’il avait besoin de reconnaître ses péchés, lui qui n’a pas pêché. Alors pourquoi cette démarche ? Quand Jésus va remonter des eaux de la mort, Dieu va déchirer les Cieux. Le baptême de Jésus, c’est déjà la vie au cœur de la mort. Voilà ce qu’exprime la théophanie qui s’ensuit : « Et aussitôt, en remontant de l’eau, il vit les cieux se déchirer et l’Esprit descendre sur lui comme une colombe. Il y eut une voix venant des cieux : « Tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie. » Dans la remontée de Jésus des eaux du Jourdain, est proclamée, comme par avance la victoire de la vie sur la mort. C’est ce que nous chantons à Pâque : « Mort, où est ta victoire ? Mort, où est ton aiguillon ? » (Première épître aux Corinthiens 15, 51-58).
En entrant dans les eaux du Jourdain, Jésus va purifier toutes les eaux et en particuliers tous nos fonts baptismaux. De nos baptêmes en Jésus, jaillit la vie même de Dieu. Le baptême de Jean a fait son temps. Il est périmé. Ce qui ne veut pas dire que nous n’ayons pas besoin de conversions. Lors du récit du baptême de Jésus par Jean-Baptiste, les quatre évangélistes comparent la descente de l’Esprit Saint à une colombe. Le Talmud de Jérusalem, commentant Gn,1, compare aussi cette présence de Dieu à une colombe : « L’Esprit de Dieu planait sur les eaux comme une colombe… » La colombe évoque aussi l’Alliance renouvelée avec Noé après le déluge. C’est bien une colombe qui revient avec une brindille pour indiquer que le déluge était fini et que la vie pouvait reprendre. L’amoureux du cantique des cantiques déclarant sa flamme à sa bien-aimée l’appelle « ma colombe au creux d’un rocher…ma sœur ma compagne, ma colombe, ma parfaite… » Or le peuple juif lit le cantique des cantiques comme la déclaration d’amour de Dieu à l’humanité. Nous sommes bien dans l’annonce d’une ère nouvelle, nouvelle création, nouvelle alliance. C’est bien ce qu‘avait annoncé Isaïe : nouvelle terre, nouveaux cieux : Don de l’Amour divin, réponse à la prière de Jésus. En effet, Luc précise que Jésus priait quand le Ciel s’est ouvert. Conséquence du Ciel qui se déchire : c’est la terre qui est transformée. Le croyant vit désormais sous le Ciel ouvert. Il reçoit à chaque instant la force invincible de l’Esprit Saint. Le ciel du cœur du croyant s’est ouvert car cette ère nouvelle tant espérée passe par chacun de nos cœurs.
Saint Augustin affirme que le cœur de l’homme est malade et compliqué. Accepter que l’Esprit Saint le guérisse et le simplifie est un long chemin. C’est une perspective qui s’ouvre à nous sur cette route d’une plus grande simplicité, mais aussi d’une plus grande authenticité.
« Tout le peuple se faisait baptiser … » Luc nous montre qu’il n’y a pas de vie chrétienne isolée. Un chrétien seul est rapidement un chrétien en danger. Le premier effet du baptême est justement de nous faire rentrer dans la famille des enfants de Dieu, et donc des frères de Jésus.
Le « vivre-ensemble » centré sur le Christ est libérant et guérissant. L’originalité de cette thérapie, c’est qu’elle est spirituelle. C’est le Christ lui-même qui est le thérapeute, moyennant des médiations. Avec notre consentement, Il nous emmène dans un chemin de simplicité, de transformation profonde de notre cœur. Ce chemin de conversion passe par nos communautés. Quelle communauté ? Celle qu’on idéalise ou la communauté réelle dans laquelle on vit : famille, communauté religieuse, communauté d’engagement, communauté paroissiale, d’Église …
Dietrich Bonhoeffer dans son livre « de la vie communautaire » à des paroles percutantes et éclairantes : « premièrement, la communauté chrétienne n’est pas un idéal mais une réalité donnée par Dieu et, secondement, la fraternité chrétienne est une réalité pneumatique et non psychique ». Bonhoeffer rattache la réalité pneumatique à l’action de l’Esprit Saint, dans le sens paulinien du terme. Saint Paul oppose le Pneuma à la sarcx, la chair. Ce que Bonhoeffer nomme réalité psychique ne concerne pas ce que nous rattachons communément au psychisme, dans les démarches empiriques de psychologie et de psychothérapie. Ce qu’il nomme réalité psychique, c’est la chair qui ne se reçoit que d’elle-même, c’est le moi sans alliance avec l’intériorité et la Transcendance. Une communauté composée d' »égos sans alliance » est une communauté livrée à la chair. Une communauté pneumatique est une communauté qui non seulement se reçoit de l’Esprit Saint mais qui a renoncé à l’illusion d’une communauté idéale. Renoncer à l’idéalisation de toute communauté, c’est accepter de se recevoir d’une autre perfection que de l’illusoire perfection humaine, mais plutôt de la perfection qui vient de la dynamique du Pneuma. La réalité pneumatique se fonde sur la Parole de Dieu révélée en Jésus-Christ, sur les grâces qu’Il a laissées à l’Église. Par contre, la réalité psychique ne se reçoit que des « égos » qui la composent et basée sur les désirs opaques du cœur de l’homme.
Le passage vers une communauté plus pneumatique se fait à travers un chemin de consentement au réel (des-idéalisation), de simplification (la confrontation à l’autre m’invite à arrondir les angles comme les galets qui s’entrechoquent sous l’effet de la mer), de purification de l’affectif, d’humilité. L’Eucharistie est le lieu source, sommet de la vie chrétienne pour cette transformation, guérison, simplification de nos cœurs, de nos vies, de nos communautés.