Si l’on compare Bartimée et le jeune homme riche, quel contraste :
Le nom du jeune homme riche n’est pas mentionné dans le récit. Dans l’anonymat, le jeune homme riche disparaît
comme il était apparu. Pour Bartimée, il n’en n’est pas de même. Non seulement son nom est cité mais on sait
qui est son père, Bar Timée voulant dire fils de Timée. Pour les contemporains de Luc, leur est adressée cette invitation : « Si vous voulez en savoir plus,
allez le trouver ou tout au moins ceux qui l’ont connu ». Le dénouement des deux récits est radicalement différent.
S’il fallait raconter la suite de la rencontre du jeune homme riche avec Jésus, il serait difficile
d’en faire un « happy end », « une heureuse fin ». « Il s’en alla tout triste » précise l’évangéliste.
Par contre, pour Bartimée, la fin est heureuse. « Aussitôt l’homme retrouva la vue, et il suivait Jésus sur le chemin ».
Où Jésus va-t-il ? Il monte vers Jérusalem. Pour la troisième fois, Jésus a annoncé sa Passion :
« Le Fils de l’homme est venu non pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon (libération)
pour la multitude ». Jésus s’apprête à rentrer dans la nuit de Gethsémani et dans les profondes ténèbres de sa Passion.
Lui, la lumière est confronté aux ténèbres. « Il nous faut réaliser l’action de celui qui m’a envoyé,
pendant qu’il fait encore jour ; déjà la nuit approche, et personne ne pourra plus agir. Tant que je suis dans le monde,
je suis la lumière du monde. » Lumière et ténèbres se confrontent. Amour et haine, vie et mort s’affrontent.
La guérison de Bartimée est déjà le symbole anticipé de la victoire de la vie sur la mort, de l’amour sur la haine.
Nous l’avons vu : Il est connu cet aveugle dans la première communauté chrétienne.
Combien de fois, a-t-on entendu le récit ? Combien de fois a-t-on raconté comment il avait bondi à l’appel de Christ
qu’il avait entendu du fond de sa nuit au creux de sa misère ?
Une misère capable de crier, de crier éperdument. Une misère aveugle et cependant, une misère
qui a perçu la présence de Jésus. Alors, Bartimée crie à pleine voix. On le rabroue, on lui demande de se taire.
Mais Jésus l’entend, l’appelle. Comment Bartimée a-t-il fait pour bondir, jeter le lourd manteau
et plonger dans la nuit qui ne le quitte jamais ? Il a contacté au cœur de sa nuit un désir :
le désir de voir, le désir de lumière. Nous aussi, au plus profond de notre cœur, parfois profondément enfouie,
réside un désir. Il existe en nous comme un pressentiment de la lumière. Le voyant, le croyant,
c’est celui qui sait discerner les lueurs de l’aube alors qu’il est encore dans la nuit.
Dans la souffrance de sa solitude, Bartimée a découvert la présence bienveillante du Seigneur à ses côtés.
Dieu, il le connaît. Il a fait cet apprentissage au cœur de sa nuit. C’est la raison pour laquelle,
il le reconnaît tout de suite quand Jésus passe sur le chemin. La bonne odeur de Dieu, ça ne s’oublie pas.
Pour lui, nul besoin d’un « va, vends tout ce que tu as » : il jette de lui-même son manteau, c’est-à-dire
tout ce qu’il a. Il renonce ainsi à ce qui faisait sa sécurité. Il abandonne sa carapace, ses protections,
ce qui l’abritait du froid de la nuit et du regard des hommes. Il se montre vulnérable et, lui, qui est aveugle,
marche vers Jésus avec assurance. Mais Jésus retarde un peu la guérison, car il veut que Bartimée recouvre
pleinement sa dignité. Il lui demande donc d’exprimer lui-même ce qu’il souhaite,
Jésus se fait serviteur de l’homme meurtri : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » « Seigneur, que je voie ! ».
D’une voix assurée, nous l’avons vu, debout, sans assistance, sans protection, il ne s’appuie que sur la parole de Jésus.
La Parole a dirigé sa marche, elle contient son espérance, elle opère à présent sa guérison.
L’homme, debout et parlant, est donc sauvé par la foi qu’il a mise en Jésus. « Va », sa dignité et sa liberté
lui sont rendues.
Comme Bar Timée, sachons reconnaître nos nuits :
- Nuit du monde, nuit des conflits actuels qui bouleversent et agitent l’actualité, nuit de l’épuisement de la terre.
- Nos nuits personnelles, familiales, professionnelles, relationnelles.
Comme Bar Timée, sachons suppliez : « Jésus, aie pitié ».
Comme Bar Timée, sachons écoutez l’appel de Jésus qui s’arrête et dit : « Appelez-le… »
Comme Bar Timée, sachons comprendre et exprimer notre vrai désir : « Fais que je vois »
Comme Bar Timée, renouvelons notre manière de vivre : « il chemina à sa suite »
Bar Timée va fonder sa nouvelle vie sur sa rencontre avec le Christ.
Fort de sa rencontre avec le sens de sa vie, il a trouvé sa route : la suite du Christ. Il a été touché au fond de son être.
Sa réponse à l’appel de Jésus est ce saut dans la foi si bien décrit par l’évangéliste : Au cœur de la suite du Christ,
il y a la rencontre vitale avec lui. Au cœur de cette rencontre, un don : celui de l’Esprit reçu dans une rencontre
personnelle avec le Christ. C’est ça qui permet de lâcher, de renoncer comme l’a fait Bartimée .
« Qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi la trouvera. »
Se perdre, se trouver, comment s’y retrouver ? Pour qu’un tel conseil puisse avoir un sens, il faut d’abord avoir gagné
ce qu’on nous demande de perdre. Il nous faut développer un « moi » suffisamment fondé et nous trouver
sur le chemin d’épanouissement de soi, avant d’être en mesure de prendre notre croix pour le suivre.
Sainte Thérèse d’Avila au bout d’un long parcours pour se connaître dans toute la profondeur de son être et dans un don
total d’elle-même à Dieu est capable de dire « Dieu seul suffit ». Quel chemin pour pouvoir le dire en toute authenticité !
« Si quelqu’un veut me suivre, qu’il se renie lui-même, qu’il se charge de sa croix et qu’il me suive1. » Luc 9,32.
« Se charger de sa croix » , c’est s’effacer devant plus grand que soi, c’est ne pas se dérober aux conséquences
de sa propre finitude, et ne pas s’y enfermer, ne pas la subir. « C’est accepter de traverser l’inéluctable, l’inachevé,
l’involontaire, l’imprévisible. » Tout à l’inverse du fatalisme qui subit cette finitude, faire le saut dans la foi
et dans l’expérience d’un amour guérissant et libérateur.
La suite du Christ, c’est tenter de ne pas subir cette finitude mais accueillir l’action de Dieu dans sa vie comme
une invitation à une traversée. Dans toutes les obscurités de nos vies, mises à la lumière, c’est crier « Que je vois ! »
Bmg