Spontanément nous cherchons le bonheur dans l’assurance que procurent l’avoir, le pouvoir et la reconnaissance. Jésus nous parle d’un bonheur, d’un autre ordre, un bonheur qui peut se vivre plus particulièrement au creux même de la pauvreté de cœur, de la détresse, de la soif de justice et de paix, du renoncement à entrer dans la violence de l’autre.

Prenons une image. On peut traverser le désert de Tunisie à pied pourtant l’eau que l’on peut emporter n’est pas suffisante. Les bédouins vous remettent une carte avec les points d’eau. C’est un ami prêtre qui a fait cette traversée qui me l’a racontée. Le point d’eau indiqué sur la carte n’est en fait qu’un endroit comme les autres dans une immensité de sable. Et oui, il faut creuser. Pour les béatitudes, il faut creuser et croire qu’en dessous, il y a de l’eau. Au début vous ne voyez que sable sec. Quelle joie et c’est quand vous commencez à ne plus y croire, quelle joie quand le sable que vous creusez devient humide. Quelques timides bouillons sabloneux arrivent. Vous êtes sauvés, vous allez pouvoir tamiser et vous désaltérer. Vous avez trouvé un peu du royaume des cieux. Les béatitudes sont des points d’eau sur une carte. Il nous faut creuser au cœur même de notre vie pour recevoir douceur, pauvreté de cœur, la consolation dans la détresse, la faim et la soif de justice, la miséricorde et la paix de Dieu. Pour soi bien sûr mais surtout pour l’autre.

La source des béatitudes est  « l’expérience amoureuse » de Jésus pour notre humanité blessée, lui qui « ayant aimé les siens qui étaient dans le monde les aima jusqu’au bout ». (Jn 13). Chaque béatitude est un trait de son propre Visage, un battement de son cœur pur et miséricordieux, de sa soif de justice,  pour ceux qu’Il appele ses frères ». Il est le persécuté qui pleure sur Lazare et sur les femmes de Jérusalem. De tous ces traits visibles sur son visage, rayonne le bonheur dont la source est le cœur même de Dieu.

Alors oui ! Ce bonheur est à chercher en Dieu, dans la foi. Ce que célèbrent les béatitudes, c’est le bonheur de Dieu de communiquer son propre bonheur. L’amour gratuit de Dieu, voilà la source des béatitudes. Cet amour ne reste pas enfermé dans un sanctuaire, il a pour nature de se communiquer, de transformer en profondeur les cœurs, de libérer de l’égoïsme, du retour sur soi, des velléités de puissance et de possession. Bref, c’est cet amour-là qui construit la communion.

En fait, c’est le Ciel qui rencontre la terre. La rencontre du divin et de l’humain, souvent blessé, nous désinstalle, nous sort de nous-mêmes. Être heureux du bonheur des béatitudes sur la terre, c’est recevoir le bonheur du Ciel, non au sommet de la montagne de notre superbe mais en creux, dans la vallée de nos dénuements. N’ayons pas peur de nos insuffisances, de nos frustrations, de nos humiliations, même de nos échecs. C’est tout cela que Dieu veut visiter. Nous sommes pauvres, pauvres en notre esprit propre, nous les épuisés du souffle; c’est précisément dans ce creux, cet espace disponible pour autre chose que nous-même qu’il nous faut accepter de recevoir le Royaume. Le Royaume, c’est le Christ et pour nous, accueillir le Royaume, c’est le suivre. Le Royaume des Cieux est là, au creux même de notre terre qui s’ouvre à la Présence de Dieu, à la logique du Christ pour lequel le mal n’a aucune adhérence, qui reçoit tout du Père.  Alors, pour nous, maintenant, en quoi est-ce vital pour nous?

Le Royaume maintenant, c’est ce qui nous est donné dans deux béatitudes dans la première et la dernière qui font inclusion, c’est dire leur importance.

Heureux les Pauvres de cœur, car le Royaume de Dieu est à eux…

Heureux ceux qui sont persécutés à cause de la justice, car le Royaume de Dieu est à eux…

C’est dire la place centrale du Royaume dans notre bonheur aujourd’hui. N’oublions pas qu’il se reçoit en creux, au creux de la « pauvreté du cœur » au creux de la « persécution pour la justice ». De creux en creux, vers des creux qui ne seront comblés que quand nous le verrons face à face

Toutes les autres béatitudes sont au futur. Il y a donc en plus du présent un futur. Les béatitudes ne sont pas toutes, réalisation immédiate ni même immédiatement réalisables. Elles sont promesses : « ils auront la terre en héritage, ils seront consolés ». Elles sont au futur. « C’est en espérance que nous sommes sauvés », dit saint Paul aux Romains (8. 24).

Le Royaume est là et il vient à nous, de notre avenir, du Christ qui est notre présent et notre avenir, du Christ qui s’est révélé il y a plus de 2000 ans mais aussi du Christ en gloire. Notre présent, la présence du royaume en nous vient de la résurrection du Christ. L’avenir de notre propre béatitude vient vers nous, vient à nous, vient en nous. À chaque instant, notre présent est visité par l’Esprit qui ne cesse de livrer en nous le Ciel en notre terre.

Bmg