« Je donne (aux brebis qui écoutent ma voix) la vie éternelle ». Quelle audace de la part de Jésus ! Une promesse qui dépasse toute mesure, toute prudence. Pensez donc la vie éternelle et dès maintenant ! Suis-je parmi les heureux élus, suis-je une brebis qui écoute la voix de Jésus, suis-je connu par le Seigneur, est-ce que j’ai reconnu sa voix ? Est-ce que j’essaie de le suivre ?

Dans le contexte du passage d’évangile d’aujourd’hui, la frontière entre ceux qui le rejettent et veulent le lapider et ceux qui écoutent sa voix est clairement définie. D’une part les autorités religieuses et d’autre part ceux qu’il a rencontrés sur la route et qui lui ont fait confiance. Sa parole les a touchés. Une parole efficace qui s’est fait geste de compassion pour rendre la vue aux aveugles et la santé aux malades. Ces hommes et ces femmes suivent Jésus parce que, par Lui, Dieu intervient concrètement au plus intime de leur cœur, de leur espérance, si bien qu’ils reconnaissent en lui l’Envoyé. Entre eux et ceux qui veulent tuer Jésus, s’élèvent de hauts murs, mur du mépris, mur de la peur, peur de l’autre dans sa différence, mur de la suffisance et de l’orgueil, mur de l’élitisme, c’est à dire l’illusion qui fait croire que l’on est mieux que les autres

Ces murs, ces séparations sont à l’extérieur de nous mais ils existent aussi à l’intérieur de nous. Le riche que je crois être ne veut pas voir le pauvre qui est en moi. Ne pas regarder le pauvre en soi, c’est nier sa propre pauvreté et ses incapacités à être présent aux autres et en particulier à ceux qui sont fragiles. Je peux vivre dans l’illusion d’être « bien » et me prétendre capable et juste. Et alors le vrai pauvre en moi s’efface et se dérobe au désir du Christ de le rassurer, de le fortifier, de l’aimer.

Le pauvre en moi a besoin de sécurité. S’il ose se tourner vers le Christ, il peut alors se réveiller et se mettre à vivre. Christ est alors sa vraie solidité. 

Je donne à mes brebis la vie éternelle, jamais elles ne périront, personne ne les arrachera de ma main…Et plus loin personne de les arrachera de la main de mon Père. L’expression évoque une vraie sécurité qui vient de Dieu lui-même capable de protéger les brebis qui écoutent sa voix.

Comment écouter la voix du Seigneur ? Le riche que nous croyons être, le pharisien en nous, est sourd. Il raisonne uniquement avec son mental, le cœur profond n’est pas touché. C’est le pauvre en nous, qui cherche Dieu, qui cherche à sortir de sa précarité, qui cherche à soigner sa blessure pour moins souffrir, qui rencontre le Seigneur parce qu’il sait que le Seigneur transforme son cœur à son image. 

N’avons-nous pas à nous réconcilier avec le pauvre qui, en nous, cherche à exister ? Mais l’image illusoire que nous avons de nous-même peut constituer un véritable bunker nous protégeant de notre insécurité, de nos précarités, de notre être blessé qui est le lieu de nos peurs, de nos réactions disproportionnées. J’avais été fasciné par la personnalité d’un homme handicapé rencontré à Trosly et décédée maintenant. Dans un reportage sur l’Arche, je le revois interrogé par une journaliste lui demandant si pour lui Jésus, c’était important. La regardant intensément, surpris par la question, un brun soupçonneux, vérifiant qu’il n’y a pas d’intrusion, il lui pose cette question. Pourquoi tu me demandes cela ? Finement, la journaliste répond qu’elle aimerait apprendre quelque chose de lui. Mis en confiance par la réponse, avec une conviction absolue, il lui répond : Jésus pour moi, c’est tout ! A travers sa fragilité, émanait de lui une force puisée dans le cœur même de Dieu. 

La personne fragile, dans une grande spontanéité, sans inhibitions dans des gestes simples et vrais peut nous rejoindre à travers notre carapace et de nous faire accepter cette partie de nous-mêmes que nous pensons pouvoir occulter. Tim Guénard, ne pourra jamais oublier ce qu’il a vécu dans une merveilleuse rencontre avec un jeune handicapé à l’Arche de Trosly. Tim était un dur de durs, un champion de boxe mais tellement blessé. Une carapace en béton le protégeait de son immense fragilité.

Un jeune handicapé s’approcha de lui et posa sa main sur son blouson de cuir à l’endroit de son cœur en lui disant: tu es gentil toi ? Tim ne s’était jamais posé la question. Dans les structures de rééducation où, enfant, il avait été placé, il se vivait comme un monstre. Depuis qu’il avait appris à cogner fort, il se pensait comme un Cador. Quant à savoir s’il était gentil, c’était en dehors de ses schémas. Qu’une parole, qu’un geste venant d’un être perçu comme extrêmement fragile capable d’une telle spontanéité, puisse transpercer la carapace de Tim, voilà un des nombreux miracles que Tim a vécus dans ce lieu. Une onction passant à travers la brisure si visible de ce jeune handicapé avait permis à Tim de commencer à se réconcilier avec ses propres brisures qu’il avait profondément enfouies.

La rencontre de la personne fragile et notre propre pauvreté occultée par le riche que nous croyons être est celle de deux pauvretés, la nôtre parfois enfouie dans le déni et celle plus visible de la personne handicapée, pauvretés capables de se parler, de se rejoindre et de se féconder mutuellement. C’est le mystère d’une merveilleuse rencontre, une véritable initiation mutuelle à la compassion. Les personnes en grande fragilité sont nos éveilleurs et nos guides capables de nous faire « accoucher » de nous-mêmes.

Lytta Basset abordant le sujet de la fragilité préfère le terme de fragilisation. Chaque être humain a, un jour, à se confronter à cette possible fragilité. Nous comprenons mieux qu’il n’y a pas d’un côté ceux qui sont normaux et ceux dont le « métier » est d’être fragile. Fragilité permanente et visible pour certains, fragilités en devenir pour d’autres, fragilités humaines souvent très visibles mais fragilité spirituelle moins évidente. Nous avons tous en commun cette fragilité de l’être. Notre vulnérabilité, c’est aussi le lieu d’une possible rencontre avec l’amour du Christ.

L’expérience d’amour et de miséricorde qu’elle vienne de Dieu, des autres est fondamentale pour croire que Christ nous livre déjà la vie éternelle. La victoire du Christ vient nous donner la sécurité dont nous avons besoin pour traverser les épreuves de la vie mais elle nous donne aussi les moyens de connaître Jésus, qui est tout. 

Bmg