Jean dans son évangile va choisir sept signes, actes de puissance qu’il faut déchiffrer pour en extraire le contenu théologique. Le premier de ces signes se passe à Cana. D’autres suivront : après la conversion de l’eau en vin (2,1-12), Jean raconte la guérison du fils du fonctionnaire royal (4,43-54), la guérison du paralysé de la piscine de Bethzatha (5,1-18), la multiplication des pains en Galilée (6,1-15), la marche sur les eaux du lac de Tibériade (6,16-211), la guérison d’un aveugle-né (9,1-41) et la résurrection de Lazare (11,1-41).
Jésus va opérer le commencement des signes dans le cadre de noces villageoises. Il y est invité avec Marie. Du temps de Jésus, la vie est difficile, la pauvreté est grande, le travail épuisant, les maladies et les guerres rendent précaire la vie quotidienne. Un mariage se fêtait pendant sept jours et se devait d’être réussi. Les fêtes étaient peu nombreuses, mais on les célébrait avec beaucoup d’enthousiasme et de joie. Elles apportaient de la fraternité et de la chaleur humaine dans un monde rempli de souffrances. Chez ces pauvres, pour qu’une fête réussisse, il fallait une forme d’extravagance, de surabondance et de folle libéralité, remède à la grisaille et à la dureté de la vie quotidienne.
Dans la routine souvent triste et ennuyante, les gens retrouvaient le sens positif du travail, de l’amour, de la naissance, de la communauté et de la vie. L’enjeu de réussite est donc primordial. Dans le mariage qui nous occupe, une catastrophe se profile, la fête risque d’être gâchée. « Ils n’ont plus de vin ! » Cette phrase que Marie adresse à son fils est une humble intercession, signe d’une vraie attention à ce qui se passe, d’une vraie compassion et d’une grande confiance en ce qui va se réaliser. Marie vit déjà l’alliance avec le monde divin. Sa prière confiante sera exaucée. Grâce à cette eau changée en vin, un simple repas de mariage prend une dimension d’éternité. Il est le signe d’autres épousailles qui auront lieu ailleurs et plus tard.
A Cana, Quand Jésus s’adresse à sa mère, il l’appelle « femme ». Le mot femme, Jésus ne l’adresse à sa mère que deux fois, à Cana et sur la croix. « Mon heure n’est pas encore venue. » La mention par Jésus de son heure qui n’est pas venue est un autre indice. Quand Jean parle de l’heure de Jésus, il désigne la Passion du Christ. Cela est confirmé par un autre indice. « Le troisième jour, il y eut un mariage à Cana de Galilée. La mère de Jésus était là ». La mention des trois jours renvoie au temps qui sépare la mort de Jésus et sa Résurrection. C’est bien de la Passion et de la Résurrection dont il s’agit. Ce qui est évoqué là, ce sont d’autres épousailles qui se consommeront sur la croix ! « Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. C’était à Cana de Galilée. Il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui ». Jésus fera de ce geste de puissance le symbole d’un autre signe, le signe de sa gloire. Comment concilier gloire et croix ? Le geste de puissance que Jésus va poser est un geste de gloire qui annonce et anticipe la victoire de Jésus sur la mort et le mal, au cœur même de son humiliation sur la Croix. Deux aspects du même visage, celui du Christ, à Gethsémani et sur la Croix d’une part et celui de la gloire du Christ déjà anticipé dans le geste de puissance de Jésus à Cana d’autre part. Comment percevoir sur le visage du Christ humilié la lumière de sa gloire? Comment dire au pied de la croix : « Tu es beau, le plus beau des enfants des hommes, la grâce est répandu sur tes lèvres, aussi tu es béni de Dieu à jamais »( ps 45,3). Une définition du mot gloire, celle de Dieu, m’a aidé à accepter cet écartèlement entre humiliation sur la croix et gloire de la victoire du Christ dans sa Résurrection. La gloire de Dieu, c’est le rayonnement de son amour. Au début du chapitre 13 de son évangile, Jean annonce solennellement la montée du Christ vers sa Passion.« Avant la fête de la Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde vers le Père, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’à la fin. » La note de la Bible de Jérusalem commente : « jusqu’à l’extrême de l’amour ». Sur la Croix le rayonnement de l’amour divin est allé jusqu’à la folie de la croix.
A Cana, ce qui est signifié, c’est l’homme transfiguré par la folie de l’amour de Dieu jusqu’à sa plus profonde blessure, celle du mal dont l’aiguillon est le péché ?
L’Église nous invite à méditer le premier miracle de Jésus. Un miracle qui est un signe et pas n’importe quel signe puisque Saint Jean le qualifie de commencement des signes. Commencement, c’est dire que Jésus inaugure un monde nouveau. A partir du moment où l’eau est changée en vin, le monde ancien est révolu, les noces de la terre deviennent le signe d’une réalité qui se comprend comme le symbole d’autre chose.
Le passage du livre d’Isaïe que nous avons entendu, prophétise, par l’image des épousailles, ce monde nouveau où Dieu épouse et assume notre humanité. Par de-là le banquet de Cana, le vrai banquet auquel Jésus participe, ce sont les épousailles de Dieu et de l’humanité, la Nouvelle Alliance. A celle-ci, l’eau de la purification ne suffit plus. Les 6 cuves de pierre sont bien utiles, mais elles prennent une autre destination. Pour le banquet des temps nouveaux, il faut du vin. Par son excès même, – 600 litres de vin capiteux -, il célèbre à l’avance la générosité sans mesure d’une vie divine qui ne demande qu’à se répandre avec surabondance. L’aspiration au bonheur et à la joie de vivre est reprise par un souffle nouveau qui l’emporte vers un avenir inespéré. La joie humaine de la noce éclate en une joie infiniment plus haute : la joie d’une vie divine qui se donne sans compter. Le signe de l’eau changée en vin nous fait passer d’une modeste noce de village à la grande transformation de l’univers, que Dieu veut accomplir en Jésus. Ce qui s’annonce ici, c’est bien la naissance de l’homme à la vie divine. Tout se retrouve dans ce signe. Les eaux primitives de la création, les cuves des ablutions rituelles du Judaïsme sont reprises, transfigurées dans le vin nouveau de la pleine communion de vie des hommes en Dieu. Le désir de bonheur et de vie, qui est au cœur de l’homme depuis toujours, est comblé. Il est étiré jusqu’au cœur de Dieu. Car seul Dieu peut donner ce qui est au-delà de nos forces : Sa Vie et Son Bonheur.
Savons-nous que tous nos actes ont une grande importance, qu’ils résonnent dans le cœur de Dieu positivement quand ils vont dans le sens de l’unité, de la communion. Tous nos gestes de division basés sur les désirs opaques de notre cœur et qui nous enferment dans notre ego ofait obstacle à l’amour de Dieu. Que nous prenions conscience quelle parole ou quelle absence de parole, quel geste, quelle attitude construisent la communauté et quels sont nos actes qui abîment, divisent l’unité. L’Eucharistie est le lieu même de cette saine et sainte remise en question. Qu’ainsi les énergies de l’Eucharistie puissent rejoindre et transformer nos vies et nos communautés.
Bmg