Le chapitre 10 de l’évangile de Jean développe deux images, celle de la porte de l’enclos de la bergerie et celle du bon pasteur. Jésus dans le passage qui précède se compare à la porte : « Moi, je suis la porte. Si quelqu’un entre en passant par moi, il sera sauvé ; il pourra entrer ; il pourra sortir et trouver un pâturage. » Dans le passage qui suit, Jésus s’identifie maintenant au bon pasteur : « Moi, je suis le bon pasteur ». Tout d’abord, abordons la question du Christ comme « porte ». Pourquoi Jésus s’identifie à la porte ? La fonction de la porte, c’est à la fois de s’ouvrir mais aussi de se fermer. Elle garantit une vraie sécurité mais aussi une vraie liberté. Tout d’abord la sécurité : j’ai besoin d’être en sécurité, j’ai besoin d’une porte qui me mette hors de danger, qui m’installe dans une grande assurance. Assurance, paresia en grec, c’est le mot qu’emploie St Paul pour nommer le fruit d’une intimité avec le Christ. Connaître Jésus, passer par la porte qu’il est, c’est être mis en sécurité car alors aucune effraction du voleur n’est possible. La brebis est en sécurité, c’est alors qu’elle est libre d’entrer et de sortir. N’est-ce pas la clef de ma liberté intérieure ? Plus ma liberté intérieure grandit, plus les événements extérieurs coercitifs qui me troublent, ne peuvent m’enfermer ni entamer cette sécurité intérieure. Accueillir dans tout mon être conscient et inconscient cette sécurité contribue à mettre à distance ce qui pourrait me troubler, m’écraser, me piétiner. La deuxième image est celle du bon pasteur. Il est le berger, il n’est pas le voleur. On peut lui faire confiance puisqu’il défend ses brebis jusqu’au risque de sa vie. Oui mais s’il meurt aussi héroïque soit-il, ne met-il pas en danger le troupeau ? « Je leur donne la vie éternelle » Les brebis de Jésus sont dans la main du Père et du Fils, dans leur mutuel amour. La vraie solidité, la véritable solidité, c’est d’appartenir au Père et au Fils. Une troisième image, c’est celle de la voix. Le bon Berger nous connaît par notre nom, en notre singularité, en notre personnalité. Sécurité, liberté riment avec intimité. C’est une valse à trois temps. Alors tout est beau, simple, fluide et en parfaite cohérence avec le désir le plus radical qui soit le désir de la rencontre avec le divin. Certes, nous sommes capables d’intimité, de liberté et de sécurité mais dans un chemin parfois chaotique, parfois lumineux, parfois obscur mais toujours dans les mains de Dieu. C’est notre seule garantie. Dieu veille avec un respect infini sur notre liberté. En Christ, Il connaît nos joies, nos souffrances, nos fragilités. Dans les premiers temps du christianisme, on s’est emparé de l’image si rassurante du Bon Pasteur. Beaucoup de représentations du Christ sont celles du Bon Pasteur. Particulièrement dans les catacombes de Rome comme par exemple à Saint Calixte. La croix ne s’est pas imposée tout de suite. Nous avons médité autour de la Croix pendant la semaine sainte. C’est le signe que nous avons accueilli la grâce de comprendre que le Bon Berger est aussi l’agneau immolé. C’est vraiment une grâce de L’Esprit. Christ est le bon Pasteur, Il est la porte mais il est aussi l’Agneau immolé. Il nous convient de visiter tous ces symboles pour nous conduire vers les sources d’eau vive où Dieu essuiera toutes les larmes de nos yeux. Consolation dans l’espérance mais aussi consolation dans la souffrance du monde telle que nous pouvons la vivre douloureusement actuellement. Persécutions, violence, humiliations n’ont jamais cessées dans l’histoire. L’information non-stop dont nous sommes abreuvés ne nous en épargne aucune. Parfois nous avons à les vivre dans notre propre chair : trahisons, emprises, abus par tous les mercenaires possibles et imaginables. Allons-nous attendre d’être en l’autre monde pour être consolés. Certes non ! Et c’est le sens de la Bonne Nouvelle. L’Esprit Saint qui nous est donné nous donne la force de lutter contre toutes forces de mort, d’être nous-même consolation pour ceux qui souffrent, d’être légitimement en colère contre toute injustice. Plus que cela, l’action de Dieu dès ici- bas, non seulement nous donne de lutter contre les injustices du monde mais d’être consolés, mis en sécurité sous le regard bienveillant de Celui qui connaît notre nom. Il est Celui qui à chaque épreuve nous porte, nous fortifie pour que nous puissions traverser les ravins de la mort, sans crainte. Consoler, ce mot résonne d’une façon particulière quand il s’agit de la consolation que Dieu donne et déjà sur cette terre. Permettez-moi de vous faire part d’un accompagnement qui m’a profondément marqué. C’était à l’époque où le sida tuait vite et dans de grandes souffrances. J’étais alors aumônier d’un centre hospitalier, le centre Édouard Rist à Paris. Christine y était hospitalisée. Elle demande à voir l’aumônier. Je vais la voir. Elle paraît avoir une vingtaine d’années, elle est nerveuse, s’exprimant très, très peu. Visiblement, elle souffre du manque. Atteinte du Sida, toxicomane, elle semble perdue, effroyablement perdue. Très rapidement, elle me parle d’une amitié. A l’évocation de cette amitié, son visage s’illumine et à travers sa souffrance, je devine le souvenir d’un immense bonheur vivant encore en elle. Elle me dit qu’elle a fait récemment sa première communion. Je l’interroge et elle me raconte qu’un bénévole de l’aumônerie de l’hôpital où elle était dans le sud de la France est passé. Il lui a proposé de rencontrer un prêtre. Elle a accepté cette rencontre. Christine en tant que pauvre de l’existence a développé une extrême sensibilité, la finesse de ceux qui savent aller intuitivement à l’essentiel. Elle est capable de voir au-delà des apparences. Dépendante de tout et de tous, elle a acquis un sens très affiné de l’autre, une solidarité très vive pour le petit, pour ceux qui souffrent, pour ceux que la Bible nomme les anawim[1], ceux qui attendent tout de quelqu’un d’autre. Et effectivement, elle a rencontré dans le Père Jean, un autre anaw. Je n’ai jamais rencontré ce prêtre, le Père Jean. Mais, j’ai pu, à travers ce que disait Christine comprendre qu’il était porteur de grâce, d’amour et de vie. En toute honnêteté, voilà ce que je peux en dire. Le Père Jean était un pauvre de cœur, il avait l’esprit de pauvreté. De Dieu à qui il avait donné toute sa vie, il avait accepté de dépendre. Petit à petit, tous les obstacles qui pouvaient faire écran à sa relation à Dieu, égoïsme, retour sur soi, velléité de puissance, de pouvoir, de paraître ont été dénoués par l’Esprit qui travaillait en lui. Dans sa pauvreté de cœur, il était riche de Dieu, transparent à sa grâce, transparent à Dieu. Voilà ce que Christine voyait dans le Père Jean, même si elle était incapable de le formuler. Cela dépassait les mots, à travers les regards, à travers l’âme, de son âme à la sienne, si je puis dire. Ils sont tombés l’un et l’autre dans les bras: amour transparent, amour chaste, amour pauvre dans son expression, mais riche d’une rencontre profonde de l’amour de Dieu. L’amour ne se réduit pas à l’affectivité et cet amour-là disait beaucoup plus que l’affectivité. Il venait irriguer tout l’être de Christine jusque dans son corps blessé, jusque dans son cœur brisé et jusque dans son âme assoiffée. Pauvre Christine qui mourra quelque temps après, pauvre Christine, l’anaw de Dieu, bien-aimée de Dieu, riche de cet amour qu’elle a emmené comme un trésor dans son départ vers la lumière. Christ souffrant vivant en Christine est le même que le Christ présent et agissant dans la vie intérieure du Père Jean. En Christ, deux amours se sont rencontrés: l’amour de Dieu pour les hommes et l’amour de l’homme en Jésus pour Dieu !
Puissions-nous écouter la voix du Bon Pasteur et accueillir dans l’Eucharistie cette vie éternelle venue du Ciel pour féconder notre pauvre terre aride, assoiffée, cherchant l’eau vive. Nous proclamons que Dieu s’est fait nourriture et boisson. Approchons-nous de la table eucharistique. Nous proclamons que déjà maintenant, Il nous donne, en nos vies, les arrhes de la vie éternelle.
Bmg
[1] Anawim : mot hébreu, pluriel de anaw. Les anawim constituent le peuple des pauvres de Dieu, les humiliés, opprimés, victimes d’injustice. En fait, ceux qui sont courbés et qui ploient sous le poids du fardeau.