Notre compréhension du monde est liée à l’espace et au temps. Les textes et la liturgie de ce dimanche nous invitent à la rencontre de l’Éternité au cœur du temps que je vais appeler « l’au-delà du temps au cœur du temps ».
Saint Jean l’annonce au début de son Evangile, le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous. Le passage choisi pour ce dimanche du Christ-Roi, nous parle précisément de cette rencontre de l’Éternité au cœur du temps. Il s’agit du temps tel qu’il est, habité par l’espérance, la foi et l’amour mais aussi de toutes les forces de destruction dont sont capables les hommes.
Le verbe a plongé dans notre humanité jusqu’à ce qu’elle a de plus blessé.
Dans le passage de l’évangile de ce dimanche, Pilate ressent comme un malaise devant cet accusé qu’on lui livre. Émane de Jésus, une majesté royale malgré les accusations et les outrages déjà perpétués contre lui.
Jésus, dans tous les évangiles a refusé le titre de roi. Après la multiplication des pains, Il renvoie tout le monde, proches disciples compris et s’enfuit pour prier dans la montagne. Pourquoi ? Parce que ceux qui ont participé au miracle de la multiplication des pains veulent le faire roi. C’est seulement dans cette comparution devant le représentant du plus puissant roi, l’empereur romain, qu’il accepte ce terme de roi. Dans cette situation, on ne peut se méprendre sur le terme de roi. Il est roi mais pas à la manière du temps, à la manière de l’empereur romain mais à la manière de « l’au-delà du temps au cœur du temps ».
« Es-tu le roi des juifs ? » demande Pilate. La réponse de Jésus va troubler Pilate : « Ma royauté n’est pas de ce monde. »
Pilate voit un homme enchainé, livré par les autorités religieuses pour qu’il soit condamné. Pilate en a vu des hommes dont il pouvait disposer de la vie. Il a fait condamner beaucoup d’hommes qui l’a dû juger. Philon affirme que le gouverneur Pilate se caractérisait par « sa vénalité, sa violence, ses vols, ses assauts, sa conduite abusive, ses fréquentes exécutions des prisonniers qui n’avaient pas été jugés, et sa férocité sans bornes »
Et pourtant devant Jésus, Pilate est troublé. Pourquoi ? Il perçoit quelque chose que les autorités juives veulent détruire, quelque chose de la Seigneurie de Dieu lui-même. Christ rayonne jusque dans l’humiliation des chaines qui l’entravent. Pilate a perçu quelque chose du « hors-temps ». Christ dans sa Passion, dans sa confrontation à la mort injuste ouvre l’au-delà du temps. Christ fait passer la réalité du temps, de tous les temps, dans l’Éternité.
Tout barbare et païen qu’il était, Pilate a pressenti quelque chose d’exceptionnel en cet homme. Pilate veut le sauver. Il a peur de décider sa mort. Il se heurte alors à un mur de haine, de violence meurtrière. C’est à ce moment-là que Pilate décide de le faire flageller. La flagellation est un supplice atroce. Jésus apparaitra alors dans sa souffrance et dans ses atouts royaux de dérision : le manteau rouge et la couronne d’épines. Pilate dira alors « Ecce homo » « Voici l’homme ». C’est vrai, voici l’homme dans sa misère mais aussi dans sa majesté que rien ne peut détruire. Les autorités qui veulent faire condamner Jésus vont encore plus loin dans l’accusation. « Il s’est fait Dieu ». St Jean précise « quand il entendit cela, Pilate redoubla de crainte. » Tout païen cruel qu’il est, Pilate a saisi quelque chose de divin en Jésus. Pourquoi, le livre-t-il quand même ? Entre ce qu’il perçoit qui l’amène à vouloir sauver Jésus et son ambition politique, il choisit sa stratégie du pouvoir.
Jésus l’avait annoncé : Il faut que le fils de l’homme soit livré, condamné, tué et qu’il ressuscite le troisième jour.
Pourquoi ce « il faut », pourquoi fallait-il ? N’est-ce pas la nécessité de l’amour divin qui nous rejoint notre réalité humaine confrontée au malheur et y installe sa Seigneurie. A chaque fois que nous nous relions à l’au-delà du temps, au cœur de notre vie jusqu’au creux de notre mal, l’amour de Dieu nous porte et, au plus profond de nous-mêmes, nous attend sa grandeur.
De toute Éternité, dans l’au-delà du temps, au cœur de l’histoire de chacun, Christ se présente à nous comme Celui qui a plongé dans notre misère. Au creux de sa misère, de son humiliation, de son innocence bafouée, rayonne sa majesté royale, plus encore sa majesté divine. « Mon Royaume n’est pas de ce monde. » Pilate a perçu ce Royaume mais il n’a pas pu, pas voulu entrer dans cette radicale nouveauté, dans cette nouvelle naissance. Il n’a pas choisi la vie, il n’a pas suivi son intuition, il n’a pas accueilli l’Esprit Saint.
L’Esprit Saint peut nous emmener très loin dans cet au-delà du temps au cœur du temps. Maximilien Kolbe est un grand saint. En août 1941, dans le camp d’Auschwitz, il prend la place d’un père de famille condamné avec 9 autres à mourir de faim et de soif. Je prends cet exemple pour montrer que dans le creux de la plus grande épreuve, celle du martyr, la Royauté, la majesté du Christ ne peut être effacée face à la barbarie. La manière dont Maximilien est mort en est une illustration éclatante.
Après deux semaines dans un bungalow, seul le prêtre est encore en vie. Les nazis décident alors de l’exécuter le 14 août d’une injection de phénol dans le bras. Le bourreau S.S entre dans le bloc avec sa seringue. Ce barbare à la peau épaisse n’arrive pas à affronter le regard de Maximilien. Dans ce regard, l’amour du Christ le transperce. Il réussira quand même à faire son injection. Le souvenir de l’amour reçu dans le regard de Maximilien le poursuivra. Converti plus tard, il témoignera de son expérience. Cette transparence de Maximilien à l’amour du Christ est le fruit d’un travail, le travail de Dieu mais aussi le travail de Maximilien lui-même, tout au long de sa vie.
Nous avons à collaborer à la grâce de Dieu par notre action et notre prière. Comment ? En comprenant que Dieu nous espère, nous attend et agit au cœur de notre prière, au cœur de notre action. Comment cette synergie s’articule-t-elle ? Je ne peux résister à vous livrer un adage jésuite. Pour la prière : « confie à toi à Dieu comme si tout dépendait de … toi, et rien de Dieu. Pour l’action : « agis comme si tout dépendait de … Dieu, et rien de toi » Confie-toi à Dieu comme si tout dépendait de toi. Ah de moi et si on a mal entendu, l’adage insiste et rien de Dieu. Pour l’action, agis comme si tout dépendait de Dieu. Ah bon ! de Dieu ? mais c’est moi qui agis ! Là aussi l’adage o et rien de toi. Bien sûr c’est Dieu qui fait tout, dans l’action comme dans la prière mais pas sans notre action, pas sans notre prière.
Dans l’Eucharistie, l’Esprit est répandu sur le pain et le vin mais aussi sur l’assemblée que nous formons. Accueillons avec confiance cet au-delà du temps au cœur du temps dans le concret de nos vies. Laissons-nous rassasier par l’amour miséricordieux de Dieu et ce jusque dans nos obscurités.
Bmg