Notre compréhension du monde est liée à l’espace et au temps. Les textes et la liturgie de ce dimanche nous invitent à la rencontre de l’Éternité au cœur du temps que je vais appeler « l’au-delà du temps au cœur du temps ». Saint Jean l’annonce au début de son Evangile, le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous. Le passage choisi pour ce dimanche du Christ-Roi, nous parle précisément de cette rencontre de l’Éternité au cœur du temps. Il s’agit du temps tel qu’il est, habité par l’espérance, la foi et l’amour mais aussi de toutes les forces de destruction dont sont capables les hommes. Le verbe a plongé dans notre humanité jusqu’à ce qu’elle a de plus blessé. Dans chaque évangile, à plusieurs reprises, Jésus l’avait annoncé : Il faut que le fils de l’homme soit livré, condamné, tué et qu’il ressuscite le troisième jour.
Pourquoi ce « il faut », pourquoi fallait-il ? N’est-ce pas la nécessité de l’amour divin qui nous rejoint notre réalité humaine confrontée au malheur et pour y installer sa Seigneurie ? A chaque fois que nous nous relions à l’au-delà du temps, au cœur de notre vie jusqu’au creux de notre mal, l’amour de Dieu nous porte et, au plus profond de nous-mêmes, nous attend sa grandeur. De toute Éternité, dans l’au-delà du temps, au cœur de l’histoire de chacun, Christ se présente à nous comme Celui qui a plongé dans notre misère. Au creux de sa misère, de son humiliation, de son innocence bafouée, rayonne sa majesté royale, plus encore sa majesté divine. L’Esprit Saint peut nous emmener très loin dans cet au-delà du temps au cœur du temps. Maximilien Kolbe est un grand saint.
En août 1941, dans le camp d’Auschwitz, il prend la place d’un père de famille condamné avec 9 autres à mourir de faim et de soif. Je prends cet exemple pour montrer que dans le creux de la plus grande épreuve, celle du martyr, la Royauté, la majesté du Christ ne peut être effacée face à la barbarie. La manière dont Maximilien est mort en est une illustration éclatante. Après deux semaines dans un bungalow, seul le prêtre est encore en vie. Les nazis décident alors de l’exécuter le 14 août d’une injection de phénol dans le bras. Le bourreau S.S entre dans le bloc avec sa seringue. Ce barbare, à la peau épaisse, n’arrive pas à affronter le regard de Maximilien. Dans ce regard, l’amour du Christ le transperce.
Il réussira quand même à faire son injection. Le souvenir de l’amour reçu dans le regard de Maximilien le poursuivra. Converti plus tard, il témoignera de son expérience. Cette transparence de Maximilien à l’amour du Christ est le fruit d’un travail, le travail de Dieu mais aussi le travail de Maximilien lui-même, tout au long de sa vie. Oui, c’est un Saint ! Je comprends que l’on puisse se dire :  « lui, il est un saint mais moi, non ! Alors à quoi bon ces belles histoires ?  Je connais un psy qui travaille avec des détenus lourdement condamnés à New York. Il m’a dit : « tout mon travail, ce n’est pas de leur dire que les actes délictueux qu’ils ont commis ne viennent pas d’eux et qu’ils n’en sont pas responsables mais de leur faire comprendre qu’ils sont également victimes des actes de violence ou de transgression qu’ils ont commis.  J’ai en tête l’expérience d’Éric que j’ai connu à la prison de Château Thierry où j’étais aumônier et qui m’a dit un jour : « Comment voulez-vous que je croie en Dieu avec le mal qu’il laisse faire ! »
Grave question, celle du scandale du mal ! Comment oser théoriser ? Je me suis tû. Une semaine après, j’ai, à mon tour, posé une question à ce détenu :  « Quand vous parliez du mal que Dieu laisse faire, s’agissait-il du mal que vous avez fait ou du mal que vous avez subi ? » Je me doutais de la réponse. Il s’agissait bien évidemment du mal qu’il avait subi. Éric m’a alors raconté que ses parents nourriciers lui faisaient subir, à l’âge de sept ans, le supplice de la baignoire. Peut-on imaginer l’angoisse d’un enfant dont on plonge la tête sous l’eau pour l’empêcher de respirer et dont les poumons se remplissent non seulement d’eau, mais surtout de haine ? Actuellement, Éric respire encore la violence! J’ai essayé de lui faire comprendre qu’il répétait sur d’autres la violence reçue mais qu’à l’origine il était bien une victime et qu’il continuait à l’être .  Je ne pouvais pas lui dire: « ce que tu as fait ce n’est pas de ta faute » mais plutôt dans la prière le dire à son enfant intérieur. Dans la mémoire de l’adulte qu’il est devenu, résonne encore le souvenir de la violence reçue.
C’est l’enfant intérieur qui continue à être pétri de peur dans sa mémoire. Dans l’inconscient de la mémoire d’Éric, on continue à le noyer et seul Dieu peut dire à cet enfant : « c’est pas de ta faute, c’est pas de ta faute, c’est pas de ta faute ». Dieu rassure, dans la prière, l’enfant intérieur. Est alors chassé de la mémoire de l’adulte la honte enfouie profondément et la fausse culpabilité. Il lui reste à demander pardon au Seigneur de sa complicité tout au long de sa vie avec la violence reçue et redonnée, sur soi et sur les autres. Dans le texte de l’évangile de ce jour, je vous livre ce que Saint augustin raconte à propos d’un dialogue qu’il imagine avec le bon larron. « Comment as-tu fait pour reconnaître la divinité du Messie ? …Avais-tu, entre deux brigandages, pris le temps d’étudier les Écritures ? -Non, je n’avais pas scruté les Écritures ; non, je n’avais pas médité les prophéties. Mais Jésus m’a regardé…et, dans son regard, j’ai tout compris ». Le bon larron est le premier Saint béatifié par Jésus lui-même sur la croix.   C’est la fin du passage de ce jour : « Jésus lui déclara : Amen, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. »
Dans l’Eucharistie, l’Esprit est répandu sur le pain et le vin mais aussi sur l’assemblée que nous formons. Accueillons avec confiance cet au-delà du temps au cœur du temps dans le concret de nos vies. Laissons-nous rassasier par l’amour miséricordieux de Dieu et ce jusque dans nos obscurités.

Bmg