Le Notre Père se compose de deux parties. Il présente au début des points communs avec le Kaddish juif (prière de sanctification du Nom de Dieu) puis s’en écarte en reprenant des extraits d’autres textes juifs, notamment celui de la Amida juive (prière de bénédictions).

Le terme de Père pour désigner Dieu, contrairement à ce que l’on a pu lire ou dire, est employé dans la Bible, même s’il est vrai qu’il est plus rare dans la Bible juive que dans le Nouveau Testament. Il est employé aussi dans la tradition orale et dans la liturgie. Jésus appelle Dieu : « Abba » (Père) et invite ses disciples à s’adresser à lui en disant : «Père ». Il le fait dans la continuité de la tradition biblique d’Israël. Le Deutéronome disait à Israël : « Vous êtes les fils de l’Éternel votre Dieu » (Dt 14, 1). Le prophète Jérémie, s’adressant à Israël afin qu’il se repente, parle ainsi : « Dieu te dit : je veux te faire une place parmi mes enfants. Tu m’appelleras : mon Père, et tu ne t’éloigneras plus de moi » (Jr 3, 20). On pourrait multiplier les citations bibliques.  En quoi, le don de Jésus du notre Père à ses disciples est une nouveauté ? Tout le contenu du notre Père est déjà dans le premier Testament. Ce qui est radicalement neuf, c’est la source d’où jaillissent ces mots qui nous sont donnés. Luc précise bien que Jésus est en prière quand il enseigne la prière du Notre Père. Ces paroles sont les paroles de vie de Jésus à son Père. Le mot Abba dit l’intimité de Jésus avec son Père. Abba, c’est papa. Quand nous récitons le Notre Père, ce ne sont pas d’abord nos mots mais ceux de Jésus. C’est comme s’il nous faisait cadeau de ses mots à lui, tout chargés de son amour pour le Père pour que nos entrions dans sa propre prière. C’est dans le Fils que nous sommes vraiment enfant du Père, c’est dire la qualité de prière dans laquelle Jésus veut nous emmener. Aujourd’hui, en cet instant même, nous sommes tous engendrés à une même vie filiale. Dans le Christ, Dieu est notre Père et nous sommes ses enfants. Aujourd’hui, en cet instant, il exerce en chacun de nous sa paternité et ne cesse de nous communiquer sa propre vie divine. Nous avons toujours à nous redécouvrir frères et sœurs, par des liens plus profonds que ceux du sang. Ce qui compte, c’est donc la qualité d’amour qui porte notre prière au Père dans tous les événements de la journée, grands ou petits.  D’abord l’amour du Fils pour le Père, leur souffle d’amour mutuel, l’Esprit Saint. Ensuite notre pauvre amour.  Saint Augustin nous assure que pendant que nous prions, Dieu façonne nos cœurs et nos âmes. Oui, notre propre prière a de l’importance, nos mots, nos pauvres mots portés par ceux du Christ sont espérés par Le Père. Notre pardon à nos débiteurs, porté par le pardon du Christ qui pardonne sur la Croix est attendu par Dieu, qui veut nous libérer de notre propre dette. Notre prière est suscité, porté par l’Esprit Saint qui crie en nous Abba Père. Après avoir donné l’enseignement du notre Père, Luc passe rapidement au récit d’une parabole. En guise de transition une simple phrase: « Jésus leur dit encore ». Alors comment comprendre l’enchainement entre l’enseignement du notre Père et la parabole qui suit ? Pourquoi Jésus raconte cette parabole ? Quel rapport avec ce qui a précédé ? La conclusion du développement de la parabole, c’est : « combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! » L’expression « combien plus » … est un précieux indice ! C’est le fameux « a fortiori », très fréquent dans l’évangile. En gros Jésus met en scène l’histoire d’un ami qui ose déranger en plein nuit toute une famille qui dort pour qu’il lui donne du pain. Quel rapport avec le Notre Père? Le contexte culturel de la parabole est important. L’hospitalité et l’hôte sont sacrés dans le Moyen Orient ancien, même quand il s’agit de visiteurs venant à l’improviste. On peut certes avoir des restes de nourriture mais il est impensable de les présenter en guise de repas. Si l’on ne dispose pas chez soi de quoi préparer un grand repas, il faut aller chercher ce dont a besoin chez le voisin. Une précision sur le verset 8 : « Eh bien ! je vous le dis : même s’il ne se lève pas pour donner par amitié, il se lèvera à cause du sans-gêne de cet ami, et il lui donnera tout ce qu’il lui faut ». Je vous donne la traduction mot à mot du grec et vous fait grâce de toutes les débats exégétiques sur cette simple phrase. « Je vous dis s’il ne donnera pas s’étant lever parce qu’il est ami mais à cause de son « sans-gêne », il se lèvera et lui donnera. » Dans cette traduction littérale, le sans-gêne est celui non du demandeur mais de celui qui est sollicité en pleine nuit. C’est celui qui accorde l’hospitalité qui est qualifié de sans-gêne, “anaidéia” en grec, Ça pose un problème. On comprend pourquoi le traducteur attribue ce qualificatif à l’ami importun. Jérémias et Ballay, deux exégètes protestants vont traduire autrement cette expression de « sans-gêne ». Ils vont faire intervenir le sens oriental de l’hospitalité. Anaidéia peut se traduire d’une façon positive. Aidos, c’est la honte. Avec le privatif a, il s’agit d’éviter la honte, Il s’agit de ne pas poser un geste qui mène à la honte . Il est impensable que celui qui est dérangé la nuit ne se dérobe à son devoir d’hospitalité. C’est une question d’honneur. Combien plus pour Dieu ! L’honneur de Dieu, c’est solide et même plus inattaquable ! Ne serait-ce que pour une question d’honneur, Dieu écoute et répond à la prière de celui qui le sollicite. Le poème qui suit va plus loin dans l’invitation à la confiance. Tous les verbes utilisés par Jésus invitent à la persévérance : demander, chercher, frapper. Nous retrouvons là aussi le raisonnent hébraïque du “combien plus”, du moins important au plus important. Si un père humain tout pécheur qu’il est peut donner de bonnes choses à ses enfants, combien plus le Père céleste le fera. Peut-on aller plus loin dans le lien de ces trois parties : le notre Père, la parabole et le « poème d’exhortation » qui suit ?

On trouve dans l’ensemble du texte deux passages type « combien plus ». Le premier passage, c’est de compter sur l’honneur de Dieu qui jamais ne se défausse, qui jamais ne pratique l’évitement, qui jamais ne botte en touche. Combien plus vous qui pratiquez l’anaidéia, vous qui évitez le déshonneur, le Père céleste ne vous décevra même si sa réponse tarde et qu’il vous semble qu’il ne répond pas. D’où le deuxième passage type “combien plus”, Dieu non seulement ne vous donnera que des bonnes choses mais plus encore, Il vous donnera l’Esprit Saint. Alors, tout est possible. Demandez et vous recevrez plus que vous n’espérez, pas forcément comme vous l’avez demandé. Le don le plus précieux qu’Il nous fait, c’est l’Esprit Saint qui fait de nous fils dans le Fils.  Croire que Dieu honore nos demandes, grandir dans la confiance et dans la persévérance, c’est recevoir de Dieu la permission de l’appeler Papa.

Bmg