Avertissement
Le risque d’aborder le thème des personnalités narcissiques manipulatrices, c’est d’en voir partout.
Il est utile d’avoir une distance par rapport à cette réaction.
D’autre part, chaque personne est unique et chaque trouble narcissique aussi. Il existe une palette très large de narcissismes et à des degrés très divers. Une précision de vocabulaire : un pervers narcissique est manipulateur, et ce qui le détermine comme pervers au sens fort du terme, c’est qu’il jouit de la souffrance de sa victime. Dans l’extrême de cette catégorie, on classe les psychopathes et ce jusqu’aux aux serial-killers. J’ai pris le parti d’utiliser systématiquement le terme large de Personnalité narcissique. La personnalité narcissique, pour s’accepter, à des degrés différents, triomphe de l’autre et peut le détruire en le vampirisant et en le mettant sous emprise parce qu’il doit se sentir supérieur pour s’affirmer. S’il ne jouit pas de la souffrance de l’autre, il n’est pas pervers au sens fort du terme. C’est juste une convention de vocabulaire entre nous mais qui a son importance.
Mon propos vise à donner quelques critères pour se repérer dans la complexité du monde relationnel avec les P.N. Peut-être, des visages apparaîtront au fur et à mesure que nous progresserons dans cette étude. Il est nécessaire de faire preuve de prudence et d’éviter de réduire ces personnes à quelques traits que vous allez repérer chez eux.
Récit
« Au début, j’ai cru rencontrer l’homme de ma vie, se souvient Angéline, 45 ans. Il aimait tout ce que j’aimais, voulait toujours me faire plaisir, et était, sur le plan sexuel, complètement à ma disposition. » Derrière ces attentions, ces flatteries et ces (fausses) promesses, se cache, un véritable enjeu si manipulateur il y a.
Puis vient le moment où le manipulateur tombe le masque. Disparu l’employé modèle, la femme merveilleuse ou le père parfait. Ce moment-là, toutes les victimes des P.N s’en souviennent avec précision. Parfois le jour de la fin d’une période d’essai, d’un mariage, d’un emménagement, d’un test de grossesse positif… Le jour où le conte de fées a soudain viré au cauchemar. Et où ont commencé dénigrement permanent et humiliations quotidiennes.
La victime va se mettre alors à redouter les représailles, à culpabiliser quand l’autre n’est pas de bonne humeur, à s’interdire par exemple de sortir avec ses amis, de peur qu’il ne le lui fasse payer. Et à ne plus vivre que dans la peur de le mécontenter.
Puis vient le moment où le manipulateur tombe le masque. Disparu l’employé modèle, la femme merveilleuse ou le père parfait. Ce moment-là, toutes les victimes des P.N s’en souviennent avec précision. Parfois le jour de la fin d’une période d’essai, d’un mariage, d’un emménagement, d’un test de grossesse positif… Le jour où le conte de fées a soudain viré au cauchemar. Et où ont commencé dénigrement permanent et humiliations quotidiennes.
La victime va se mettre alors à redouter les représailles, à culpabiliser quand l’autre n’est pas de bonne humeur, à s’interdire par exemple de sortir avec ses amis, de peur qu’il ne le lui fasse payer. Et à ne plus vivre que dans la peur de le mécontenter.
Un PN a peur du vide. C’est une coque vide qui n’a pas trouvé d’existence propre ; c’est un pseudo, qui cherche à faire illusion pour masquer sa blessure du néant. Pour ne pas avoir à affronter le vide qui l’aspire (ce qui serait sa guérison) et contrairement aux personnalités saines, qui acceptent d’affronter leur vide, le PN s’en détourne en s’appropriant le narcissisme gratifiant de l’autre et en envahissant son territoire psychique. Son système est une tentative pour éviter la mort, la mort psychique. C’est quelqu’un qui ne s’est jamais senti reconnu comme un être humain et qui s’est construit un jeu de miroirs pour se donner l’illusion d’exister. Comme un kaléidoscope, ce jeu de miroirs a beau se répéter et se multiplier, cet individu reste construit sur du vide.
La séduction du PN ne comporte aucune affectivité authentique, car le principe même de son fonctionnement est d’éviter tout affect. Les PN maintiennent une distance affective suffisante pour ne pas s’engager vraiment. Le but est de ne pas avoir de surprise. Les PN ne s’intéressent pas aux émotions complexes des autres. Ils sont imperméables à l’autre et à sa différence, sauf s’ils ont le sentiment que cette différence peut les déranger.
Leur insensibilité leur permet d’éviter au maximum la souffrance.
Ils ne connaissent aucun scrupule d’ordre moral. Ils attaquent en toute impunité.
De cette façon, les PN n’affrontent pas frontalement la souffrance. Ils souffrent mais ils font tout pour ne pas s’y exposer et nie leur chair. Cette chair, ils ne l’ont pas visitée. Le Narcisse a besoin de la chair et de la substance de l’autre pour se remplir. Mais il est incapable de se nourrir de cette substance charnelle car il ne dispose même pas d’une substance propre qui lui permettrait d’accueillir, d’accrocher et de faire sienne la substance de l’autre. Il se contente de se nourrir de l’énergie de l’autre, de sa vitalité.
Les P.N. n’ont pas d’histoire puisqu’ils sont absents. Seuls des êtres présents au monde peuvent avoir une histoire. Si les « P.N » assumaient leur propre souffrance, quelque chose commencerait pour eux. Mais ce serait quelque chose d’autre, la fin de leur précédent fonctionnement.
Le PN se vit comme responsable de rien parce qu’il n’a pas de subjectivité véritable. Absent à lui-même, il l’est tout autant aux autres. S’il n’est jamais là où on l’attend, s’il n’est jamais pris, c’est tout simplement qu’il n’est pas là. Au fond, quand il accuse les autres d’être responsables de ce qui lui arrive, il n’accuse pas, il constate : puisque lui-même ne peut être responsable, il faut bien que ce soit l’autre. Rejeter la faute sur l’autre, médire de lui en le faisant passer pour mauvais permet non seulement de se défouler, mais aussi de se blanchir. Jamais responsables, jamais coupables : tout ce qui va mal est toujours de la faute des autres.
L’efficacité de leurs attaques tient au fait que la victime ou l’observateur extérieur n’imaginent pas qu’on puisse être à ce point dépourvu de sollicitude ou de compassion devant la souffrance de l’autre.
Le partenaire n’existe pas en tant que personne mais en tant que support d’une qualité que les PN essaient de s’approprier. Les PN se nourrissent de l’énergie de ceux qui subissent leur charme. Ils vampirisent l’énergie de l’autre mais pas la chair.
Les moyens d’emprise
Séduction
« Ce sont souvent des êtres doués d’une grande intelligence, leur permettant d’élaborer des pièges très subtils. On les décrit souvent comme des personnes séduisantes et brillantes. Une fois le poisson attrapé, il faut seulement le maintenir accroché tant qu’on en a besoin. Autrui n’existe pas, il n’est pas vu, pas entendu, il est seulement utile. Dans la logique de la manipulation narcissique, il n’existe pas de notion de respect de l’autre.
Victimisation
Nous avons vu que le « P.N » ne possède pas de personnalité propre, il s’est forgé des masques dont il change suivant les besoins, passant de séducteur paré de toutes les qualités, à celui de victime faible et innocente. Cette attitude de victime permet de rallier des alliés prenant parti pour « cette pauvre victime » et qui peuvent être brusquement mis dans une position de coupable.
Lors des séparations, les P.N se posent en victimes abandonnées, ce qui leur donne le beau rôle et leur permet de séduire un autre partenaire, consolateur.
Culpabilisation
Ils culpabilisent à outrance leur proie, ne supportent pas d’avoir tort, sont incapables de discussions ouvertes et constructives ; ils bafouent ouvertement leur victime, n’hésitant pas à la dénigrer, à l’insulter autant que possible sans témoins, sinon ils s’y prennent avec subtilité, par allusions, tout aussi destructrices.
Critique systématique
Il y a chez eux une exacerbation de la fonction critique qui fait qu’ils passent leur temps à critiquer tout et tout le monde. De cette façon, ils se maintiennent dans la toute-puissance :
Si les autres sont nuls, je suis forcément meilleur qu’eux.
Ils imposent aux autres leur vision péjorative du monde et leur insatisfaction chronique concernant la vie. Ils cassent tout enthousiasme autour d’eux, cherchent avant tout à démontrer que le monde est mauvais, que les autres sont mauvais, que le partenaire est mauvais. Par leur pessimisme, ils entraînent l’autre dans un registre dépressif pour, ensuite, le lui reprocher.
Ce qu’il nous faut déceler dans l’emprise narcissique.
La Projection
Ils se défendent par des mécanismes de projection : porter au crédit d’autrui toutes leurs difficultés et tous leurs échecs et ne pas eux-mêmes se mettre en cause. Ils se défendent aussi par le déni de la réalité. Ils escamotent la douleur psychique qu’ils transforment en négativité. Ce déni est constant, même dans les petites choses de la vie quotidienne, même si la réalité prouve le contraire. Ils ne doutent jamais. Pas question pour eux de souffrir. Les autres doivent porter leurs fardeaux. Agresser les autres est le moyen d’éviter la douleur, la peine, la dépression.
Envie et appropriation
Ce que les P.N envient, avant tout, c’est la vie chez l’autre. Ils envient la réussite des autres, qui les met face à leur propre sentiment d’échec, car ils ne sont pas plus contents des autres qu’ils ne le sont d’eux-mêmes ; rien ne va jamais, tout est compliqué, tout est une épreuve.
Le désir de l’autre, sa vitalité, leur montre leurs propres manques. C’est pour cela qu’ils choisissent le plus souvent leurs victimes parmi des personnes pleines d’énergie et ayant goût à la vie, comme s’ils cherchaient à s’accaparer un peu de leur force.
Ils cherchent à s’emparer plus que des biens matériels des qualités morales, difficiles à voler : joie de vivre, sensibilité, qualités de communication, créativité, dons musicaux ou littéraires… Lorsque le partenaire émet une idée, les choses se passent de telle façon que l’idée émise ne reste plus la sienne mais devient celle du PN. Si l’envieux n’était pas aveuglé, il pourrait, dans une relation d’échange, apprendre comment acquérir un peu de ces dons. Cela suppose une humilité que les PN n’ont pas.
L’appropriation peut être sociale, par exemple séduire un partenaire qui vous introduit dans un milieu social que l’on envie : haute bourgeoisie, milieu intellectuel ou artistique… Le bénéfice de cette opération est de posséder un partenaire qui permet d’accéder au pouvoir. Ils s’attaquent ensuite à l’estime de soi, à la confiance en soi chez l’autre, pour augmenter leur propre valeur. Ils s’approprient le narcissisme de l’autre par la dévalorisation de l’autre.
Je ne poserai aucun jugement sur la foi des manipulateurs narcissiques. Ce que je constate souvent, c’est qu’elle peut être sans lien ou si peu avec l’intériorité propre pour laquelle, ils n’ont que très peu d’accès.
Le champ de bataille
Quand j’ai rencontré Adelyne, je n’ai rien soupçonné. Elle venait de se convertir. Ses dons artistiques et d’organisation étaient indéniables. Je me suis aventuré avec elle dans une étroite collaboration sur des projets associatifs, dans des actions solidaires au cœur de la précarité. Les premiers pas ont été le début d’une aventure passionnante. Aucun nuage à l’horizon.
Adelyne gérait, contenait. Brusquement, les digues ont fini par céder. Quand celles-ci ne canalisent plus rien parce qu’un flot impétueux a tout emporté sur son passage, ni la loi, ni l’amour ont alors droit de cité.
Elle s’est sentie agressée, elle est alors partie dans une stratégie mortifère et froidement a construit un plan de destruction pour son persécuteur du moment que je suis devenu. Elle s’est enroulée, recroquevillée dans un cocooning religieux, à l’abri avec son Dieu tel qu’elle se l’imagine. Le Seigneur y est largement évoqué, tapageusement convoqué mais au nom d’une mise à mort. Vaine incantation car où sont violence et manigance, Dieu est absent!
Cette atrophie de son être s’exprime donc, à la fois dans une spiritualité désincarnée et une vie relationnelle où le monde est divisé en deux : les bienfaiteurs et les persécuteurs. Adelyne m’a pris par surprise. Je n’ai pas vu les quelques signes avant-coureurs annonçant la crise ; pourtant, je constatais parfois des dysfonctionnements. Pas de réponse à une urgence par exemple comme si la visée du projet avait été mis entre parenthèses. La fougue des premiers temps semblait s’être volatilisée, à la place une susceptibilité exacerbée. Petit à petit aucune place pour l’éblouissement, la beauté de l’action, juste une plainte continuelle centrée sur un moi douloureux. L’autre est perdu de vue, il devient encombrant. Une craquelure apparaît dans l’équipe qui autrefois faisaient corps. Sur le moment impossible pour moi de prendre conscience de cette déchirure insidieuse, d’en deviner la cause et d’en imaginer la suite. Soudain tout éclate ! Période de crise ! La guerre est déclarée, la hache de guerre est déterrée ! Une longue et minutieuse stratégie a été au préalable mise en place. Quand le signal est donné, tout s’affole, tout se crispe, tout s’effondre. Mensonges, divisions, plans d’action s’invitent. Rien ne tient, la cohésion de l’équipe est sacrifiée sur l’autel de la stratégie guerrière. La hiérarchie, les syndicats, les menaces de procédures tout est possible. Un seul but, atteindre la cible. Cette cible c’est moi ! Je tombe des nues ! Je n’ai rien vu venir.
Comment peut-on en arriver là ? Pourtant Adelyne a cheminé : deux sessions de guérison intérieure, divers accompagnements. Beaucoup de personnes autour d’elle pour la soutenir, professionnels de l’écoute, médecins, amis, proches. Que d’énergie déployée pour en arriver à ce séisme. Que s’est-il passé ? Adelyne a un noyau paranoïde très fort. Deux directions sont possibles : l’une est extrêmement douloureuse, celle d’aller vers soi et traverser la souffrance d’une blessure jamais refermée, toujours à vif pour rejoindre le centre de sa personne, « l’infracassable noyau », rejoindre le lieu sacré, sanctuaire inviolable de son être passerait alors par la douleur. Adelyne n’a pas pu, pas voulu.
L’autre solution moins douloureuse : projeter cette souffrance sur le mauvais objet que je suis devenu, moi son persécuteur. Curieusement, cette projection négative sur moi la soulage. Adelyne souffre moins. Une montée en puissance d’une haine implacable me cible, moi, le bouc émissaire celui qui l’avait soutenue, le bon objet, l’ami d’autrefois. Le bienfaiteur que j’étais, mis sur un piédestal, du jour au lendemain est devenu l’homme à abattre. Adelyne va libérer le mal qu’on lui a fait quand elle était enfant et qui continue à déchirer ses entrailles, en le projetant à l’extérieur d’elle-même vers moi, une cible désinvestie, des-installée de son piédestal et vouée au shéol. Toute l’énergie de haine est mobilisée pour me tuer parce qu’on a tenté de la tuer. Tout est permis, le mensonge, les procédures, c’est la guerre ! La haine d’un côté et une spiritualité déconnectée cohabitent sans mauvaise conscience comme si attitudes pieuses et guerre pouvaient se vivre ensemble sans contradiction. Il manque le déclic d’une vraie relation à Dieu qui ouvre à une altérité. L’Autre, l’hôte divin l’attirerait alors en dehors de son « moi » douloureux, recroquevillé sur la douleur pour la conduire vers son « moi » le plus personnel, au fond d’elle-même, là où elle pourrait rencontrer la vérité, non seulement de son être mais la Vérité avec un grand V. Cette plongée vers le centre de l’âme, n’est pas seulement un repli sur soi mais ouverture à l’autre. Elle ne s’ouvre véritablement à Dieu et aux autres que dans une intériorité authentique telle que le décrit Maxime Gimenez.
Lorsque l’on parle d’intériorité, on songe spontanément à cette sorte de repli introspectif sur soi que suggère le mouvement d’intériorisation ; mais si la «plongée» ne s’effectue que dans un sens, à savoir dans la profondeur de sa propre subjectivité, on est encore bien éloigné de l’intériorité authentique. L’intériorité n’est pas un état d’esprit mais un mouvement de l’esprit, elle est infiniment plus proche de la compassion que de l’introversion. Le mouvement de l’intériorité consiste, précisément, à se rendre proche de ce qui « est », il consiste à se tenir dans la proximité de ce qui « est », tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de soi. Loin d’être un repli sur soi, l’intériorité est une attitude de non distance vis-à-vis des êtres et de soi-même, par la vertu d’une ouverture totale du cœur. Maxime Gimenez.
C’est ce que n’a pas pu faire Adelyne. Hélas, l’autre voie qui consiste à répéter arbitrairement sur une cible tout le mal reçu résiste à toute remise en question. Le moi morcelé qui trouve sa consistance dans la guerre est si fragile que renoncer à projeter sur l’autre la violence reçue en baissant les armes, abattre les murailles, est un trop gros risque. Le moi pourrait imploser et ça serait alors l’entrée en psychose.
Adelyne avait tenté de combler son vide par la drogue. Un sursaut lui a permis de traverser le manque et de faire une expérience spirituelle qui lui a permis de plonger en elle-même et trouver des ressources qu’elle ne soupçonnait même pas. Explication du schéma n°1
Les deux schémas qui suivent racontent deux mouvements, l’un vers la vie et l’autre vers l’enfermement. Ce choix n’est pas définitif. Il est dans la nature humaine de pouvoir reposer les choix, à chaque fois, si nécessaire. Il reste vrai que dans l’endurcissement du cœur, la liberté de choisir la vie se réduit peu à peu.
Ce chemin de la vie intérieure qui s’ouvre vers plus d’altérité et de compassion n’est pas une décision une fois pour toute. Il est à re-choisir sans cesse, à chaque faux pas, à chaque remise en question, à chaque prise de conscience, à chaque événement exigeant un déplacement. Il s’agit de re-choisir le mouvement centrifuge quand est discernée la tentation du retour aux anciens comportements capables d’emmener à nouveau dans la spirale du mouvement centripète, autour du moi despotique, dans le choix du mode addictif. C’est dire que l’aventure humaine et spirituelle n’est pas un long fleuve tranquille. Elle est une aventure passionnante et exigeante. Encore faut-il accepter humblement que Dieu veut œuvrer jusqu’au cœur de nos limites et de nos défauts.
Cette triangulation part de l’hypothèse que le P.N est l’agresseur, la cible victime et les tiers passifs ou actifs. Nous sommes alors dans la pure objectivité.
Ce que vit le P.N, c’est la pure subjectivité ou tout s’inverse. les rôles peuvent changer. Dans la victimisation pour le P.N qui d’agresseur devient victime. Un tiers rallié à la cause peut devenir agresseur, Une authentique victime peut-être décrit par le P.N comme agresseur. D’où l’importance d’en rester aux faits et ne pas entrer dans ce tourbillon où tout se mêle.
Pourtant le trois dans la relation amène à une juste relation.
Dans la relation à l’autre, un « je » parle à un « tu ». Pour reprendre l’expression de Lévinas, entre les deux sujets de la relation, il y a un « il ». Quel est cet il, cet autre ? On peut l’appeler l’altérité, c’est à dire le mystère de l’autre, l’autre existe dans son mystère. Le « je » vers un « tu » a besoin du tiers, le tiers, c’est le mystère infiniment respectueux de l’autre que je ne peux réduire à ce qui m’est utile. Être trois, c’est l’antidote à la confusion, à l’emprise et à la toute-puissance. La triangulation narcissique aboutit à réduire le Trois au Deux car elle est se réduit à un dualisme conflictuel. Le Tiers est sommé de choisir son camp et la bataille peut commencer car les belligérants sont face à face.
Que toutes triangulations narcissiques s’éloignent de moi !
Oui, mais comment ?
En ne perdant pas de vue, l’idéal de la triangulation saine. En étant vigilant pour repérer les triangulations narcissiques malsaines.
Voici un exemple caricatural.
Dans le dialogue suivant, une victime qui parle avec un tiers qui lui se situerait plus en sauveur.
– t’as de la chance de pouvoir aller au cinéma parce que moi avec Anaïs ma fille ?
– T’as pas de baby-sitter
– Les bonnes baby-sitters ne courent pas les rues
– J’en connais une bien si tu veux
– Je te remercie mais de toutes façons, c’est trop cher.
– Il suffit de laisser le bébé à tes parents
– J’aimerais bien mais ils s’en occuperaient mal
– Il suffit de le surveiller quand il dort, t’as qu’à demander à tes parents de venir chez toi
– Oui mais je suis sûr que ça les embêterait
– Qu’est-ce que ça coûte de demander ?
– Je connais la réponse
– Ah bon, si tu préfères ne pas aller au cinéma
– Tu es pénible, je te l’ai dit, pas si simple !
Cette situation est assez banale. Elle est loin d’être destructrice. Cependant, elle est révélatrice d’une technique inconsciente ou non qui vise à enfermer l’autre dans l’échec. Quand ce schéma insidieux est utilisé systématiquement pour enfermer l’autre dans l’impuissance et la culpabilité, on assiste alors à une manière de vouloir mettre sous emprise. Le premier personnage est pour lui victime d’une situation. Le deuxième est le tiers sauveur. En fait, on réalise que le premier personnage est l’agresseur ayant enfermé l’autre dans l’échec. S’il insiste le deuxième personnage va devenir agresseur. On est loin de la triangulation de Lévinas. Quel est donc le tiers qui s’invite?
Le premier personnage a mis en échec toute proposition de son vis-à-vis qui tentait de le sortir d’un cercle non vertueux. Celui-ci entre dans ce dialogue avec beaucoup de bienveillance. Il a vraiment envie d’aider l’autre qui se complaît dans une boucle sans porte de sortie. A la fin du dialogue, il fait allusion à l’absence de désir de son interlocuteur « Ah bon, si tu préfères ne pas aller au cinéma », l’autre se fâche. Le besoin de celui qui est en boucle, c’est justement ne pas accéder à son besoin. Il goûte le bénéfice secondaire d’être victime. Si quelqu’un tente de le désinstaller de cette position, il devient agressif. Le risque à trop insister, c’est de devenir persécuteur.
Dans les dialogues, la bienveillance et l’écoute de l’autre peuvent se vivre paisiblement pour construire une relation bénéfique pour chacun. Dans l’exemple donné, un tiers s’est invité et ce n’est pas le « il » de Lévinas, infiniment respectueux de l’autre mais le drame. S’est installée une triangulation narcissique. Le risque est la réduction du » trois » dramatique au » deux » conflictuel. Du dialogue au drame, du drame à la guerre où deux camps se font face, prêt à se battre.
Deux types de victime :
La victime-agresseur que l’on peut appeler « victimaire ». C’est le cas d’Adelyne.
Objectivement, elle a été une victime. Et quelle victime ! Elle a été abusée sexuellement par son beau-père dans son enfance.
Actuellement, son agresseur, en l’occurrence moi, rassemble en lui-même toutes les agressions qu’elle a subies. Se vivre subjectivement comme une victime n’est pas objectivement être victime.
– Comme victime, elle a besoin de mettre en action tous les tiers qui deviennent soit alliés, soit persécuteurs. Le monde se divise en deux.
Comme victime, elle a tous les droits pour détruire le persécuteur et ses alliés. Objectivement, elle est l’agresseur, subjectivement elle se défend du persécuteur.
Le système est infaillible, infalsifiable. Si quelqu’un le conteste, il rejoint alors la caste des persécuteurs.
Ce qui se vit là dans cette triangulation narcissique, c’est l’aplatissement du trois qui se réduit à un dualisme guerrier où la médiation est impossible car la relation est envahie par la violence.
– Victime par vocation. On est là dans la répétition. La violence reçue a créé un impact tellement profond que la victime appelle inconsciemment le prédateur.
Tiers sauveur
Si je prends mon exemple, j’ai compris qu’enfant, je devais veiller sur une mère fragile. J’aurais donc tendance à vouloir aider celui qui fait appel à moi. Pour Adelyne, de bienfaiteur, je suis devenu un soi-disant persécuteur. Je me suis demandé si je n’avais pas suscité ce renversement. Le tiers sauveur que j’étais avait trouvé un travail et un logement à Adelyne. Pourquoi avais-je fait cela ? Pour jouer un rôle narcissique gratifiant ? étais-je intervenu sans qu’elle ne m’ait rien demandé ? L’avais-je infantilisée et placée comme éternelle assistée ? Quand la victime ne supporte plus d’être aimée de la mauvaise façon, à savoir infantiliser, déresponsabiliser, considéré comme une petite chose qu’il faut protéger parce qu’elle ne peut rien par elle-même, alors elle se débat contre cette emprise et le sauveur devient celui qu’il faut abattre. Il est alors considéré comme persécuteur. Honnêtement, je suis incapable de soumettre l’autre. En aucun cas, j’ai agi comme sauveur infantilisant. Par contre, je ne peux agir sur les projections que l’on peut faire sur moi. J’ai pris les leçons de 20 ans d’accompagnement. Je pense ne plus attendre un retour de ceux que j’accompagne. Tant mieux si une reconnaissance me confirme dans ce que je fais. Je connais aussi les difficultés du transfert, transfert souvent nécessaire pour installer une confiance et parfois une réparation d’une relation paternelle par exemple. Ce qui constitue l’écueil, c’est bien la relation fusionnelle, celle où l’accompagné exige de l’accompagnateur qu’il vienne combler la béance, le manque insondable de son enfant intérieur qui n’a pu se nourrir d’un minimum vital d’amour. Parfois l’enfant intérieur cherche alors à dévorer l’autre comme le tout petit qui engloutit le lait de sa mère. J’ai l’habitude pour éviter une telle relation de dévoration de proposer à la personne un cadre (limiter le temps et la disponibilité, ne pas s’aventurer dans le hors-piste de la relation d’aide, mettre en réseau).
La tendance du patriarche Athénagoras
La personnalité du patriarche était très forte. De plus il était visionnaire et comprenait les enjeux avant tout le monde. Aussi son travail intérieur a été de laisser la place à l’autre, tout en sauvegardant les intuitions les plus essentielles. Quand on lit sa prière, on se rend compte de tout le chemin parcouru. Il fait allusion au tiers, capable de le faire sortir de la relation duelle. Ce qui est recherché, c’est la relation ternaire. Pour cela un tiers, une altérité pour une juste relation est nécessaire.
Pour lui le tiers, c’est l’amour. « l’amour chasse la peur, dit-il ». Mais de quel amour s’agit-il ? De l’amour du « Dieu-homme qui fait toutes choses nouvelles, précise-t-il ».
Les 3 pôles sont remplacés par 3 qualités de
Persistance: courage persévérance et fidélité
Ouverture: transparence, honneteté, saine affirmation de soi et désir de prendre le risque de la confiance en l’autre,
Ressource: flexibilité adaptation résolution créative des problèmes. Là où le sauveur donne un poisson la personne ressource apprend à pêcher.
Alors que les rôles sont fixés dans le drame, un fonctionnement sain nous permet au contraire de développer les qualités des 3 pôles de la compassion. Ce sont ces qualités qui permettent aux personnes saines de rester en dehors du triangle dramatique et d’offrir aux autres un chemin alternatif.
Se libérer des mythes du triangle dramatique libère les humains et leur rend leur pouvoir.
Que faire quand nous voyons le triangle dramatique s’approcher ?
Rester dans le triangle de compassion et garder notre pouvoir.
Ne pas rentrer dans les jeux de pouvoir et être responsable de nos actions en ne laissant pas les autres (persécuteur ou sauveur) nous manipuler et infantiliser ou nous mettre (victime) en position de sauveur.
Ne pas rentrer dans le rôle que l’autre veut nous voir jouer pour nourrir son scenario mais rester dans l’attitude saine et responsable de la compassion.
Répondre aux victimes avec ouverture.
Répondre à l’agresseur avec persistance
Répondre aux tiers sauveurs avec de la ressource
L’ouverture nous permet d’accueillir de nouvelles informations et de voir les autres tels qu’ils sont vraiment, sans projection.
La ressource offre des solutions créatives en admettant une pluralité de voies.
La persistance donne une chance à toutes les idées, vieilles ou nouvelles, et refuse de rejeter par avance les personnes comme les idées.
La triangulation narcissique est éclairante pour démasquer des systèmes relationnels basés sur des mauvaises raisons, souvent inconscientes. Dans ce système relationnel, les bénéfices secondaires sont importants mais ne résistent pas au temps. Ils s’usent et provoquent des tensions et des souffrances.
Bénéfice secondaire de la victime : elle existe certes douloureusement mais ce n’est pas le vide.
Bénéfice secondaire du tiers : maître du jeu ( il est spectateur ou acteur, c’est lui qui décide).
Bénéfice secondaire de l’agresseur : il domine, surplombe de toute sa hauteur la victime, manipule et rallie des adeptes à sa cause.
Après avoir pris conscience de comment fonctionnent les systèmes malsains basés sur une triangulation toxique, comment se situer pour ne pas être happé dans ce triangle des Bermudes et contribuer à mettre en place, non plus un triangle dramatique mais un triangle de compassion compétente ? Le mot « compétente » est ici essentiel car il exprime une exigence : pas de relation fusionnelle ni de conception dualiste du monde mais une relation ternaire saine. Pas sans altérité, pas sans un travail sur soi, et pas sans le respect du mystère de l’autre.
Se déplacer, c’est d’abord prendre conscience, se remettre en question, travailler sur soi et éventuellement se convertir sans se servir de Dieu comme arme contre l’autre.
Du triangle dramatique au triangle de compassion compétente, comment peut s’opérer ce déplacement ?
Se rappeler que nous avons une intériorité et que nous pouvons y puiser des ressources parfois insoupçonnées.
Devant l’agresseur, opposer le moi en alliance, c’est-à-dire le moi qui a fait l’expérience d’une source jaillissant en vie éternelle dans la rencontre avec le Christ. C’est l’expérience de la Samaritaine dans l’évangile de Saint Jean.
Il est beaucoup question de la soif dans ce sublime récit : celle de Jésus, celle de la samaritaine. Dans son texte, Saint Jean joue aussi sur les différentes dimensions de la soif. La soif physique de Jésus qui a longtemps marché sous le soleil. Mais aussi sa soif de rencontrer et d’échanger avec cette Samaritaine. Et bien sûr sa soif de l’amener dans la question essentielle de sa vie spirituelle.
De quoi a soif la samaritaine, quelle est sa vraie soif ? Petit à petit, Jésus va mettre de la clarté dans sa quête de bonheur. Jésus va lui révéler toutes les soifs qui l’habitent : soif du corps, soif de l’âme -dans le sens de la psyche-, soif de l’esprit. Cela correspond aux trois dimensions de tout être humain : corps, âme, esprit. Le corps c’est l’interface avec le monde physique. Il nous alerte quand nous traversons des turbulences : excès de stress, d’angoisses, d’épreuves et il nous sert de fusible. Oui c’est lui qui nous permet de nous ancrer, il est notre prise de terre, remède à nos prises de tête. Enfin, il ne ment jamais. Cette femme de Samarie habite sa dimension du sensible. Elle a bien les deux pieds sur terre. Tout son discours est plein de bon sens et ses questions et ses réponses révèlent qu’elle reste très concrète. Non elle ne « fly » pas comme disent les québécois, elle ne butine pas dans l’azur, elle ne se réfugie pas dans les éthers d’une spiritualité désincarnée. La preuve, ce qu’elle rétorque à Jésus :
« Seigneur, tu n’as rien pour puiser, et le puits est profond. D’où as-tu donc cette eau vive ? »
Quant à la dimension de l’âme, son psychisme dirait-on aujourd’hui, comment le vit elle ?
De la même manière que le corps est l’interface avec le monde physique, le psychisme est l’interface avec le monde des sujets. Son lieu spécifique est le relationnel. Sûrement, la Samaritaine vit elle une souffrance à ce niveau-là. Cette femme est vivante, relationnelle avec Jésus, presque familière. Elle fait preuve de spontanéité. Tout va bien ! Alors quel est son problème ? Pourquoi vient-elle chercher de l’eau au puits à midi au moment où le soleil est accablant ? A-t-elle des difficultés relationnelles avec les autres ? On peut dire qu’elle a mauvaise réputation à cause de sa vie affective. « Tu as raison de dire que tu n’as pas de mari : des maris, tu en a eu cinq, et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari ; là, tu dis vrai. » C’est Jésus qui lui dit cela mais comment a-t-il fait pour ne pas fermer le cœur de son interlocutrice par ces quelques paroles de vérité. Bien au contraire, le dialogue avec Jésus lui a ouvert le cœur et particulièrement ces paroles vraies ? Tout est dans la manière de le dire mais aussi dans la manière dont Jésus l’a regardée. Il l’a regardée sans l’enfermer. Il a regardé la personne qu’elle est dans toute sa plénitude, dans ce qu’elle est appelée à être. Ce regard d’infinie compassion délivre, guérit et permet ainsi à chaque personne qui accueille ce regard de se sentir exister. La Samaritaine s’est senti exister car Jésus l’a regardée comme jamais personne ne l’avait regardée.
C’est à cette femme de mauvaise réputation que Jésus va livrer la perle de l’évangile.
« Quiconque boit de cette eau
aura de nouveau soif ;
mais celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai
n’aura plus jamais soif ;
et l’eau que je lui donnerai
deviendra en lui une source d’eau
jaillissant pour la vie éternelle. »
Jésus introduit cette femme dans son vrai désir. Pour cela, il déploie une véritable pédagogie de l’intériorité. Elle va progressivement, de question en question se découvrir elle-même en profondeur, grâce au Seigneur, parce qu’elle accepte de se regarder en vérité. Ainsi dans la vie spirituelle, Dieu nous éduque et nous guide pour que nous le cherchions non pas seulement au-dehors de nous-même, mais aussi au-dedans. Le chemin spirituel est une voie d’intériorisation qui nous conduit vers les profondeurs de notre être : c’est là que nous rencontrons Dieu en vérité en même temps que nous nous trouvons nous-même. Le cœur profond est ainsi à la fois le lieu de notre plus grande intimité, le sanctuaire de notre conscience, mais aussi l’espace où l’Amour de Dieu demeure. Ainsi plus je me fais proche de Dieu en moi, plus je deviens vraiment moi-même.
De la même manière que le corps est l’interface avec le monde physique, que le psychisme est l’interface avec le monde des sujets, l’esprit lui est l’interface avec le monde divin. Dieu nous connecte avec la dimension spirituelle de notre être. C’est dans le domaine spirituel non déconnecté avec le reste qu’il nous faut mettre notre centre de gravité. Ce domaine n’est pas évident. Cette intériorité dite spirituelle est différente de l’intériorité physique ni même de l’intériorité psychologique.
L’intériorité spirituelle est spécifique. Elle n’est pas en soi une capacité naturelle propre à l’homme. Elle prend naissance dans la liberté de la personne qui se décide pour cet au-delà de lui-même. C’est dans cette intériorité que se vivent la foi et l’espérance, c’est dans cette intériorité que grandit notre capacité à aimer. Si cette intériorité est délaissée, abandonnée, elle se rétracte et devient incapable de vivre cet au-delà de soi. La vie spirituelle s’étiole alors.
Dieu nous sauve de cela.
Comment Dieu sauve ?
Dieu nous sauve en nous révélant notre vrai désir :
Si quelqu’un a soif qu’il vienne à moi et qu’il boive, celui qui croit en moi… Des fleuves d’eau vive jailliront de son cœur. Jésus a soif de notre soif, de toutes nos soifs. C’est ce qu’il dit sur la Croix, j’ai soif. Jésus a soif de nous donner l’eau qui deviendra en nous source jaillissant en vie éternelle. Jésus seul identifie notre désir, révèle l’immensité de notre soif : celle-ci est à la mesure de son Amour, elle ne peut être étanchée qu’en s’abouchant à l’intérieur de nous-mêmes à l’eau que Jésus donne et qui jaillit en vie éternelle.
Ce qui est capital pour sortir de nos dysfonctionnements, c’est bien cette décision de s’ouvrir. Ce qui empêche de s’ouvrir à la vie, c’est bien la peur, la souffrance et pour le dire comme Saint Jean de la Croix, la nuit : nuit de la foi, nuit de la dépression, nuit de l’enfermement narcissique. Nous avons parlé d’aridité, Saint Jean de la Croix parle de nuit. Pourquoi Dieu permet-il l’aridité ou la nuit?
L’homme a une face extérieure et une face interne.
La face extérieure, est la partie sensible de notre être.
La face interne est appelée l’esprit (avec minuscule).
Mais l’homme est plus que ce dehors et ce dedans.
Il y a en lui, un troisième élément, le centre de l’âme. C’est là qu’il est image de Dieu qu’il est participant de la divine nature . (2 P 1, 4). Cela signifie concrètement qu’il y a dans l’homme un lieu, un point où il est tout à fait sain et saint, un point qui n’est pas infecté par le péché originel. Le péché n’a pas corrompu l’homme, il l’a seulement blessé et sa blessure, c’est justement de ne plus vivre dans son centre, de renier sa nature profonde, de vivre dans une « aliénation » métaphysique.
L’homme est donc un être compliqué, une réalité complexe. Les différents niveaux de son être se déséquilibrent facilement. Par suite de certaines blessures, des blocages intérieurs peuvent surgir. L’un des niveaux peut vivre sa petite vie à lui au lieu de la vivre en harmonie avec les autres niveaux. Cheminer dans la nuit dans un acte de foi permet d’enclencher un processus d’intégration qui rétablit l’unité dans la multiplicité.
Se protéger tout en s’ouvrant, est-ce possible ?
C’est difficile ! Car cela suppose que l’on ait une vision psycho-spirituelle de l’homme sans confondre les deux dimensions. C’est pourquoi le schéma que je vous ai proposé est très utile Il m’a permis plus d’une fois d’aider des personnes mis en détresse par leur dépression ou leur fragilité à la toxicité de l’autre. « Vous n’êtes pas votre dépression ». Dans la partie plus enfouie de votre être, réside une autre réalité. Le brouillard de la dépression a envahi tout le champ de votre conscience mais le paysage magnifique que vous êtes n’a pas pour autant été effacé.
Le concept de « moi-peau » du vocabulaire psychologique est très utile aussi pour tenter de comprendre ce qu’est l’hyper-sensibilité. Comme la membrane cytoplasmique de la cellule, le moi-peau est chargé de faire le tri entre ce qui est bon et ce qui est toxique. Tout ce qui pourrait perturber la personne dans ses dimensions psychique et spirituelles est rejeté, tout ce qui lui est bénéfique est accueilli. Pour différentes raisons, le moi-peau peut être poreux. Ne serait-ce que l’histoire même de la personne. Par exemple, l’emprise d’une mère fusionnelle peut mettre à mal le moi-peau. Les injonctions paradoxales des parents, l’absence du père peuvent être aussi facteur de porosité du moi-peau. Dans le cas de grandes hypersensibilités, le moi-peau est si balbutiant qu’il ne protège pas des prédateurs. Être hypersensible, c’est parfois être ouvert à l’emprise dans sa vie. Le moi-peau, c’est ce que Dieu veut renforcer par la prière. Pourquoi doit-il passer par la prise de conscience et par la supplication de celui qu’il veut libérer ? Dieu tient à la collaboration de l’homme. De plus, Il veut guérir non seulement les symptômes mais leurs causes.
Vivre une vie d’oraison, une vie sacramentelle permet à la personne hyper-sensible une plus grande protection du moi-peau. Même dans l’action, confronté à une personne toxique, l’hyper-sensible peut crier vers Dieu. Il n’est alors plus seul en face du prédateur. Il peut alors utiliser des outils de la psychologie comportementaliste qui consiste à utiliser son corps comme une prise de terre, en prendre conscience, se rendre présent à sa consistance, se représenter dans un mouvement intérieur le moi-peau comme un cercle bienfaisant qui protège de l’autre. Mais alors comme ne pas se replier sur soi comme le hérisson qui se met en boule quand un danger survient.
Stinissen nous est d’un précieux secours qui décrit le centre de notre être comme un sanctuaire inviolable, présence de Dieu en nous. Ce sanctuaire est aussi un rivage ouvert sur l’Éternité de Dieu et sur l’amour universel.
Se protéger au niveau psychologique et s’ouvrir dans le fond notre être au niveau spirituel, voilà l’enjeu.
Le mouvement circulaire autour de notre moi nous protège des flèches du prédateur et nous permet de les laisser se perdre derrière nous sans nous atteindre. Le mouvement d’ouverture au fond de notre être nous permet d’échapper à l’enfermement sur nous-même et parfois même confier le prédateur au Seigneur pour qu’Il le bénisse. « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » Sans se prendre pour le christ pour autant, cela va de soi.