Thomas appelé Didyme (le Jumeau) fait partie du petit groupe de ces disciples que Jésus a choisis, dès les premiers jours de sa vie publique, pour en faire ses apôtres. Il est « l’un des Douze » comme le précise saint Jean. Le même Jean nous rapporte plusieurs interventions de Thomas. Lorsque Jésus s’apprête à partir pour Béthanie au moment de la mort de Lazare, il y a danger et les disciples le lui rappellent : « Rabbi, tout récemment les Juifs cherchaient à te lapider. » Thomas dit alors aux autres disciples : « Allons-y, nous aussi, pour mourir avec lui. » Courageux Thomas qui donnerait sa vie pour mourir avec Jésus. Son courage est-il suffisant pour qu’il puisse s’ajuster au Royaume que Jésus est venu instaurer sur terre ?

Thomas est sincère. Que lui a -t- il manqué pour qu’il s’enfuie et se réfugie loin du groupe des disciples ?  Thomas est appelé à se déplacer. Oui mais où ? Il lui faudra quitter la fausse représentation qu’il a du Messie.  Il imagine un Messie-roi, triomphant, glorieux, puissant, et chassant une bonne fois du pays l’occupant romain et inaugurant une terre nouvelle, des cieux nouveaux, un monde de paix où le lion cohabitera avec l’agneau et où l’enfant jouera sans danger sur le nid du cobra. Il aura à faire le deuil de l’idée d’un Messie super-héros. Comment imaginer le maître, victime d’un procès inique et d’un supplice infamant aboutissant à la mort ? Avant d’accepter le réel qu’il n’avait pas prévu, Thomas est perdu, sidéré. Comment en sortir ?

Chercher le Christ ressuscité dans l’intériorité, seul lieu capable de le reconnaître sous un autre mode, selon une autre logique, celle de la foi. Ce que l’on trouve dans cette descente en soi, c’est aussi tout ce qui fait obstacle, ce qui empêche de voir avec les yeux de la foi. Que va-t-on trouver dans cette descente en soi ? N’est-ce pas un travail intérieur difficile, douloureux et risqué ? Dans cette descente dans la profondeur de son être intérieur, on risque de rencontrer quelques monstres qui font obstacles. Quel monstre intérieur, Thomas a dû affronter ? Le pire monstre qui soit, la mort ! Le même que le nôtre, nous qui sommes mortels. Notre société occidentale fait tout pour éliminer la réalité incontournable qu’est la mort ; pourtant la mort fait partie de la vie.

La mort, ça fait peur, c’est l’inconnue la plus grande qui soit. Lors du dernier repas, lorsque Jésus annonce son départ, c’est Thomas qui pose la question : »Seigneur, nous ne savons pas où tu vas. Comment saurions-nous le chemin ? »  Il veut savoir ce qui se passe après la mort « Je suis le chemin, la vérité et la vie », répond Jésus qui ne dénie pas la mort, lui qui avait annoncé sa propre mort dans l’annonce de sa Passion et de sa Résurrection.  Thomas a du mal avec l’invisible. S’ouvrir à l’invisible, il aura à faire ce travail. Le temps et aussi l’espace est une création de Dieu. Ce qui porte, soutient tout être créé, c’est l’incréé, le divin. Là aussi notre civilisation occidentale a dénié le divin. Pourquoi ? Parce que l’on ne peut aborder avec la seule raison cette question. La mort, quel monstre à apprivoiser ! Thomas a fui, il n’était pas là, lors de la première visite de Jésus ressuscité. Le voici qui revient d’on ne sait où : « Nous avons vu le Seigneur ! » lui dit-on. « Si je ne vois pas dans les mains la marque des clous, si je ne mets pas ma main dans son côté, non, je ne croirai pas. »

Thomas a deux monstres à apprivoiser : la peur de la mort et la peur de ne pas maîtriser. Thomas exige de toucher les plaies de Jésus. Il aurait pu exiger, pour croire, de croiser le regard de Jésus, d’entendre sa parole, de revivre l’émotion suscitée par ses miracles. Thomas a peur de ses propres blessures. Thomas souffre comme les disciples d’Emmaüs qui ne reconnaissent pas Jésus ressuscité parce que trop remplis d’amertume, de frustrations, de déceptions, « nous qui croyions qu’il allait délivrer Israël ». Thomas blessé, encombré par la farandole des émotions négatives qui s’agitent en lui, a fait une fixation sur les plaies de Jésus. Comment peut-il en sortir ? Reprenons les questions de Thomas car ses interrogations marquent son itinéraire spirituel. Progressivement, de question en question, Thomas va aller vers lui-même et se découvrir en profondeur, grâce aux réponses de son Seigneur, même s’il ne les comprend pas tout de suite. Lors du dernier repas, lorsque Jésus annonce son départ, c’est lui qui pose la question : « Seigneur, nous ne savons pas où tu vas. Comment saurions-nous le chemin ? »  « Je suis le chemin, la vérité et la vie », répond Jésus. Avait-il vraiment compris la réponse de Jésus ?

Le chemin du Golgotha, était-ce vraiment un chemin ? La vérité ? Étrange vérité que l’échec de la Croix ! La vie ? C’est bien la mort au bout du chemin. Ce que Thomas a vécu, c’est un véritable tremblement de terre. Thomas doit chercher le chemin dans une autre réalité que celle du réel qu’il veut maîtriser.  « Si je ne vois pas dans les mains la marque des clous, si je ne mets pas ma main dans son côté, non, je ne croirai pas. » On pourrait dire qu’à cause de son incrédulité, de son esprit trop rationnel, qui ne croit que ce qu’il a vérifié, Thomas était rendu aveugle et fermé aux réalités du Royaume.  C’est méconnaître tout le travail intérieur de Thomas. Si rien ne s’était passé en lui dans la dimension spirituelle de son être, il n’aurait jamais dans une fulgurance sublime crié la plus belle profession de foi qui soit devant le mystère des plaies du Christ ressuscité : « Mon Seigneur et mon Dieu. »

Thomas devant le mystère des plaies du Christ ressuscité, a donné à Jésus son véritable titre. « Mon Seigneur et mon Dieu. » C’est du fond de son être que jaillit le cri de Thomas : « Mon Seigneur et mon Dieu ». De blessures, celle de Jésus, à blessures, celles de Thomas, une illumination. Thomas en présence du Christ ressuscité fait l’expérience de l’Esprit Saint qui est en lui, qui jaillit et le libère de tous ses blocages, peurs, enfermements, frustrations, déceptions, culpabilité, etc… Le bonheur de Thomas, c’est notre bonheur si nous voulons « croire sans avoir vu ». Nous croyons que les blessures de Jésus sont le signe de l’infinie miséricorde de Dieu. Il a visité en Christ notre misère. Dans ses blessures nous sommes guéris. Le miracle que nous fêtons en ce temps pascal, c’est le miracle de la victoire de la vie sur la mort. La miséricorde de Dieu, c’est l’Amour de Dieu sur la Croix. Par Amour, sur la Croix, la mort a été intégrée dans la puissance de vie de la Résurrection. Et c’est déjà maintenant.