Quelle puissance en Jésus : puissance dans sa prédication : « il enseigne avec autorité et non comme les scribes », puissance quand il enseigne mais aussi puissance pour chasser les esprits impurs. « Il commande même aux esprits impurs, et ils lui obéissent. » Enfin, une autorité qui fera toutes choses nouvelles, enfin la réponse de Dieu aux forces du mal. Se peut-il que l’ère messianique tant espéré puisse advenir ? La parole de Jésus a transpercé leur cœur et le corps a été touché dans toutes les guérisons qu’il a opérées. Christ se préoccupe du corps quand il guérit et il agit, même pour la faim quand elle se fait sentir. « Ils n’ont rien à manger ». Jésus a multiplié les pains et les poissons. Ce geste de puissance a marqué les mémoires par un geste qui prendra tout son sens lors de l’institution de l’Eucharistie ceci est mon corps livré pour vous. Ceci est mon sang versé pour vous. La multiplication des pains dit quelque chose du don eucharistique, de la prodigalité du don de Dieu, de sa générosité. Raisonnons par l’absurde et récrivons l’histoire. Il était une fois un jeune garçon qui avait cinq pains et deux poissons, alors que cinq mille personnes n’avaient rien à manger. Il garda pour lui tout seul ses cinq misérables petits pains, et alla les manger à l’écart de la foule en cachette. C’est raisonnable, vous ne croyez pas. Bien sûr un peu égoïste mais raisonnable ! Qu’est-ce que cinq misérables pains et deux pauvres poissons pour cinq mille hommes ? La logique de Dieu dépasse de beaucoup celle des hommes même si elle prend appui sur le peu que nous pouvons donner. La synagogue de Capharnaüm est remplie de disciples, d’auditeurs subjugués et le voilà que ce prophète de Nazareth parle étrangement. « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. » Jésus va prendre un risque. Ceux qui l’écoutent vont être choqués par ses propos. Plutôt que d’expliquer ce que veut dire ses paroles, Jésus va amplifier le malaise des auditeurs en allant encore plus loin dans la littéralité de son discours. C’est dire l’importance du message qu’Il veut faire passer. Christ va donner sa vie, sa chair. C’est par amour qu’Il le fera jusqu’à concrètement épouser notre chair et cela jusqu’en nos chairs blessées. Jésus leur dit : Amen, amen, je vous le dis, si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas de vie en vous. Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang a la vie éternelle, et moi, je le relèverai au dernier jour. Car ma chair est vraie nourriture, et mon sang est vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, comme moi en lui. (Jean 6.53-56) Que veut dire Jésus par manger sa chair et boire son sang ? Pour la foule juive, c’était offensant. Après tout, manger le sang est impur selon la loi de Moïse (Lévitique 17.12). Le sang de Jésus est le signe d’un amour fou pour son Père et pour nous. Saint Jean au début du chapitre 13 en parle ainsi : « Sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus mit un paroxysme à son amour en les aimant jusqu’à l’extrême. » C’est la folie de l’Amour de Dieu. Pour les gens d’aujourd’hui, ses paroles peuvent avoir l’air obscures et dérangeantes, même si elles ne sont pas prises littéralement. Bien que nous ne nous éloignions pas à cause d’elles, c’est comme si nous les ignorions dans la pratique. Pourtant, n’est-ce pas une manducation spirituelle. Si Jésus insiste sur le côté concret de cette manducation, c’est qu’il ne s’agit pas de butiner dans l’azur, de flyer comme disent les québécois. C’est à prendre comme la réalité de l’amour de Dieu qui se donne à manger et qui se donne à boire jusque dans nos coeur. Le Seigneur parle d’un dépassement de notre propre logique. Le Seigneur va remporter la victoire mais dans une autre modalité que celle qui nous vient spontanément à l’esprit. Nous sommes appelés à être collaborateurs de cette victoire. La toute-puissance nous fascine. Dieu, en Christ va se donner au creux même de son impuissance face à la violence qui se déchaîne contre Lui. Nous qui sommes tentés par la toute-puissance nous avons du mal à comprendre que par amour, Dieu en Christ, se fait vulnérable. Dans la rencontre avec le Christ même si le réalisme et la raison ne sont pas niés, un vent de folie souffle, une perspective s’ouvre. Des fruits inespérés apparaissent. La faim corporelle n’est pas la seule faim que nous ayons. Christ, sans mépriser notre condition temporelle nous ouvre à notre vraie faim. Nourrir nos corps certes mais aussi réveiller notre vrai désir. Réveiller notre vrai désir, au-delà de nos besoins fondamentaux. Nous avons besoin de manger mais pas seulement. Nous avons des besoins psychologiques : besoin d’émotions, besoin d’être aimé et d’aimer, besoin de gérer les énergies du désir et de l’angoisse, besoin de tendresse, besoin de construire une identité reconnue. Pour le dire autrement, besoin de reconnaissance, besoin de donner sens à sa vie, besoin de sécurité. Qui dit besoins dit frustrations. Il me manque toujours quelque chose. Ma vie est tendue vers une recherche de bonheur et de plénitude que je n’ai pas. De plus, je ne suis pas que mon psychisme. J’ai besoin de transcendance. Transcendance ? Quel mot compliqué ! Disons plutôt j’ai besoin d’un souffle qui me traverse, un au-delà de moi-même qui m’ouvre à ce que je suis vraiment et qui m’emmène au-delà de moi-même. Oui mais à propos : qui suis-je vraiment ? Mon profil psychologique ne dit pas le tout de mon être. Je suis comme dit Saint Augustin « capable de Dieu ». De la même manière que le corps est l’interface avec le monde physique, que le psychisme est l’interface avec le monde des sujets, l’esprit lui est l’interface avec le monde divin. Dieu nous connecte avec la dimension spirituelle de notre être. C’est dans le domaine spirituel non déconnecté avec le reste qu’il nous faut mettre notre centre de gravité. Ce domaine n’est pas évident. Cette intériorité dite spirituelle est différente de l’intériorité physique ni même de l’intériorité psychologique. L’intériorité spirituelle est spécifique. Elle n’est pas en soi une capacité naturelle propre à l’homme. Elle prend naissance dans la liberté de la personne qui se décide pour cet au-delà de lui-même. C’est dans cette intériorité que se vivent la foi et l’espérance, c’est dans cette intériorité que grandit notre capacité à aimer. Si cette intériorité est délaissée, abandonnée, elle se rétracte et devient incapable de vivre cet au-delà de soi. La vie spirituelle s’étiole alors. Dieu nous sauve de cela. Besoin d’inouïe, de transcendance, besoin de la logique de Dieu : la « théologique ». La vie chrétienne, c’est ce va et vient entre les choses à faire et ce mystère de transcendance, cet appel à l’inouïe, l’Amour même de Dieu. L’Amour de Dieu capable d’unifier en nous, dans nos vies, tous nos désirs mais aussi capable de nous faire dépasser nos peurs, nos frustrations et même nos incompréhensions. Mais qui a faim de Dieu ? Les scribes et les pharisiens ? Ils sont gavés de certitudes. Comment entendront-ils les paroles de Jésus, à la fin de ce chapitre sur le pain de vie : Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et moi je le ressusciterai. La foule ? Elle est gavée d’une espérance messianique bien fragile face au scandale de la croix. Transcendance oui mais comment la saisir dans la croix. Même Pierre n’en est pas capable. Il faut l’Esprit Saint ! Seigneur, tu nous sauves de nos conflits, de nos frustrations , de nos peurs. Tu nous rencontres au cœur même de nos vies dans nos joies, nos peines, nos dons et nos limites. L’Esprit Saint nous est livré, dans notre vie intérieure, dans les sacrements mais aussi dans la rencontre avec les autres. Pour cela, il nous faut accepter d’être altéré. Se laisser altérer par la rencontre. Altérer dans le sens que l’autre me déplace, me bouscule, je deviens autre. Ex. des parents, enseignants. Je deviens autre par l’autre, pour l’autre. La foule venue rencontrer le Christ s’est laissée transformer. A-t-elle suffisamment faim, avons-nous suffisamment faim pour rencontre et suivre le Christ jusqu’à l’extrême de l’Amour ?
Bmg