Intr.
Nous vivons le premier dimanche de l’Avent, pas tout à fait déconfinés. L’Eucharistie grâce à cette porte ouverte vers le haut nous invite à nous laisser déconfiner intérieurement par le Seigneur. A Noël nous contemplerons Dieu qui se fait enfant-Dieu comme pour nous inviter à entrer dans une grande simplicité, celle de l’enfant capable d’éblouissement devant l’Incarnation du Verbe, devant l’enfant-Dieu tellement vulnérable qu’Il en est désarmant et qu’il peut nous désarmer de notre superbe si nous le voulons bien. Oui, il peut nous apprendre qu’il existe une vulnérabilité d’accueil, une capacité d’éblouissement susceptible de nous faire découvrir la tendresse de Dieu.
Homélie
Nous sommes dans le temps de l’Avent. « Temps de l’Avent », deux mots importants, le temps et l’Avent. Je vous rappelle que
le mot Avent vient de « adventus » qui veut dire « venue ». Christ est venu, Il ne cesse de venir et Il viendra dans la gloire à la fin des temps. Quant au mot « temps », cette notion est unet essentielle pour se situer à la fois dans notre incarnation mais aussi dans le dépassement de notre condition de mortel confiné entre deux dates, celle de notre naissance et celle de notre mort. Christ par ses venues, dans l’humilité de notre condition mortelle, en nos cœurs et dans sa Gloire, désire nous faire rentrer dans ce dépassement. Nous nous préparons donc en ce temps de l’Avent à « accueillir l’Éternité au cœur du temps ». Pendant la traversée du temps de l’Avent, nous allons tout faire pour entrer dans une démarche d’ouverture. Notre pauvre temps menacé par tant de précarités va pouvoir s’ouvrir à l’Éternité de Dieu.
Pour cela, la distinction entre chronos et Kairos est éclairante. Le chronos, c’est le temps qui passe, que l’on peut mesurer, chronométrer, un temps linéaire qui s’écoule comme le sable dans un sablier. Le kairos, c’est un temps lié à un événement fondamental et parfois fondateur qui vient faire irruption dans le temps qui passe, rompant ainsi la continuité et la linéarité de l’histoire. Le Kairos est l’événement de grâce qui vient insuffler, dans le déroulé du temps qui passe, une bouffée de sens venue du Ciel. C’est une manifestation ardente de l’amour de Dieu pour tous et un chacun. Je relate l’expérience d’une paroissienne de St Leu à Paris, dimanche dernier alors que la messe était interdite. Elle sort de son appartenant de la rue St Denis et marche vers Notre Dame des Victoires tout en suivant sur son téléphone la messe du couvent de Faucon que nous avions diffusée sur youtube. Voilà comment elle en parle :
« J’ai d’abord suivi la messe de Faucon dehors, en marchant puis assise sur un banc sur la petite place devant notre Dame des Victoires. Quelle joie d’entendre vos voix, de suivre l’homélie. Au moment précis où a commencé la communion et le chant qui l’accompagne, la porte de la basilique s’est ouverte. Quatre, cinq personnes sont entrées. Il y avait un prêtre devant nous il donnait la communion. Timing merveilleux et impossible à prévoir Grande joie. Amitiés à vous tous ici et là-bas »
Les psy parleraient de synchronicité, les purs rationalistes de hasard et pourquoi pas, pour nous chrétiens de kairos, capable de visiter le temps, le chronos qui alors se déconfine comme un cadeau du Ciel.
Jésus dans le texte d’aujourd’hui s’est comparé à un maître de maison qui part en voyage et donc qui laisse aux serviteurs la responsabilité du temps dans le sens de chronos. En chrétienté, le chronos ne peut prendre sens que dans son lien au kairos.
Marc emploie fréquemment ce mot de kairos, souvent lié à la notion de Royaume. Par exemple, au chapitre 1, verset 5, : « Le temps (kairos) est accompli, et le royaume de Dieu est proche ». L’idée de Kairos est porté à son incandescence dans l’évangile de Saint Jean grâce à un mot spécifique qui est l’expression « l’heure ». Par exemple au Chapitre 13 : « …Sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, mit un paroxysme à son amour en les aimant jusqu’à l’extrême de l’amour ».
L’heure chez Saint Jean, c’est l’événement de la Croix. Le kairos est contemplé en cette heure d’accomplissement comme amour infini.
« Le maître a laissé sa maison, confié à ses serviteurs l’autorité, à chacun sa tâche, et il a donné au portier l’ordre de veiller. » La tentation, en quelque sorte, c’est de dormir, c’est-à-dire de négliger le temps qui passe, sans lui donner tout son sens, c’est-à-dire ne pas tenir compte du kairos, du sens, de la finalité du temps ; or on est tout à la fin de l’évangile de Marc, à quelques jours de la fête de la Pâque, c’est-à-dire juste avant la Passion ; Marc, dit « votre mission, c’est de veiller sur la maison !» Nous sommes ces serviteurs, ce portier, les gardiens du kairos. Voilà la Bonne Nouvelle extraordinaire qui nous sera répétée tout au long de l’Avent : nos vies, si modestes soient-elles, peuvent contribuer à la gestation de l’humanité nouvelle ; c’est ce qui fait notre grandeur. Il a « fixé à chacun son travail » : cela veut dire que chacun d’entre nous a un rôle à jouer, son rôle. Et un rôle efficace puisqu’en partant « il a donné tout pouvoir à ses serviteurs » !
Le mot « veiller » est central dans ce texte. L’expression « portier » dans le texte de ce dimanche nous donne une piste. Le portier, c’est celui qui règle l’ouverture et la fermeture de la porte. Si cette porte est la porte de notre cœur, nous comprenons mieux ce que Jésus veut dire : « ouvrez votre cœur » à tout ce qui vient de Dieu et fermer le à tout ce qui pourrait vous dérouter du chemin de dépassement de votre condition humaine. C’est quitter les distractions, les évasions, les futilités du dehors, pour rentrer dans le sanctuaire de votre cœur profond où vous attend la présence divine. Veiller, c’est entrer davantage dans la prière. C’est descendre plus profondément dans son cœur. C’est consacrer plus de temps à la prière personnelle, à ce dialogue du cœur à cœur avec Dieu. « Veillez ! » Cette vigilance fait de nous des hommes et des femmes de désir et de prière. Et si à certains moments, comme dans la parabole, nous avons l’impression que le maître est parti en voyage, il reste au fond de nous ce souvenir d’un feu qu’il y a laissé, souvenir de l’amour qu’il y a allumé.
Veiller, c’est ne pas être surpris par la soudaineté de l’événement, du kairos qui vient sans prévenir nous désinstaller, nous déplacer. Y sommes-nous prêts, prêts à ce que quelque chose ou quelqu’un traverse notre espace intérieur et y laisse une trace éblouissante, inoubliable. La surprise et l’événement sont liés : se laisser étonner par ce qui arrive est sans doute une condition pour rester vigilant comme le Christ nous y appelle.
Réapprenons pendant ces cinq semaines d’avant à repérer les moments privilégiés (Kairos) et soudains où le Christ vient au-devant de nous, à l’improviste, comme par effraction.
« Ah ! Si tu déchirais les cieux, si tu descendais, les montagnes seraient ébranlées devant ta face. » La prophétie d’Isaïe s’est réalisée dans l’Incarnation du Verbe mais aussi dans notre cœur. C’est l’expérience de Blaise Pascal lors de sa nuit de feu. Voilà les mots qu’il jette alors sur le papier.
« Feu/Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob/non des philosophes et des savants./Certitude, certitude, sentiment, joie, paix./Dieu de Jésus‑Christ/(…) Joie, joie, joie, pleurs de joie. (…) »
Certes, nous n’avons pas tous fait cette expérience de nuit de feu. Surement des expériences du kairos dans nos propres vies. Mais ce qui n’est pas forcément sensible et qui demande un acte de foi, c’est l’Eucharistie. C’est le lieu où Dieu vient transfigurer notre pauvre amour.
L’Eucharistie est par excellence le lieu de rencontre du Ciel et de la terre. Elle est le kairos qui donne sens à tous ce que nous sommes appelés à vivre. Rendons grâce pour ce lieu de conversion, guérison et libération.