C’est à cette foule accablée par la vie, mais aussi à chacun de nous avec ses pesanteurs et ses faiblesses que Jésus adresse son appel : « Venez à moi vous tous qui peinez sous le poids du fardeau !» Lui qui a tout porté sur ses épaules avec sa croix nous invite à nous appuyer sur lui. Il nous tend la main. Il a même une parole qui risque d’être mal comprise : «Prenez sur vous mon joug !» Serait-ce un fardeau de plus ? Je vous livre une confidence qu’un prêtre nous a fait lors d’une retraite qu’il prêchait aux prêtres du diocèse. « Ce texte m’a longtemps attiré et en même temps interrogé.

Attiré parce que, moi aussi, j’ai connu un passage à vide au cours duquel je me suis rendu compte que je perdais ma joie. Alors, quand j’entendais : si vous n’en pouvez plus, venez à moi, ça m’attirait. Mais la suite me repoussait car le joug n’évoque pas bien le repos pour moi. Je me rappelle un poster où l’on voyait une paire de bœufs attelés par un joug en train de labourer, ce poster était merveilleux car on voyait les muscles de ces mastodontes en action. Alors, si c’est ça le repos promis, non merci ! Et puis un jour, je ne sais plus comment ou grâce à qui, j’ai compris que le joug, c’était ce qui permettait de tirer à deux. C’est comme si j’avais entendu Jésus me dire : tu es fatigué parce que tu as voulu jouer au fort et tirer la charrette de ta vie et de ton ministère tout seul, tu t’es épuisé, ce n’est pas étonnant. Reconnais et accepte ta fragilité, alors, tu me prendras à tes côtés et tu pourras aller plus vite, plus loin et avec bien moins d’efforts ».

Le Christ voit le lourd fardeau que nous traînons tout au long de notre vie. Mais il ne veut pas nous laisser seuls. S’il nous invite à prendre son joug, c’est précisément parce que ce fardeau il veut le porter avec nous. Cela ne sera possible que si nous acceptons d’être reliés à lui. Ce qui est important c’est cet appel : « Venez à moi ! » Or quand l’épreuve et le désarroi sont trop lourds, on ne veut voir personne. Celui qui souffre est tenté de s’enfermer dans le silence et l’isolement. Il est convaincu que personne ne peut le comprendre ni le soulager.

« Je referai vos forces », nous dit Jésus. Cela veut dire qu’il vient nous relever par une force intérieure nouvelle. Il veut nous faire revivre, renaître. En nous donnant son Esprit Saint, il nous donne une énergie nouvelle pour marcher à nouveau et repartir vers une nouvelle étape. Nous ne serons pas dispensés de nos responsabilités. Nos fardeaux n’auront pas disparu. Mais ils cesseront de nous anéantir. Nous ne serons plus seuls à les porter.

La phrase introductive à la prière de Jésus est spécifique à Luc. « À l’heure même, Jésus exulta de joie sous l’action de l’Esprit Saint ». L’insistance de Luc sur l’exultation de Jésus quand il prie son Père est comme s’il nous prévenait: « ce qui va suivre est fondamental ». C’est comme si nous étions invités à la joie du Seigneur dans sa relation à son Père sous la puissance d’amour de l’Esprit Saint. Ce qui est livré c’est l’intimité du Père, du Fils et du saint Esprit, c’est-à-dire l’amour qui circule dans la Trinité ! Nous sommes désireux d’entrer dans cette intimité qui nous est proposée. Notre cœur peut-il l’accueillir ? A qui Jésus propose cette intimité ?  « Aux tout-petits » ! A qui cet amour n’est pas accessible ? « Aux sages et aux savants » !

Plus précisément, à ceux qui pensent savoir, qui pensent être sages. Pour reprendre une expression de Paul ceux qui vivent selon la chair. Vivre selon la chair, c’est vivre uniquement dans la fragilité de la chair. C’est ne se recevoir que de soi, enfermé autour de son petit moi, non relié à la source qu’est l’amour de Dieu. C’est ne pas comprendre qu’être libre c’est travailler pour que son moi soit en Alliance avec l’amour qu’est Dieu. Découvrir sa dimension spirituelle est pour l’homme un vrai défi et souvent une vraie consolation surtout quand la souffrance, la précarité, un certain dénuement viennent en faire une question vitale. Découvrir sa dimension spirituelle est une source de joie car ce lieu intérieur est un espace à explorer, il est un espace d’accueil d’un au-delà de soi. Le cœur profond se dilate et exulte alors. L’intelligence, la culture ne sont pas des handicaps à cette connaissance dont parle Jésus. Ce qui est obstacle, c’est la fermeture du cœur autour d’un savoir, c’est surtout la suffisance qui enferme dans les limites du moi. Criions vers Dieu, qu’Il nous plonge dans son cœur ouvert et miséricordieux.