Jean le Baptiste, dans sa prison, avait appris ce que faisait le Christ. Il lui envoya demander par ses disciples: « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre?» Jésus leur répondit: « Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez: Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres.

Heureux celui qui ne tombera pas à cause de moi !» Tandis que les envoyés de Jean se retiraient, Jésus se mit à dire aux foules à propos de Jean: « Qu’êtes-vous allés voir au désert? un roseau agité par le vent?… Alors, qu’êtes-vous donc allés voir? un homme aux vêtements luxueux? Mais ceux qui portent de tels vêtements vivent dans les palais des rois. Qu’êtes-vous donc allés voir? un prophète? Oui, je vous le dis, et bien plus qu’un prophète. C’est de lui qu’il est écrit: Voici que j’envoie mon messager en avant de toi, pour qu’il prépare le chemin devant toi. » En annonçant que Jean-Baptiste est envoyé en avant de lui, Jésus prophétise et donne tout le sens de son martyr. Jésus le présente comme le messager qui le précède dans l’acte pur de Rédemption.

C’est un difficile chemin. Jean-Baptiste est troublé comme Jésus le sera. Jean cherche à comprendre et s’appuie pour cela sur celui qu’il a désigné comme le Messie mais aussi comme l’agneau. Jean-Baptiste a besoin d’une lumière en sa nuit. Dans le sombre cachot d’Hérode où il a été jeté, il vit une véritable nuit de la foi. Isaïe avait bien dit que le Messie viendrait essuyer les larmes des souffrants, qu’il amènerait avec lui l’ère messianique et voilà qu’il se retrouve dans la nuit noire d’un cachot, en danger de mort.

«Es-tu vraiment celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre?» Pour que Jean-Baptiste traverse sa nuit, Jésus lui donne un texte d’Isaïe. Jésus répond aux envoyés : « allez rapporter à Jean ce que vous avez vu et entendu : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. Heureux celui qui ne se scandalisera pas à cause de moi.» En citant délibérément ce texte, il dit deux choses : que lui, jésus, est bien le Messie.  Il précise quel genre de Messie il est et quel est le visage du Père qu’il est chargé de révéler. Dieu ne se manifeste pas par des gestes de vengeance et de triomphe, mais par des actes de bonté envers les défavorisés et les souffrants, les aveugles, les boiteux, les lépreux, les sourds, les publicains et les pécheurs. Sachant que ce genre de Messie ne correspond pas à l’attente des gens, le Christ ajoute : «heureux ceux et celles qui ne se scandaliseront pas, qui ne trébucheront pas à cause de moi».

Plusieurs textes feront sens pour Jean-Baptiste car Isaïe ne s’est pas contenté de décrire l’ère messianique qui est la finalité notre vie sur terre, à savoir un monde pacifié, réconcilié, vivant dans la bienveillance et l’amour. Nous avons tous dans le cœur, ce désir de cohérence, d’harmonie, de paix,  de joie. Comme Jean-Baptiste, nous sommes impactés par la violence de ce monde. Jésus ne les cite pas expressément mais certains textes d’Isaïe tentent de traiter implicitement de ce paradoxe douloureux. Ce que vit Jean-Baptiste, impactant sa chair, ce sont les forces du mal. Certains textes d’Isaïe que l’on appelle oracles du serviteur décrivent ces forces du mal s’abattant sur l’Innocent. Au chapitre 40, le troisième chant du serviteur souffrant raconte : « Frappé, il durcit le dos, il durcit aussi son visage et son front face à ceux qui le brutalisent. Son seul appui est le Seigneur. » Is 53 continue  « On le maltraite et lui se soumet et n’ouvre pas la bouche, semblable à l’agneau qu’on mène à la tuerie. » Isaïe conclut ce quatrième chant du serviteur par cette phrase : « Le juste mon serviteur justifiera beaucoup d’hommes. » Jean-Baptiste devance Jésus. Dans son martyr, il préfigure celui du Christ. Sur la Croix, souffre le Messie humilié mais surtout le Messie victorieux par le feu de son amour capable de nous rejoindre même au fond de nos prisons. C’est ce feu de l’amour divin qui ira dans le feu de l’Esprit Saint jusqu’à la folie, jusqu’au paroxysme de l’amour révélé sur la Croix.

Un autre que Jean-Baptiste a été enfermé dans un cachot. Il s’agit de Saint Jean de la croix. Enfermé par ses frères, il a pu méditer sur l’expérience mystique qu’il y a fait. Dans le noir d’un cachot, il est privé de la lumière. C’est comme si, dans le domaine spirituel, il était plongé dans la nuit des sens. Dans le sentiment d’être abandonné par Dieu, la nuit des sens peut se transformer en nuit de l’esprit. L’anthropologie de Saint Jean de la Croix est fondée sur ces deux expériences mystiques qu’a dû vivre aussi Jean-Baptiste, comme Thérèse de Lisieux, Mère Térésa et bien d’autres encore. L’être humain a une porte ouverte sur l’Esprit de Dieu, c’est son esprit (avec un petit e). Faire l’expérience de la nuit des sens, c’est l’invitation à explorer la dimension spirituelle de notre intériorité. Faire l’expérience de la nuit de l’esprit, c’est l’invitation à choisir Dieu pour lui-même, n’ayant plus aucun repère autre que notre volonté de croire malgré la nuit et dans un pur acte de foi comme celui de Thérèse de Lisieux : « je veux célébrer ce que je crois même si j’ai le sentiment de mettre assise à la table des mécréants, même si mon ciel est bouché. » Ce que vivent les croyants dans leur nuit de la foi, c’est cela même.

Christ nous fait comprendre dans le feu de l’Esprit Saint combien nous sommes aimés jusqu’à la folie, jusqu’au paroxysme de l’amour révélé sur la croix et annoncé par Isaïe. Il nous rejoint jusque dans nos nuits et dans l’écartèlement de notre désir d’un monde pacifié et en pleine contradiction avec la réalité de la misère du monde. Pour éviter les inévitables tensions entre nos désirs et la réalité, nous élaborons, inconsciemment ou non, de savantes stratégies qui nous rassurent et nous protègent, mais nous perdons un peu de notre humanité et surtout de notre lucidité. Il nous faut résister en contemplant le Christ dans le don de son amour. Le dessein de Dieu, c’est de libérer l’humanité à travers le sang du serviteur souffrant. Talia en Araméen signifie agneau. Dans les langues sémitiques, chaque mot a souvent plusieurs sens. Talia veut dire aussi serviteur. Jésus ne fera pas sortir Jean-Baptiste de sa prison mais le rejoindra plus tard dans son martyr comme agneau immolé. Sur la Croix, souffre le Messie humilié mais surtout le Messie victorieux par le feu de son amour capable de nous rejoindre même au fond de nos prisons. C’est ce feu de l’amour divin qui ira dans le feu de l’Esprit Saint jusqu’à la folie, jusqu’au paroxysme de l’amour révélé sur la croix et livré en son Eucharistie.