Proclamer le règne de Dieu et faire des libérations et des guérisons, deux réalités qui vont de pair. Le Règne de Dieu, c’est la victoire sur le mal et son auteur Satan. D’où la double consigne de Jésus donné au douze et le double pouvoir qu’il leur donne. Voyager léger car ce que vous allez vivre est prophétique de cette victoire sur le mal. Allez de maison en maison sans vous attarder quand les gens ne sont pas prêts à entendre cette bonne nouvelle de la victoire sur le mal.
Ce qui est démontré dans ce récit symbolique, c’est que non seulement Christ va lutter contre le mal mais il va aller à la racine du mal. Ce que nous voyons tous les jours, c’est divisions, aliénations insurmontables. La première est l’aliénation entre l’homme et la nature dont on prend cruellement conscience actuellement. La seconde est la division des hommes entre eux dans les diverses sphères de la sexualité et de la famille, du travail et de la vie économique, de la vie politique enfin. Plus radicalement encore, les hommes font l’expérience d’une division à l’intérieur d’eux-mêmes et se sentent séparés de l' »absolu » qu’ils désirent de toutes leurs forces. Victime, parce qu’il entre dans un monde déjà marqué par ces maléfices objectifs qui vont s’abattre sur lui : le mal nous précède toujours. Coupable, parce qu’il en devient immédiatement complice et qu’il ajoute peu ou prou à ce poids global du malheur de l’humanité.
Nul n’a inventé le mal, nul ne le commence, mais tous le recommencent. Toute mentalité, toute culture véhicule un certain état des mœurs, une série de jugements de valeur, qui comportent des points aveugles et des déformations. Nulle culture n’est innocente. « Le mal fait partie de la connexion interhumaine, écrit Paul Ricoeur, comme le langage, comme l’outil, comme l’institution ». Le mal est donc largement « transmis ». Il est tradition. De cet état de choses, personne ne peut se considérer comme indemne. Nous constatons que le péché est contagieux. Les mauvais exemples sont vite suivis. On ne pèche donc jamais pour soi tout seul. L’autorité que donne le Christ à ses apôtres, c’est essentiellement celui du Christ thérapeute qui libère et guérit.
Plus que cela, le Christ va à la racine du mal pour le monde encore en souffrance, non réconcilié. La sanctification personnelle de chacun est sanctification pour le monde. Nous avons dit que Dieu libère et guérit. Je vais prendre deux exemples extrêmes. C’est vrai que cela semble loin de nous. Nous n’avons tué personne. Ce qui est décrit là avec des arrêtes vives, nous pouvons nous l’approprier dans une situation de vie plus paisible. Ce qui est valable dans le paroxysme du mal est valable nous pauvres et simples pêcheurs.
Il arrive que Dieu se sert du malheur et même du mal pour faire le bien. C’est l’histoire d’André Breuil. Je l’ai rencontré à la prison psychiatrique de Château Thierry. Il m’a raconté son histoire : « J’avais vingt ans. J’étais jeune et con, disait-il. J’avais besoin d’argent alors j’ai fait un braquage. Un flingue, une bonne dose d’alcool pour me donner courage, j’ai demandé la caisse dans une banque. Le caissier m’a posé l’argent sur le comptoir. J’ai pas voulu le faire mais le coup est parti. J’ai eu beau dire que je n’avais pas voulu le tuer, j’ai été condamné à perpet.
Le caissier, avant de le tuer, je l’avais vaguement reconnu. Plus tard j’ai su que c’était quelqu’un de mon village. J’ai écrit une lettre à sa veuve et au curé du village. J’ai écrit à la veuve : ‘j’ai tué votre mari et je vous demande pardon’. La première réponse a été celle du curé qui m’a dit « la femme du caissier est une sainte femme. Vous ne regretterez pas de lui avoir écrit ». La réponse de cette femme est enfin arrivée. Elle me disait :’ce que vous avez fait est impardonnable ; cependant je vous pardonne.’ Sa lettre m’a bouleversé.
C’est impossible de pardonner comme cela. Alors j’ai compris que Dieu me pardonnait. La Parole de Dieu je l’ai alors dévorée. » Quand moi, j’allais le voir dans sa cellule, je prenais des notes pour mon homélie en paroisse. Éric le Rouge, ancien condamné à mort, gracié par la loi Badinter puis libéré et la juge d’application des peines l’ont convaincu de sortir de prison. Au début, après vingt ans de prison, impossible pour André de s’habituer à la liberté. Il a franchi le cap et va bien. Dans cette même prison, j’ai rencontré Gustave, le tueur à gages. Il m’avait affirmé qu’il croyait en Dieu. « On va peut-être faire un bout chemin ensemble, lui avais-je répondu. Inutile ! a été sa réponse. Dieu, Il m’a déjà mis en enfer.
Entre André le braqueur et Gustave le tueur à gage, un abîme. André une grande idée de Dieu, capable de transformer le cœur de l’homme ; pour Gustave le tueur à gages une idée déformée de Dieu et de l’homme. Il a projeté sur Dieu son mal : le mal qu’on lui a fait et le mal qu’il a fait. Fausse image de Dieu, incapable de guérir et de pardonner, fausse image de l’homme, incapable d’accueillir libération et guérison des mains mêmes de Dieu. Jésus ouvre un chemin vers la vie à tous ceux qui le suivent (depuis les disciples et les douze apôtres jusqu’aux baptisés que nous sommes aujourd’hui).
Cette vie est relation à Dieu et aux autres. Nous savons que tout cela ne va pas de soi. Vivre la vie comme relation à Dieu et aux autres signifie nous reconnaître fils et filles de Dieu, et donc frères et sœurs les uns des autres. Lorsque nous entendons parler de guerres autour de nous, lorsque nous voyons les énergies dépensées par tant de personnes avides de posséder tel bien ou tel honneur, lorsque nous repérons les manières dont nos existences (personnelles ou collectives) sont parfois dévorées par des bouffées de jalousie, d’envie, d’orgueil, ou encore – de manière plus subtile – par le désir de ne rien devoir à personne, nous comprenons que l’entrée dans une vie de relation à Dieu et aux autres est un combat spirituel. C’est bien ce que signifie la suite de Jésus.
Demandons donc aujourd’hui au Seigneur qu’il ouvre toujours plus notre cœur à l’œuvre de vie qu’il désire accomplir en nous et autour de nous, qu’il fasse de nous des serviteurs de cette vie, surprenante et grande … des hommes, des femmes et des enfants qui se mettent à la suite de ce Jésus, habité de compassion pour tous et chacun.