Dans les Actes, Etienne va, le premier, donner sa vie pour le Christ. « Martus » en grec se traduit par martyr mais aussi par témoin. Pour être témoin, un vrai témoin, un témoin crédible, il faut donner sa vie. Et on voit qu’il y a plusieurs moyens de donner sa vie. Au départ, Etienne avait été choisi pour le service des tables, une manière bien humble et effacée de donner sa vie. Accomplir avec zèle et amour la mission qui nous est donnée, surtout quand cette mission est humble, c’est une belle manière de donner sa vie ! Donner sa vie vraiment est parfois audacieux car c’est une porte ouverte à l’action de l’Esprit Saint. S’enfermer dans son ego n’attire pas l’Esprit Saint. S’ouvrir à plus que soi, se laisser traverser par L’Esprit dans une grande disponibilité permet à L’Esprit Saint d’allumer un feu dans notre vie. Ce feu, c’est la dimension prophétique de notre baptême. Ce fut le cas pour Etienne. Poussé par l’Esprit, du service de la table, il passe à la prédication.
C’est d’ailleurs ce qui lui vaudra son arrestation car ses prédications, le moins qu’on puisse dire c’est qu’elles n’étaient pas à l’eau de rose ! Ac 7, 51-53 : « Hommes à la tête dure, votre cœur et vos oreilles ne veulent pas connaître l’Alliance : depuis toujours vous résistez à l’Esprit Saint; vous êtes bien comme vos pères ! Y a-t-il un prophète que vos pères n’aient pas persécuté ? Ils ont même fait mourir ceux qui annonçaient d’avance la venue du Juste, celui-là que vous venez de livrer et de mettre à mort. Vous qui aviez reçu la loi communiquée par les anges, vous ne l’avez pas observée. » Pas à l’eau de rose, c’est sûr !
Thérèse de Lisieux, entre autres, dira qu’il y a deux manières de vivre le martyr : il y a le martyr de sang dans lequel on se donne en une fois et le martyr de l’amour dans lequel on donne sa vie, geste d’amour après geste d’amour. Je pense souvent à cette forme de martyr à propos des parents d’enfants handicapés, dépendants. On peut dire qu’Etienne aura vécu les deux formes : il a commencé par le martyr d’amour en se donnant au service des tables et en allant bien au-delà de ce qu’on lui demandait, ce qui l’a préparé à se donner ensuite totalement en acceptant de mourir pour le Christ.
Le film « des hommes et des dieux », raconte les événements tragiques , en Algérie au printemps 1996, au cœur de la barbarie terroriste. Dans le monastère de Tibhérine, des sentiments variés, souvent contradictoires s’agitent dans le cœur de chacun des moines à l’idée d’un éventuel martyr. Rester ou partir, tel est la question cruciale qui trouble la communauté. A un moment dans le film, on assiste à une discussion entre Christian de Chergé, le prieur et le frère Christophe. Christophe a peur de ne pas être capable de donner sa vie dans l’éventuel martyr sanglant qui les menace. Christian lui répond cette phrase admirable : « mais ta vie, tu l’as déjà donnée ! »
Donner sa vie, c’est une grâce à demander tous les jours. Le martyr sanglant est le fruit ultime de ce don de soi. Luc raconte la mort d’Etienne comme il a raconté celle de Jésus. Etienne est tellement plein du Christ, qu’il parle comme lui, qu’il agit comme lui. Donner sa vie, ce n’est pas donner sa mort même si le don de soi peut amener au martyr. Donner sa vie, c’est faire suffisamment de place à l’amour de Dieu, pour vivre de cet amour capable de traverser la croix. La qualité d’amour dans la foi chrétienne est due à la rencontre avec le Christ. Lorsque le Fils prend figure humaine, il transporte sur son visage et dans ses yeux et jusque dans toute la puissance de son amour d’homme, la parfaite image de son Père. Le regard du Fils rencontrant le regard du Père, s’y ressourçant sans cesse comme on plonge et replonge dans un amour pour en être renouvelé sans fin.
Cet amour-là s’est fait chair pour nous et nous sommes aimés de cet amour là, appelés à en vivre et ce jusqu’à la folie de la croix.
C’est la Passion et la résurrection qui nous ouvrent au mystère du Père. La croix est ce retournement de Dieu contre lui-même dans lequel il se donne pour relever l’homme et le sauver. Cette action qui nous sauve continue à donner son fruit dans l’acte d’offrande de l’Eucharistie.
En Dieu, tout notre être, quand il est ouvert à la grâce, est habitée de l’amour divin. Cet amour en nous tient le cap, imperturbable, il maintient l’adhésion secrète à la vie, à l’amour, aux choses bonnes, à ce qui va venir et qu’il faudra vivre et vivre bien, et ce éventuellement jusqu’au martyr. L’amour divin en nous est extase non pas dans le sens d’un moment d’ivresse mais extase comme chemin, comme exode permanent allant du « je » enfermé sur lui-même vers sa libération dans le don de soi.
Pour connaître Jésus vraiment, nous ne pouvons le faire sans le Père. Celui qui ne serait pas d’une façon ou d’une autre touché par le Père et sous sa mouvance, ne pourra reconnaître Jésus. Sur chacun d’entre nous, le Père exerce une secrète attirance qui nous pousse doucement vers Jésus. « Le Père lui-même vous aime ( Jn 16, 27). »
Le Père nous ouvre l’esprit à plus que nous-même dans nos capacités naturelles en nous envoyant son propre Esprit.
Ce qui est nouveau, ce qui nous est donné pour que nous entrions dans une compréhension profondément spirituelle de ce que Jésus révèle du Père, c’est le don de l’Esprit Saint. « L’Amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné », nous dit St Paul ( Rm 5,5).
« L’Esprit Saint, nous en avons reçu la marque. Ne le contristons pas ! » Quelle belle expression ! Littéralement n’attristez pas l’Esprit Saint. Faut-il en déduire que l’Esprit Saint nous est intime, qu’il est quelqu’un qui nous aime et qu’il puisse avoir de la peine devant notre conduite ? C’est l’Esprit qui fait de nous des croyants. Cet Esprit nous l’avons reçu. Frères, vous avez reçu en vous la marque du Saint Esprit de Dieu. La vie de l’Esprit Saint en nous est un don fragile. Fragile certes mais indélébile. Cette marque nous l’avons reçu, vivons-en !
Nous pouvons négliger la vie de l’Esprit en nous-même mais jamais nous ne perdrons sa marque. Nous pouvons négliger la vie de l’Esprit en nous mais quel dommage de passer à côté de nous-même. C’est vrai la vie moderne nous décentre de l’essentiel. Si l’Esprit nous conduit, si nous prenons soin de la vie divine en nous, en nos vies, nous continuerons à être attirés vers l’autel, vers l’Eucharistie, source et sommet de la vie chrétienne. Dans l’Eucharistie, le Christ nous offre au Père dans l’Esprit Saint, expression parfaite de leur amour.
Bmg