Nous aurions aimé une résurrection triomphante avec les trompettes comme celles de l’Apocalypse. Or tous les textes d’apparition du Ressuscité sont mystérieux voire opaques. Un exemple : le texte que nous méditons aujourd’hui fait suite à la deuxième apparition de Jésus ressuscité aux « Dix » et huit jours après au « Onze », Thomas étant alors présent.
Dans le texte d’apparition que nous venons d’entendre, nous est décrit Pierre, Jean, Thomas et les autres pêchant dans leur barque comme si rien ne s’était passé. Ils pêchent non des hommes mais des poissons qu’ils n’attrapent pas. Ils ne sont pas encore pleinement dans la mission. Pourquoi ne le reconnaissent-ils pas tout de suite alors qu’ils l’avaient reconnu à Jérusalem? Deuxième question : quand Pierre reconnaît enfin Jésus et avant de se jeter à l’eau, il enfile un vêtement. Pourquoi ce geste ?
Si Jésus multiplie les apparitions entre le dimanche de la Résurrection et son ascension, c’est pour installer dans la mémoire des apôtres une expérience du Ressuscité, non encore dans la gloire mais reconnaissable à ses plaies, à des événements qu’il a vécu avec les apôtres, celui de la pêche miraculeuse, celui du partage du poisson. Chemin de reconnaissance et certitude que le Ressuscité qui leur apparaît est bien celui qui a partagé leur vie. Plus que cela le Crucifié, c’est le Ressuscité. Non un fantôme mais le premier né d’entre les morts. Pour entrer dans une telle compréhension, le chemin est long! D’où ce sentiment de flou artistique, ce mystère de Jésus passe-muraille. En fait ces textes disent la pédagogie divine. Un petit symbole qui montre cela: l’expression « les enfants ». « Les enfants, auriez-vous quelque chose à manger ? » D’où aussi la répétition de l’événement de la pêche miraculeuse. Autre répétition : le disciple bien-aimé a reconnu avant Pierre son Seigneur car il avait posé sa tête sur son cœur le jeudi saint et il est alors capable de le reconnaître le Ressuscité grâce à l’intelligence de son cœur. C’est le cœur qui saisit dans un seul regard le mystère de du Ressuscité. On est en Galilée, le lieu même de l’intimité partagé avec le Seigneur et aussi le carrefour des nations d’où partira vers les quatre coins du monde la Bonne nouvelle de la Résurrection.
C’est bien un chemin que fait faire Jésus aux apôtres. A Jérusalem, l’évidence de la Résurrection, en Galilée l’amorce de la rupture. C’est comme s’il s’éloignait déjà dans un flou artistique. C’est aussi l’invitation à la mission. La rupture, c’est celle qui aura lieu à l’ascension mais pour une autre présence, celle de l’intimité mystérieuse du cœur à cœur et ce, d’une manière éminente, dans l’Eucharistie. Jésus apparaît dans le flou artistique d’une présence qui se cherche et qui se trouve dans l’intériorité la plus profonde de notre être.
Le mot chemin est d’une grande importance. Il indique l’acquisition d’une connaissance ou plutôt d’une re-connaissance qui se fait dans une certaine progressivité: pas seulement les plaies mais aussi l’expérience d’intimité qui ne sera pas perdue même si elle prend une autre forme.
Il reste la question du geste de Pierre qui passe un vêtement pour se jeter à l’eau. Être nu dans le monde juif contemporain à Jésus, c’était se rendre vulnérable et s’exposer à tout danger. Adam dans sa rupture avec Dieu prend conscience que, séparé, isolé, il est vulnérable, sans protection. Pierre qui a renié trois fois n’est pas tout à fait guéri de sa trahison. Comme Adam qui se couvre de feuillage, Pierre passe un habit. Jésus va donc réhabiliter Pierre et chasser toute sa honte d’avoir renié grâce au dialogue qui suit
« Pierre m’aimes-tu ? ». Par trois fois cette question va être pour Pierre un chemin de réconciliation avec lui-même et en même temps l’expression d’une humilité provoquée par le regret de son reniement. La nouvelle traduction liturgique a pris en compte les différents termes grecs que l’ancienne traduction traduisait seulement par le mot « aimer ».
« M’aimes-tu vraiment ? » traduit le mot agapè : qualité d’amour que l’on trouve en Dieu. « Je t’aime », traduit le mot philia que l’on peut traduire par amour amitié. Pierre sait très bien qu’il n’a pas été capable d’amour agapè. Il répond par le mot philia. Pour la deuxième fois Jésus lui pose la question toujours avec le mot agapè. Pierre insiste pour dire que ce n’est que de philia qu’il l’a aimé. Jésus pour la troisième question se met à la portée de Pierre en utilisant le mot philia. C’est de notre pauvre amour dont Jésus a besoin pour nous emmener vers l’amour agapè. Après lui avoir donner sa mission, il lui annoncera qu’il sera capable d’amour agapè dans son martyr. « Sois le berger de mes brebis. Amen, amen, je te le dis : quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture toi-même pour aller là où tu voulais ; quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller. »
Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité.
Toute soif, toute détresse, toute injustice, toute foi vivante, toute compassion ont été déposées auprès de Dieu, au pied de la Croix. Jésus dans la gloire est aussi Jésus dans notre intimité.
Dieu nous précède dans ce monde nouveau de la résurrection. Christ est ressuscité et c’est pour nous qu’Il est ressuscité.
Les effets de la résurrection agissent déjà dans notre vie. Au milieu de notre chaos, Dieu trace un chemin de libération. Il nous précède dans la plus éblouissante nouveauté. La résurrection est cette nouveauté, cette nouvelle création dans nos vies.
Bmg