« Jésus, maître, prends pitié de nous. »
Les dix lépreux ont dit leur désir de guérir mais ils sont restés à distance. Ne pas s’approcher est une des règles les concernant. Tous les dix observent ces règles. Jésus en leur disant « Allez-vous montrer aux prêtres » , les confirme dans l’observation de ces règles. Ils acceptent donc d’aller au bureau de constatation de la guérison. Mais ils ne sont pas encore guéris ! Quelle confiance ! Il a fallu faire un sacré acte de foi pour se mettre en route sans être guéris au préalable. C’est beau cette guérison collective. Ils ont respecté les règles et ont cru que Jésus pouvait les guérir. Après leur guérison, pour neuf d’entre eux, la priorité, c’est de vite aller chercher l’attestation de guérison pour retrouver une vie normale. Jésus ne les a pas seulement guéri, il leur a fait faire tout un chemin de conversion. Ils ont obéi et suivi les consignes : se montrer au prêtre, c’est ce qu’ils doivent faire. Ils ont une foi bien structurée dans un judaïsme rigoureux. L’urgence du moment, c’est donc d’accomplir la loi.
Jésus à l’air de se contredire quand il loue le Samaritain d’avoir désobéi. Plus que cela, il a l’air de s’étonner que les neuf autres aient été jusqu’au bout du chemin de conversion que lui-même leur avait indiqué. Pourquoi, dans le texte de la guérison des dix lépreux, l’étranger, le Samaritain a compris ce que les neuf autres n’ont pas saisi ? Ils n’ont pas saisi que le prolongement de la guérison, c’est la rencontre avec la source de toute vie.
Le Samaritain a fait demi-tour, s’est retourné pour rendre gloire à Dieu. Il a opéré une metanioa, une conversion. Cet étranger a vu Dieu en Jésus. « Il se jeta la face contre terre aux pieds de Jésus en rendant grâce. »
C’est dire la grande clairvoyance de ce Samaritain. Il est étonnant que Jésus l’appelle l’étranger. Certes, il est samaritain ! Au temps de Jésus, Samaritains et Juifs se haïssent. À Jérusalem, la pire insulte, c’est espèce de Samaritain. Cependant, les Samaritains appartiennent au peuple d’Israël; hérétiques certes pour les Judéens, étranges dans leur pratique religieuse mais pas étrangers à la promesse et à l’Alliance. Dix ont été guéri, un a été sauvé ? « Relève-toi et va : ta foi t’a sauvé. » Ce n’est pas si simple. Cela ne veut pas dire que les neuf autres n’ont pas été sauvés mais plutôt qu’ils ne sont pas allés jusqu’au bout de leur conversion. La priorité du Samaritain, c’est d’écouter son cœur profond, là où jaillit la reconnaissance. C’est plus facile d’entendre dans un cœur brisé et broyé. Même après avoir été guéri, il continue à être un marginal, il continue à entendre le pauvre, l’étranger en lui qui continue à crier très fort mais c’est l’action de grâce qu’il crie maintenant. Seul le Samaritain a pu crier sa reconnaissance du fond même de sa pauvreté, de son indigence visitée par la rencontre avec Jésus parce qu’il n’oublie pas qu’il est un paria, qu’il reste un pauvre. Dieu agit d’abord dans ce qui en nous est en souffrance, étrange, étranger. Il agit pour guérir mais aussi pour convertir. Il retourne notre cœur non seulement pour nous libérer du mal qui nous accable mais aussi pour mettre en nous la joie d’aimer et d’être aimé comme un pauvre. La nouveauté de l’Evangile, c’est que Jésus est venu nous apporter une nouvelle vie mais aussi une place dans la vie même de Dieu. Pour cela, il nous faut l’accueillir comme un pauvre. Le Samaritain, non seulement a été guéri, mais il a compris que c’est dans sa pauvreté que l’on accueille la grâce. Jackie Van Thuyne, le braqueur de la bande des Belges, associé à la bande des gitans, c’est fait prendre lors d’un braquage. Il avait retardé le départ car une femme et un enfant approchait de la banque. La police est arrivé et ce fut la fusillade. Il a blessé deux policiers. L’un d’eux au procès a dit : « je ne suis pas sûr qu’il ait eu l’intention de me tuer. » Huit ans de prison et toujours la rage au ventre. En prison, un cri vers Dieu : le cri du truand : « Dieu, si tu existes fait quelque chose pour moi. » Dans la nuit il a fait l’expérience de la tendresse de Dieu. Libéré, il m’a aidé à la prison de Château-Thierry où j’étais aumônier. « J ’ai reçu une goutte de vraie vie dans mon néant. » Ces mots qui vibrent d’émotions quand il me les a dit sont la quintessence de ce qu’il a vécu, comme une visite de la tendresse de Dieu dans ses nombreuses blessures d’enfance. Lorsqu’il était enfant, son père ne lui parlait jamais, toujours il lui criait dessus ou le frappait. Aimer Dieu, c’est prendre appui sur nos expériences d’amours humaines. Mais quand rien n’a été donné, même pas le minimum vital ? Parfois Dieu enclenche comme un départ vers une profonde réparation. Le Père de Jackie, pas celui qui le battait mais son Père du Ciel, lui a donné une grâce sensible. Alors s’est ouvert devant lui, tout un espace de guérison et de libération. La peur, l’angoisse, les blessures encore ouvertes de notre histoire font parfois obstacle à cette descente en nous même, dans notre pauvreté, là même où Dieu veut nous faire grâce. Il existe un niveau, plus profond que notre péché, plus profond que notre angoisse, en deçà de nos ténèbres, souvent enfouies dans le déni, neutralisé par nos mécanismes de défense, en attente d’être vraiment regardées et assouplies, il s’agit de notre ombre, le pauvre, l’étrange, l’étranger en nous qui cherche à exister, silhouette famélique, cachée au creux de notre aveuglement, appelé par la lumière douce et miséricordieuse de Dieu à la lumière de notre conscience. Dans cette lumière, tout devient lumière, tout prend vie et couleurs. Notre ombre, c’est ce qui, en nous, n’a pas pu advenir à la pleine lumière, ce qui, en nous, stagne dans les grisés de l’attente d’un regard de bienveillance. Notre propre regard sur nous-même est parfois si dur, pourquoi ne pas décider de nous aimer mieux? Nous sommes souvent tellement dépendants du regard des autres, pourquoi ne pas accepter de nous laisser mieux aimer en étant plus aimables? Nous mettons toute une vie pour accepter que Dieu nous aime infiniment mieux que l’ont fait nos parents, pourquoi ne pas, dès maintenant, accueillir dans la foi Celui qui jamais ne désespère de nous mais qui, bien au contraire, nous révèle la merveille que nous sommes à ses yeux.
De la guérison à l’action de grâce, c’est une quête qui ne cesse de nous mettre en mouvement. L’action de grâce, c’est aussi la mission. C’est par nos vies que nous rendons grâce. Ephésiens 5 13 « vous êtes devenus enfant de lumière alors faites les œuvres de lumière. » Tout ce qui mis au jour, devient lumière. Il s’agit de l’ombre en moi qui devient lumière. C’est le passage de Dieu dans ma vie.