Jésus annonce un évènement ou plutôt un avénement: sa venue lors de laquelle il récapitulera toutes choses et assumera en Lui toute l’histoire de toute l’humanité. Comment comprendre dans le texte de l’Évangile de ce dimanche l’annonce de l’imminence d’une venue qui ne s’est pas toujours pas réalisée?
« Amen, je vous le dis : cette génération ne passera pas avant que tout cela n’arrive…Quant à ce jour et à cette heure-là, nul ne les connaît, pas même les anges dans le ciel, pas même le Fils, mais seulement le Père. »
Beaucoup de générations se sont succédées depuis et pourtant nous attendons toujours qu’Il vienne. Jésus avait annoncé sa venue imminente mais aussi dans un temps indéterminé dont la date est ignorée des anges et même du fils de l’homme.
On parle donc de deux événements, l’un que l’on peut dater et qui a déjà eu lieu et un autre qui fait partie de ce que l’on appelle la tension eschatologique.
Tout d’abord, l’attente eschatologique.
L’annonce de la venue de Jésus en gloire s’accompagneneront de signes d’ébranlement du monde et même dans le texte de ce dimanche des signes d’ébranlement du Ciel. Ce bouleversement est le signe d’un changement, d’une rupture avec l’histoire. Un passage, une Pâque se prépare.
Le genre apocalyptique utilise des symboles pour soulever le voile et révéler par des images provocantes comment le dessein bienveillant de Dieu s’inscrit dans l’histoire des hommes confrontés au mal.
L’Evangile voulant dire « Bonne nouvelle », il nous faut faire un acte de foi. Non Jésus ne cherche pas à nous faire peur. Jésus nous oriente vers sa victoire. Bien sûr un bouleversement est nécessaire. C’est un véritable accouchement. Il nous faut accoucher de la victoire du Christ, celle qu’il a remportée dans sa Passion et sa résurrection. C’est l’autre événement, celui que l’on peut dater, c’est la Passion et la Résurrection du Christ qui épouse l’humanité jusqu’en la blessure du monde.
La première venue du Christ s’est faite dans l’humilité. Le Verbe s’est fait chair et Il a épousé notre humanité jusqu’en nos blessures, jusque dans ce qui blesse notre humanité : le désordre établi au cœur de l’humanité par sa cupidité et son irresponsabilité. Si Christ nous faisait le même discours aujourd’hui, il nous parlerait sans doute des guerres engendrées par la soif du pouvoir ou des richesses, sans compter l’oppression et la souffrance dues aux disparités entre les privilégiés et les exclus dans toutes les sociétés, y compris les mieux nanties. Il dénoncerait le gaspillage insensé qui pollue notre petite planète bleue pour des profits à (très) courte vue.
L’Amour de Dieu révélé en Jésus-Christ change notre regard et nous incite à fonder notre vie sur le Verbe de Dieu qui est le fondement de tout. Il est une Parole vivante mais pas seulement, Il est aussi un visage que nous pouvons voir: Jésus de Nazareth.
Cette vision de l’adorable visage du Christ est un chemin de liberté. Déjà maintenant nous pouvons plonger notre regard dans le sien. Pas de vie sans souffrance. Christ a traversé la souffrance et notre souffrance n’est plus l’ennemie de notre liberté. Certes, nous luttons pour en être libre. Mais nous luttons, non pas contre mais avec cette souffrance qui nous habite et dont nous ne voulons pas être l’otage. Grâce au Christ qui a visité la contingence de notre humanité blessée, notre terre intérieure est appelée à devenir œuvre d’art. Alors nous comprenons que nous sommes infiniment plus que tout ce que nous pouvons imaginer, que tout ce que nous pouvons appréhender.
Il y a en nous une parcelle d’éternité dans un vase d’argile. « L’homme passe infiniment l’homme ». Et c’est un écartèlement. Accepter cette tension intérieure de l’homme fait pour l’infini et qui cependant doit vivre la contingence, c’est vraiment consentir à ce que nous sommes : des êtres de chair ouverts à L’Esprit et appelés à la Résurrection. Est-ce suffisant de dire cela. Un mot, un mot qui est comme la lumière qui seule peut donner tout l’éclat au diamant en puissance que nous sommes appellés à devenir, un mot si ambivalent qu’autant de personnes, autant de manières de comprendre et vivre ce mot, un mot que seul le Christ a pu pleinement incarner et donner la plénitude de son contenu. Ce mot est amour tel que l’entend saint Paul quand il le décrit dans son hymne à l’amour.
« J’aurais beau parler toutes les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, s’il me manque l’amour, je ne suis qu’un cuivre qui résonne, une cymbale retentissante. J’aurais beau être prophète, avoir toute la science des mystères et toute la connaissance de Dieu, j’aurais beau avoir toute la foi jusqu’à transporter les montagnes, s’il me manque l’amour, je ne suis rien. J’aurais beau distribuer toute ma fortune aux affamés, j’aurais beau me faire brûler vif, s’il me manque l’amour, cela ne me sert à rien ».
L’Église est dépositaire de cette nécessaire compassion car elle a pour mission d’entrer, d’inviter dans le mystère de l’amour divin.
J’ai pu me réjouir de ce qui s’est passé tout récemment à la conférence des évêques de France. Les évêques ont été travaillés par le scandale révélé dans le rapport Sauvé et ils ont dû entendre avec compassion le cri des victimes. Malheureux celui qui fait pleurer l’enfant et plus généralement malheureux celui qui frappe, souille l’innocent et qui détruit en lui la confiance, la sécurité et l’amour. Ces larmes de repentir sont nécessaires, vitales pour les victimes. Les évêques ont été intercesseur et enfin interlocuteur des victimes attendant une réponse juste à leur souffrance.
Il y a plusieurs sortes de pleurs. Les larmes de l’Église, représentée par les évêques, ont exprimé la repentance. Ces larmes de repentance font écho aux larmes des enfants abusés, les larmes de la souffrance innocente. A cause de la violence subie, tout au début, les paroles de l’enfant sont impossibles, empêchées par le tsunami intérieur provoqué par cette violence inouïe. Seules les larmes sont parfois capables de dire, d’exprimer, à l’extérieur ce qui se vit à l’intérieur. La violence a été telle que parfois, même le robinet des larmes est coupé. La blessure est si profonde, tellement douloureuse qu’elle secrète un poison qu’il faut chasser, expulser à l’extérieur. C’est la fonction des larmes quand c’est possible. Ernest Hello a pu l’exprimer ainsi : « les larmes disent des secrets que la parole ne peut dire ».
Mathieu Dauchez est un prêtre français, incardiné à Manille. Il accompagne et met à l’abri les enfants de la rue dans son association ANAK. Dans son livre, « pourquoi Dieu permet-il cela ? », il a perçu qu’il existe des larmes de guérison. Après les immenses traumatismes subis par les enfants de la rue abîmés par la violence des gangs, les abus, la prostitution, comment faire sens ? Je le cite : « Les larmes expriment bien souvent la sensibilité de nos âmes de manière plus intense que de longue phrases élaborées et réfléchies. Elles sont un langage fascinant qui lève le voile sur des profondeurs que nos esprits prétendument subtils soupçonnent à peine. Ces petites perles, à l’éclat discret, qui coulent en silence le long d’un visage en souffrance sont à la fois le reflet d’une peine insondable et les prémices d’une guérison intérieure… les larmes libèrent et apaisent. Elles se laissent glisser doucement et emportent avec, le venin du ressentiment et de la colère que l’on ne sait évacuer par les mots. » « les larmes sont le sang de l’âme »(Saint Augustin ).
Père Bernard-Marie Geffroy