Sur les bords du Jourdain, toute une foule immense accourt vers Jean-Baptiste. Le cœur de la prédication de Jean-Baptiste, c’est « convertissez-vous, parce que le Royaume des cieux est tout proche ». Jean-Baptiste insiste sur l’urgence de la conversion. Pourquoi est-ce urgent ? Sûrement y-t-il un lien avec le Royaume qui est tout proche ? Préparez-vous au Royaume, à l’ère messianique qui vient. C’est là l’espérance d’une nouvelle terre et de nouveaux cieux. Voilà l’espérance d’Israël mais cela a été également sa difficulté à reconnaître en Jésus le Messie.

Pensez donc ce Messie qui serait venu n’a rien réglé ! Bien sûr, de son vivant, il a donné des signes de puissance, son enseignement a fait autorité, surtout quand il annonçait la délivrance aux opprimés et la Bonne Nouvelle aux pauvres. Alors pourquoi le juste doit-il continuer à souffrir, pourquoi l’innocent doit-il subir la violence, encore et encore ? Cette question-là est essentielle. En ce temps de l’Avent, nous sommes invités à ne pas lâcher cette interrogation afin de mieux comprendre comment Dieu nous sauve. Le chemin que nous avons à aplanir, c’est notre humanité assumée. C’est ouvrir nos yeux et nos cœurs à la nouveauté sans cesse renouvelée de la personne du Christ quand Jean-Baptiste nous donne de le contempler. Pour cela, il nous faut cesser d’être tortueux, renoncer à utiliser notre mental livré à lui-même qui est expert en l’art d’étouffer, d’occulter et de camoufler la Lumière véritable. Nos cœurs désencombrés pourront alors devenir cœur de chair vive. Il faut s’ouvrir et croire à une possible intervention salvifique de Dieu ; et cette intervention recréera notre capacité d’action que nous avons perdue par le péché, et nous rendra capables de collaborer au salut qui sera commun à Dieu et à l’homme.

« Le langage de Jean-Baptiste est rude envers les pharisiens et les sadducéens. Le terme d’  ‘Engeance de vipères’ est à prendre dans le sens biblique. L’expression est une mise en garde et non une insulte : cela revient à dire vous êtes de la même race que le serpent tentateur, le diviseur du Paradis terrestre.  Déjà la cognée se trouve à la racine des arbres : tout arbre qui ne produit pas de bons fruits va être coupé et jeté au feu. Ses auditeurs, habitués au langage des prophètes, savent bien qu’au fond, ce n’est pas à des personnes ou à des catégories de personnes qu’il s’en prend, mais à des manières d’être. Jean-Baptiste annonce donc le jugement comme un tri qui se fera non pas entre des personnes, mais à l’intérieur de chacun de nous. Aussi, c’est une Bonne Nouvelle : il y a en chacun de nous des comportements, des manières d’être, dont nous ne sommes pas très fiers… ceux-là, nous en serons débarrassés. Mais tout ce qui, en chacun de nous, peut être sauvé sera sauvé. Jean-Baptiste dit bien que c’est Jésus qui fera ce tri : ‘celui qui vient derrière moi… vous baptisera dans l’Esprit Saint et dans le feu.

Il tient dans sa main la pelle à vanner, il va nettoyer son aire à battre le blé, et il amassera son grain dans le grenier ; quant à la paille, il la brûlera au feu qui ne s’éteint pas’. » (Marie-Noël Tabbut) Jean-Baptiste attire au bord du Jourdain une immense foule grâce à sa parole de feu mais aussi grâce au désir le plus profond qui soit chez l’être humain : le désir de pureté. Se plonger dans les eaux du Jourdain, c’est répondre à ce vrai désir. C’est un autre qui vient après lui qui exaucera ce désir essentiel du cœur humain. Contre toute attente, alors que la tension messianique est à son comble, Jean Baptiste annonce quelqu’un d’autre, immensément plus digne que lui. « Je ne suis pas digne de retirer ses sandales ». Pourtant Jean -Baptiste est un immense prophète. Jean était venu « rendre témoignage à la Lumière, il n’était pas la Lumière. » (Jean 1. 7) Jean-Baptiste n’est pas la lumière.

Jean-Baptiste désignera Jésus comme la source de toute lumière. C’est tout le message de Jean le Baptiste. Nous savons, nous, que c’est Dieu en Jésus-Christ qui vient nous visiter. Il vient nous rencontrer. Appelons-le, accueillons-le dans tout ce que nous avons de bien : nos joies, notre vitalité, nos dons, tout ce dont nous sommes fiers, l’amitié, l’amour réussi. Le Seigneur nous dit, c’est tout le poids de votre humanité que je saisis dans l’amour inconditionnel que j’ai pour vous. Je viens vous sauver et c’est dans toutes les dimensions de votre être que je viens vous dire l’inouï, l’inattendu de mon amour. Oui je vous aime jusqu’à vous visiter dans ce qui vous trouble, vous désespère, vous anéantit, je vous aime jusqu’en vos forces de mort, jusqu’en votre mort. N’ayez pas peur de vous laisser aimer jusque-là. Dieu en Jésus-Christ nous sauve radicalement. Christ vient prendre la déchirure de notre propre mal non pas pour nous y laisser mais pour y transfuser sa vie. Alors qu’avons-nous à faire ? Nous avons à signer en bas du contrat. Que cela veut-il dire ? Tout d’abord, Dieu ne nous contraint pas. Rien d’intrusif dans son désir de nous purifier. Notre oui est un passage obligé. Dire oui à Dieu, c’est emprunter un chemin de libération et de guérison avec Lui mais pas sans nous, pas sans les autres. Peut-être se dit-on ? « Oui mais ça ne marche pas, car je tombe dans les mêmes travers. » C’est une vraie question. Peut-on vraiment et librement être destiné à l’échec ? Non, surtout si nous sommes animés par la foi. Est-ce suffisant ?

Non, mais Dieu nous accueille avec nos rechutes, c’est le sens contenu dans l’expression amour inconditionnel de Dieu mais ce n’est pas sans nous. Je me rappelle de Bertrand que nous avons reçu dans une de nos communautés religieuses. Profondément alcoolique, Il est resté quatre mois chez nous. Sur les quatre mois, Bertrand est resté trois mois, abstinent. A Noël, son épouse, ses enfants sont venus le voir. Tout était parfait dans des relations chaleureuses où le problème de l’alcool semblait s’être évanoui. On le devinait cependant, comme tapi en lui, prêt à bondir et à briser le fragile équilibre. Ce bonheur était une vraie surprise, un cadeau inespéré. L’étonnement devant une telle harmonie si inattendue disait beaucoup des souffrances passées.

Mais cela n’a pas duré. En l’espace de quelques semaines, tout a volé en éclats. Bertrand est redevenu l’alcoolique qu’il n’avait jamais cessé d’être. Sa santé s’est alors très vite dégradée. Dans sa vie, il avait déjà vécu sept cures de désintoxication et il ne semblait plus croire à leur efficacité. Dans la dégradation physique où il était, c’était cependant une nécessité vitale. Je l’ai emmené à Bucy-le-Long près de Soissons, un centre utilisant une méthode de psychologie comportementaliste inspirée des A.A et des N.A. J’avais le sentiment que c’était sa dernière chance. Après avoir rencontré un psychothérapeute du centre, Bertrand a fait un choix radical. Il a choisi de ne pas rester. J’étais profondément troublé. Comment peut-on choisir de mourir ? En fait, Bertrand n’a pas choisi la mort. Derrière son choix, à travers son refus au cœur même de son défi, il y avait encore comme une revendication, comme l’expression aussi tenue soit-elle d’une liberté. A travers le déni et l’irréalisme le plus flagrant, Bertrand cherchait encore un chemin de bonheur, au moins dans l’évitement d’une très grande souffrance, celle du manque. Bertrand avait la foi mais cela n’a pas suffi. J’ai appris la mort de Bertrand un an après. Bertrand est mort !

Et beaucoup d’autres encore! Alors, à quoi bon ? Même la vie spirituelle semble parfois n’avoir aucune prise sur la mort qui vient ! Ces quelques mois d’abstinence de Bertrand ont eu une grande valeur. La rechute de Bertrand n’a pas été pour moi un échec. Je l’ai compris grâce à une expression de Saint Paul : « espérer contre toute espérance ». Pour moi, espérer contre toute espérance, c’est considérer tout acte, toute parole, tout frémissement de libération comme appartenant au trésor spirituel du patrimoine humain en sécurité dans les mains mêmes de Dieu. Tout acte de libération, même s’il ne va pas jusqu’au bout, est infiniment précieux aux yeux de Dieu, car la plus petite parcelle de vie, découverte, choisie et vécue parmi les plus grandes pulsions de mort, participe de la victoire de Dieu sur toutes les puissances de mort, dans l’histoire et dans l’éternité, en l’humanité même de Jésus, vrai Dieu et vrai homme. Qu’il est grand ce mystère !