Saint Jean Baptiste, le dernier prophète, est habillé comme Elie, se nourrissant de sauterelles, de miel sauvage. Flavius Joseph, historien non chrétien contemporain de cette époque en parle dans des termes dithyrambiques, décrivant des foules immenses affluant vers le désert du Jourdain pour l’écouter. Son succès est immense et cependant en vue d’un autre. Jean-Baptiste désignera Jésus comme la source de toute lumière quand le Ciel s’ouvrira et lui confirmera que Jésus est la lumière, née de la lumière.

Pourquoi un précurseur ? Pourquoi, Jean-Baptiste qui n’est pas la lumière doit préparer la venue de la lumière ? Il nous donne simplement les outils pour reconnaître en Jésus la lumière. Ce qu’annonce Jean-Baptiste, c’est la nécessité de la conversion pour accueillir la nouveauté de l’Évangile. Qu’en est-il de cette conversion, de cette nouveauté. C’est tout le message de Jean le Baptiste. Il nous exhorte à éliminer de nos vies tout ce qui pourrait être un obstacle à la lumière. se convertir ce n’est pas seulement suivre les préceptes de la Torah, c’est aussi accueillir cette nouveauté qui vient. L’espérance messianique, c’est l’établissement du Règne de Dieu, temps de justice et d’amour véritables. C’est là l’espérance d’une nouvelle terre et de nouveaux cieux. Voilà l’espérance d’Israël mais cela a été également sa difficulté à reconnaître en Jésus le Messie. Pensez donc ce Messie qui serait venu n’a rien réglé ! Bien sûr, de son vivant, il a donné des signes de puissance, son enseignement a fait autorité, surtout quand il annonçait la délivrance aux opprimés et la Bonne Nouvelle aux pauvres. Alors pourquoi le juste doit-il continuer à souffrir, pourquoi l’innocent doit-il subir la violence, encore et encore ? Cette question-là est essentielle. En ce temps de l’Avent, nous sommes invités à ne pas lâcher cette interrogation afin de mieux comprendre comment Dieu nous sauve. Le chemin que nous avons à aplanir, c’est notre humanité assumée. C’est ouvrir nos yeux et nos cœurs à la nouveauté sans cesse renouvelée de la personne du Christ quand Jean-Baptiste nous donne de le contempler. Cette nouveauté, c’est le Christ ! Pour nous, nous convertir au Christ, c’est accueillir dans la chair de notre vie, ce qui a été accompli dans l’Incarnation, la Passion et la Résurrection de Jésus. C’est l’Esprit Saint qui nous permet de nous approprier cette nouveauté. Pour cela, il nous faut cesser d’être tortueux, renoncer à utiliser la raison raisonnante qui est experte en l’art d’étouffer, d’occulter et de camoufler la Lumière véritable. Nos cœurs désencombrés pourront alors devenir cœur de chair vive. Dans ces trois mots, réside toute l’anthropologie biblique. Le cœur, c’est l’âme, au sens de la psychê, la chair, c’est le corps au sens large du terme, en lien avec notre psychisme. Qu’est-ce qui est vif en nous, sinon notre esprit ? soif du corps, soif de l’âme -dans le sens de la psychê, soif de l’esprit. Cela correspond aux trois dimensions de tout être humain : corps, âme, esprit. Le corps c’est l’interface avec le monde physique. Il nous alerte quand nous traversons des turbulences : excès de stress, d’angoisses, d’épreuves et il nous sert de fusible. Oui c’est lui qui nous permet de nous ancrer, il est notre prise de terre, remède à nos prises de tête. Enfin, il ne ment jamais. 

Quant à la dimension de l’âme, son psychisme dirait-on aujourd’hui, comment le vit elle ?

De la même manière que le corps est l’interface avec le monde physique, le psychisme est l’interface avec le monde des sujets. Son lieu spécifique est le relationnel. 

De la même manière que le corps est l’interface avec le monde physique, que le psychisme est l’interface avec le monde des sujets, l’esprit lui est l’interface avec le monde divin. Dieu nous connecte avec la dimension spirituelle de notre être. C’est dans le domaine spirituel non déconnecté avec le reste qu’il nous faut mettre notre centre de gravité. Ce domaine n’est pas évident. Cette intériorité dite spirituelle est différente de l’intériorité physique ni même de l’intériorité psychologique.

L’intériorité spirituelle est spécifique. Elle n’est pas en soi une capacité naturelle propre à l’homme. Elle prend naissance dans la liberté de la personne qui se décide pour cet au-delà de lui-même. C’est dans cette intériorité que se vivent la foi et l’espérance, c’est dans cette intériorité que grandit notre capacité à aimer. Si cette intériorité est délaissée, abandonnée, elle se rétracte et devient incapable de vivre cet au-delà de soi. La vie spirituelle s’étiole alors.

Dieu nous sauve de cela.

Il y a maintenant une vingtaine d’années, au centre hospitalier Edouard Rist où j’étais aumônier, j’ai pu rencontrer Corinne, 45 ans hospitalisée. Brutalement devenue hémiplégique à cause d’un accident cérébral autant brutal qu’imprévisible, elle perd tout. Danseuse, professeur de danse, chorégraphe, elle se voit réduite à rien. Mariée depuis toujours avec sa passion, la danse, elle n’a pas fondé de famille, elle réalise qu’elle n’a plus rien. Elle n’a pas la foi et elle ne voit que des murs autour d’elle. Désespérée, la seule issue est le suicide et elle décide de le faire rapidement. Un peu par provocation mais surtout comme un dernier appel au secours, elle m’en parle. Comment choisir la vie alors qu’il n’y a que la mort ? Une image mentale m’est apparue : celle d’un tunnel tellement long que l’on ne voit pas la lumière. Je lui en ai fait part. Elle m’a dit que c’était exactement cela. 

Vous n’avez aucun espoir, lui ai-je dit. Vous n’avez donc rien à perdre. Pourquoi ne pas accueillir ce que je vais vous dire ? Il existe au bout de ce tunnel une lumière. Imaginez là puisque vous ne pouvez la voir et croyez qu’elle est là et que vous pourrez aller vers elle.

A partir de cette parole à laquelle elle adhère dans sa nuit, elle prend la décision de vivre. Elle fera alors l’expérience de l’amour de Dieu dans un foyer de charité, le jour de Noël et petit à petit trouvera d’autres repères pour sa vie. Elle continuera à travailler avec des élèves en élaborant des programmes de musiques pour la danse. La vive flamme de son esprit au sens de sa vie spirituelle a rallumé chez elle, créativité, désir de vivre, acceptation des limites.

L’Avent, c’est un peu cela, c’est préparer les chemins du Seigneur, abaisser nos montagnes d’orgueil, rendre droit ce qui est tortueux, se ressaisir dans l’espérance du salut de Dieu.

bmg