Dans la crainte de Dieu, plusieurs tonalités possibles.
– Je crains que l’amour de Dieu ne soit pas reçu. Je crains que l’amour ne soit pas aimé pour reprendre la phrase de St François d’Assise devant le sultan. C’est une vraie motivation pour la mission, pour aller aux marges comme nous y invite le pape François. Comment supporter que l’amour de Dieu ne soit pas partout annoncé ?
– Je découvre la puissance de fécondité et d’amour qui dépasse mes propres forces. J’éprouve comme un sentiment de crainte. C’est impressionnant car j’en fais l’expérience et c’est l’expérience d’un Autre bien plus aimant que moi. Cette force de Dieu me jette alors dans la confiance. Comment alors ne pas s’abandonner à la sainte puissante d’un Père trop aimant ?
– Je crains de blesser l’amour de Dieu. Sainte crainte qui m’aide à sortir de mon égoïsme. Si je le blesse, ce n’est pas que Dieu m’aimerait moins, c’est moi qui me fermerais en partie à son amour. Ce n’est pas que je ferai du mal au petit Jésus comme on me le disait enfant, c’est moi qui me blesserai dans ma capacité à aimer Dieu.
La lumière est déjà victorieuse, et que Dieu accompagne le témoignage de ses fils et de ses filles parce qu’il veut, par eux et par elles, dévoiler au monde ses richesses. Il ne faut pas avoir peur, pas plus pour nous que pour notre message. Car si nous sommes porteurs de ce que Dieu révèle, il n’y a rien à craindre ni de l’oppression physique, ni de la solitude intellectuelle, ni des mutations de la culture et de l’histoire, ni de la perte de tout modèle autre que Jésus-Christ.
La crainte de Dieu, au sens biblique, c’est un mélange de respect et d’affection, c’est à la fois le sens de la majesté de Dieu et une spontanéité filiale pour lui obéir ; c’est, en quelque sorte, la délicatesse de l’homme en réponse à la délicatesse de Dieu. C’est pourquoi, alors que la crainte des hommes, ou de leur jugement, ronge, paralyse et mène au doute, la crainte de Dieu, au sens biblique, réveille sans cesse en nous le meilleur de nous-mêmes et nous rend aptes à percevoir la tendresse de notre Dieu qui s’occupe si bien des moineaux et compte tous les cheveux de notre tête.
On peut chercher à dissimuler à Dieu les desseins de son cœur : « Malheur à ceux qui se terrent pour dissimuler au Seigneur leurs desseins, qui trament dans les ténèbres leurs actions et disent: « Qui nous voit? Qui nous connaît? » » (Is 29, 15). On peut se les dissimuler à soi-même aussi. En réalité ce qui se joue intérieurement finit toujours par ressortir comme le Christ nous en avertit : « Rien, en effet, n’est voilé qui ne sera révélé, rien de caché qui ne sera connu. » (Lc 12, 2). Tout ce que nous faisons extérieurement est contaminé par ce qui se joue intérieurement. Nous pouvons, jusqu’à un certain point, pour modeler notre psychisme et notre comportement, mais les périodes d’aridité, les épreuves vérifieront si nous avons construit sur le Christ ou sur l’appui en l’humain et la vaine gloire : « De fondement, en effet, nul n’en peut poser d’autre que celui qui s’y trouve, c’est-à-dire Jésus Christ. L’œuvre de chacun deviendra manifeste; le Jour, en effet, la fera connaître, car il doit se révéler dans le feu, et c’est ce feu qui éprouvera la qualité de l’œuvre de chacun. » (1Co 3, 11-12).
D’où l’importance dans le travail sur soi de retrouver le sens de la crainte du Seigneur. Vivre sous le regard de celui qui scrute les cœurs nous libère de l’hypocrisie aliénante, de « tout faire pour nous faire remarquer des hommes » (cf. Mt 23, 5). L’homme trouve ainsi le chemin de la liberté intérieure et d’une authentique construction de lui-même. Peu importe le jugement des hommes, « mon juge, c’est le Seigneur » (1Co 4, 4), lui qui « regarde le cœur » (cf. 1Sm 16, 7). « C’est lui qui éclairera les secrets des ténèbres et rendra manifestes les desseins des cœurs. Et alors chacun recevra de Dieu la louange qui lui revient. » (1Co 4, 5). Suivons notre chemin sans nous laisser aliéner par le jugement des autres, ni par les jugements sur nous-mêmes.
Pour illustrer cela, la rencontre avec une patiente de Ste Anne peut illustrer cela. Elle est sous lithium depuis 20 ans. Sa culpabilité était abyssale dans une peur immense de blesser Dieu par ses pensées. Ses passages à l’acte, c’était de se blesser de peur de blesser Dieu. Ce n’était pas de la crainte mais de la peur. Elle projetait sur Dieu la relation à son père. Voir Dieu comme une puissance menaçante quand on est dans une grande souffrance psychologique peut amener à la violence et en l’occurrence violence sur soi. Pour nous, en dehors de la pathologie, Il nous faut beaucoup de temps pour accepter que Dieu ne soit pas comme nos parents. Dieu est saint, il est le Tout Autre, je n’ai pas de prise sur Lui. Je dois accepter qu’il se fasse connaître, que toutes les projections que nous pouvons faire sur Lui ne sont pas forcément pertinentes.
Nous l’aimons, parce qu’il nous a aimés le premier, nous dit Saint Jean
Craindre Dieu, c’est en fait l’adorer en mesurant la distance qui nous sépare de Lui mais dans le même mouvement saisir qu’Il est plus intime à nous-mêmes que nous-mêmes. Transcendance et immanence de Dieu livrés dans l’Eucharistie.