Apocalypse signifie lever le voile sur l’histoire de l’humanité et sur notre propre histoire. Nous savons que guerres et soulèvements, à aucune époque, n’ont épargné notre terre. Du point de vue du Ciel, le genre apocalyptique décrit non seulement notre histoire mais aussi un passage vers un monde meilleur qui nécessite des bouleversements.  Nous désirons un monde meilleur à partir de ce que nous avons de plus précieux en nous : notre soif de paix, de cohérence, d’amour de sécurité. On parle donc de deux mouvements, l’un qui lit l’histoire de l’humanité vue du Ciel et un autre tourné vers la Parousie et qui signe ce que l’on appelle la tension eschatologique.

Tout d’abord, l’attente eschatologique. Pourquoi Jésus nous invite à nous préparer à la catastrophe? Le fait de savoir que tout peut être anéanti en un clin d’œil nous aide-t-il dans notre chemin de foi ? Comme l’a annoncé Jésus : « nul ne sait ni le jour ni l’heure ». Alors à quoi bon ces textes susceptibles de nous plonger dans la peur ? L’annonce du jour du Seigneur s’accompagnera de signes impressionnants résumé par Malachie dans son expression : « Voici que vient le jour du Seigneur, brûlant comme la fournaise. » Ce bouleversement est le signe d’un changement, d’une rupture avec l’histoire. Un passage, une Pâque se prépare. L’Evangile voulant dire « Bonne nouvelle », il nous faut faire un acte de foi. Non Jésus ne cherche pas à nous faire peur. Jésus nous oriente vers sa victoire. Bien sûr un bouleversement est nécessaire. C’est un véritable accouchement. Il nous faut accoucher de la victoire du Christ, celle qu’il a remportée dans sa Passion et sa résurrection.

La première venue du Christ s’est faite dans l’humilité. Le Verbe s’est fait chair et Il a épousé notre humanité jusqu’en nos blessures, jusque dans ce qui blesse notre humanité, à savoir le désordre établi au cœur de l’humanité par sa cupidité et son irresponsabilité. Si Christ nous faisait le même discours aujourd’hui, il nous parlerait sans doute des guerres engendrées par la soif du pouvoir ou des richesses, sans compter l’oppression et la souffrance dues aux disparités entre les privilégiés et les exclus dans toutes les sociétés, y compris les mieux nanties. Il dénoncerait le gaspillage insensé qui pollue notre petite planète bleue pour des profits à très courte vue. Ça c’est le premier mouvement d’une vision apocalyptique de notre histoire étalée comme sur une carte et racontée vue du Ciel. Guerres, soulèvement, persécutions remplissent nos livres d’histoire. Oui, toutes ces tragédies constituent en partie la trame de notre histoire.

Quant à l’autre mouvement, celui de l’attente de la Parousie il nous invite à changer notre regard et nous incite à fonder notre vie sur le Verbe de Dieu qui est le fondement de tout. En fait, c’est une invitation à la conversion. Quelle conversion ? celle qui consiste à sortir du dualisme. Notre esprit fonctionne la plupart du temps sur un mode dualiste. L’opposition radicale entre les bons et les arrogants tels que le présente Malachie nous rejoint. « Tous les arrogants, tous ceux qui commettent l’impiété » seront anéantis. Quand nous rencontrons dans la Bible l’opposition entre les bons et les méchants, les humbles et les arrogants, les croyants et les impies,  il faut savoir que ce sont deux attitudes opposées qui sont visées et non pas deux catégories de personnes : il n’est évidemment pas question de séparer l’humanité en deux catégories, les bons et les justes, d’un côté, les méchants et les pécheurs de l’autre ! Nous avons chacun notre face de lumière et notre face de ténèbres. Est-il possible de sortir de ce dualisme bon/méchant. Oui, grâce à la tension eschatologique. Quand on attend le Jour du Seigneur, on tend vers quelque chose qui va venir. Ce quelque chose crée une triangulation qui nous libére de notre tendance au dualisme. On le comprend mieux quand il s’agit des relations humaines. Pour lutter contre le dualisme, le chiffre trois est précieux et peut amener à une juste relation entre nous. Dans la relation à l’autre, un « je » parle à un « tu ». Pour reprendre l’expression de Lévinas, entre les deux sujets de la relation, il y a un « il ». Quel est cet « il », cet autre ? On peut l’appeler l’altérité, c’est à dire le mystère de l’autre, l’autre existe dans son mystère. Le « je » vers un « tu » a besoin du tiers, le tiers, c’est le mystère infiniment respectueux de l’autre que je ne peux réduire à ce qui m’est utile ou à l’apparence. Être trois, c’est l’antidote à la confusion, à l’emprise et à la toute-puissance, au jugement téméraire.

Pour nous chrétien, ce « Il », c’est Dieu dans sa Transcendance. La théologie apophatique ou négative dit cela. Que peut-on dire de ce tiers transcendant qu’est Dieu. Quand on s’adresse à lui, nous ne pouvons que balbutier. Le fameux hymne de Grégoire de Naziance illustre le mystère insondable de Dieu : « 0 Toi l’au-delà de tout, n’est-ce pas là tout ce qu’on peut chanter de Toi ? Quel hymne Te dira, quel langage. Aucun mot ne t’exprime. A quoi l’esprit s’attachera-t-il. Tu dépasses toute intelligence ? Seul, Tu es indicible, car tout ce qui se dit est sorti de Toi. Seul, Tu es inconnaissable, car tout ce qui se pense est sorti de Toi. »

De la fin des temps nous n’en savons rien.  Cette « inconnaissance » mais aussi cette tension vers Dieu crée en nous un espace qui nous sort du dualisme et de l’immédiateté.  L’Évangile veut faire naître en nous une attitude d’attente et d’accueil. Cette attente nous tourne-t-elle vers la fin des temps ou concerne-t-elle le présent ? Les deux bien sûr, mais si nous sommes fixés uniquement sur un avenir plus ou moins lointain que nous ne pouvons pas connaître, ne sommes-nous pas tentés de désinvestir le présent ? Or le présent, c’est le lieu de notre liberté et notre responsabilité. C’est dans le ici et maintenant que nous pouvons ouvrir notre présent à l’avenir qui nous espère, à savoir l’Éternité de Dieu.

Nous comprenons qu’il nous faut accueillir la tension eschatologique qui nous emmène au de-là de nous-même mais pour autant sans déserter le présent où tout se joue. L’Eucharistie nous nourrit de cette double dimension, celle du déjà là et du pas encore.