Connaissez-vous la bande dessinée « le chat du rabbin ». Le chat du Rabbin parle et il intervient dans l’histoire des hommes. Un jeune rabbin et une belle jeune femme s’aiment. Une belle histoire qui démarre. Un problème de taille se dresse toutefois entre eux : il est juif et elle est catholique. Qu’à cela ne tienne, prête à tout pour faire plaisir à son futur mari et pour mieux s’intégrer dans sa nouvelle vie, elle décide de se convertir au judaïsme. Mais c’était sans compter sur le vieux rabbin qui fait tout pour l’en dissuader, allant jusqu’à la menacer de la faire psychanalyser si elle persiste dans son envie. Car le rabbin en est convaincu, nul ne pourrait vouloir se convertir au judaïsme pour une bonne raison. Franchement, à part être né dedans, rien ne peut justifier qu’on puisse vouloir suivre les 613 commandements pour être un bon juif. Et voilà qu’en plus, cette belle blonde se met à demander pourquoi ? Pourquoi ces commandements ? Pourquoi devrait-on laver les steaks avant de les faire cuire ? Mais le chat est là pour lui expliquer. Ne jamais se poser la question du pourquoi, car tout cela évite de penser à la mort. Dans un dialogue mémorable entre cette jeune femme blonde qui s’initie à la cacherout avec l’épouse d’un autre jeune rabbin, la question lui est posé au bout d’une longe pratique : « n’est-ce pas trop compliqué ?» Réponse de la jeune femme au bout de ce long apprentissage : « j’applique bêtement des règles et manipule des casseroles que je dois laver sans cesse, utiliser tel contenant pour tel aliment, ne pas les mélanger, c’est tellement incompréhensible que j’applique bêtement les règles et ça me vide l’esprit qui peut enfin se reposer ». Bien sûr, il y a 7 règles fondamentales que les rabbins expliquent théologiquement mais la mise en œuvre de ces 7 règles devant le fourneau est un casse-tête insupportable. Est-ce cependant la méthode pour reposer son esprit ?
Thérèse Anne, une de mes sœurs, m’expliquait qu’elle ne pouvait croire en un Dieu qui l’empêchait d’être libre ». La question de la liberté est essentielle. Dois-je capituler et dire conne Tertullien « je crois parce que c’est absurde ». Je crois plus à la formule de Pascal « l’athéisme signe de force d’esprit jusqu’à un certain point seulement ». Où réside se point où l’esprit doit se laisser enseigner. Ce point, c’est non pas affaire de cuisine mais c’est quand il faut affronter des questions essentielles que seule la révélation peut éclairer : quelles questions ? Dieu est-il un frein à ma liberté, Dieu est-il amour ? N’y a t-il que de l‘amour en lui ? Qui y-a-t-il après la mort ? Dans l’histoire d’Israël, le don de la Loi est liée à l’expérience de la sortie d’Égypte. Loi et liberté ne peuvent être séparées. Et il existe deux types d’empêchements à la liberté : l’oppression extérieure comme celle de Pharaon et l’oppression intérieure dont il fut prendre conscience pour en venir à bout. Après avoir fait échapper son Peuple à l’oppression extérieure, Dieu veut le libérer de l’oppression intérieure en lui donnant la Loi de l’Alliance. Il veut qu’il comprenne ce qu’est la vraie vie et qu’il adhère volontairement à cette proposition qui lui est adressée.
Pour Jacques, vivre la Loi, c’est vivre le commandement de Dieu : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit […] [et] tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Mt 22, 37.39). Le premier comme le second est à vivre non par la pureté rituelle, mais « en venant en aide aux orphelins, aux veuves dans leur malheur et de se garder pur au milieu du monde. » (Jacques 1. 27) Pour Paul, cette loi est la liberté « de se mettre, par amour, au service des uns des autres. » (Galates 5. 13) Pourquoi alors se rétrécir, s’asservir aux principes purement humains. L’auteur du Deutéronome avait déjà conscience du danger que le Christ dénonce : « Vous n’ajouterez rien… » (Deutéronome 4. 2) Et le Christ est précis par les termes qu’il utilise pour citer Isaïe : « Vous laissez de côté le commandement de Dieu pour vous attacher à la tradition des hommes. » (Isaïe 29. 13) L’enseignement le plus important de Jésus n’est pas la relativisation des coutumes trop humaines, mais l’attention qu’il nous invite à porter sur l’intérieur de nous-même, plutôt que sur l’extérieur (les choses à faire ou ne pas faire). « Rien de ce qui sort de l’homme ne le rend impur. C’est de l’intérieur… » Cette déclaration reste révolutionnaire, pour toutes les mentalités religieuses attachées aux rites, aux ablutions, aux interdits alimentaires etc. Nous ne sommes pas des fétichistes de la pureté ! L’impureté n’est pas dans la viande de porc, mais lorsque l’homme se conduit comme un porc. Elle n’est pas dans des mains sales à table, mais dans des gens qui se salissent les mains par la corruption, la cupidité, la malhonnêteté, les activités mafieuses etc. Jésus s’appuyait sur Isaïe pour rappeler que rien ne sert d’honorer Dieu par gestes extérieurs si l’intérieur n’est pas d’abord tourné vers lui : « Ce peuple s’approche de moi en me glorifiant de la bouche et des lèvres, alors que son cœur est loin de moi, parce que la crainte qu’ils ont de moi n’est que précepte enseigné par les hommes » (Is 29, 13). Jacques rappelle cette exigence de la conversion intérieure et non pas extérieure : « Approchez-vous de Dieu, et lui s’approchera de vous. Pécheurs, enlevez la souillure de vos mains ; esprits doubles, purifiez vos cœurs » (Jc 4, 8).
Conversion intérieure ! Oui mais comment ? Trois types de liberté : La liberté du truand. « Je fais ce que je veux, quand je veux, si je peux. L’autre n’existe que comme obstacle à ma liberté, ou comme objet de mon pouvoir, ou encore comme valorisation narcissique de mon propre ego. Une autre liberté : celle-là entravée par une conception despotique de la loi. C’est une liberté qui s’appuie sur la peur, dictée par le gendarme intérieur. La loi pour certains pharisiens accueillie comme gendarme extérieure a été tellement intériorisée qu’elle devient gendarme intérieur. Le Christ nous initie à la liberté intérieure qui permet d’aimer en toute justesse. Pour entrer dans cette dynamique de l’Amour de Dieu, il nous faut purifier notre manière d’aimer. Aimer peut vouloir dire dévorer ou se laisser dévorer. Dans ce cas, l’un ou l’autre de la relation se désagrège. L’un ou l’autre se goinfre de la substance de l’autre. Bien au contraire, l’amour purifié par l’Amour divin construit l’autre, le guérit, l’aime malgré tout, concourt à son éclosion spirituelle, révèle son génie particulier, favorise sa croissance, lui permet d’accepter son passé et ses limites, le délivre de ses démons. C’est ce que le Christ ne cesse de faire dans ses rencontres. Il met sur le chemin de la vraie liberté. Se libérer de l’ego mais c’est aussi prendre soin de soi, accepter de se laisser aider, accueillir par l’autre. Combien de personnes veulent sauver l’autre et n’acceptent pas l’aide d’un autre. Prendre soin de soi, c’est donc se laisser aimer mais aussi mettre des limites. Et pour cela, pouvoir dire non, accepter de ne pas toujours être d’accord avec l’autre et cela jusqu’au risque de le perdre? Prendre soin de soi, c’est être capable de défendre son territoire car l’amour exige le respect. C’est aussi respecter le territoire de l’autre. Est-ce que je n’empiète pas sur son terrain en voulant agir à sa place, en le considérant comme celui que je dois sauver malgré tout et parfois malgré lui? Je n’ai pas à abandonner mon intelligence car l’amour ne peut s’affranchir du discernement. Discerner, c’est mettre en bonne forme notre manière d’être en relation. Veiller à laisser la place à l’autre, ne pas perdre ses appuis, écouter ses propres émotions tout en les mettant à distance et en faisant le tri de ce qui en moi est juste et ce qui ne l’est pas. C’est alors dire non légitimement à la tentative de prédation et à l’emprise mais aussi comprendre que certaines de mes réactions sont disproportionnées. Il faut apprendre à refuser ce débordement de mes propres réactions blessées qui peuvent me faire souffrir à nouveau et faire souffrir l’autre. Le discernement ne peut se passer de l’Amour divin. Aimer avec justesse, c’est se laisser enseigner par l’Amour divin.
Bmg