Le texte de l’Évangile d’aujourd’hui nous décrit Jésus enseignant et répondant aux questions. En fait répondant à certaines questions sans y répondre directement. C’est le cas d’un quidam qui pose une question très générale: « N’y a-t-il que peu de gens qui soient sauvés? » Dans une lecture littérale de ce texte, on retrouve dans la réponse de Jésus la vision dualiste des bons et des mauvais. Les mauvais ne sont pas du tout épargnés : une porte qui se ferme, un dialogue musclé et une fin de non-recevoir. « Éloignez-vous de moi, vous tous qui commettez l’injustice. »
Est-ce une menace, une condamnation ? Pour le savoir, il nous faut creuser la question et partir dans une lecture approfondie du texte, munis d’une clef essentielle : « Dieu est amour inconditionnel, immérité, indicible, inimaginable. » Quelle est cette porte qui me permet d’accueillir l’amour de Dieu , cet amour d’où je viens, cet amour dont je suis pétri, cet amour vers lequel je vais? Une porte étroite dit Jésus. Quelle est cette porte étroite et où mène -t-elle ? Ne serait-ce pas une porte qui s’ouvre sur le Royaume. « Il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume des Cieux. »
Pour entrer dans le Royaume, il faut passer par le trou d’une aiguille. De plus, elle est gardée par le maître. C’est ça le Royaume, difficile d’accès et ultimement fermée sans espoir qu’elle ne s’ouvre à nouveau. Le maître se charge de fermer à un moment la porte et là, plus moyen d’entrer. Quand celle-ci sera-t-elle fermée et définitivement close?
Bien-sûr on peut penser qu’après notre mort, ce sera trop tard si notre cœur est complètement fermé par le mal que nous avons fait. Pour entrer pleinement dans la lumière de Dieu après notre mort, c’est un chemin de sanctification mais si notre cœur continue de refuser Dieu, nous nous mettrons nous même dans les ténèbres.
La parabole de la maison, dont la porte peut être fermée, fait allusion à ce petit laboratoire de sainteté qu’est notre passage sur cette terre dont le but est le Royaume, difficile d’accès, capable ne se refermer définitivement. Qu’est-ce que le Royaume de Dieu ? Le Royaume concerne tous les espaces où Dieu règne. Le lieu où Dieu désire régner, c’est notre cœur mais surtout pas sans notre consentement.
Sainte Thérèse y voit « reconnaissance, élan du cœur, union à Dieu et dilatation de l’âme. Pour elle, le moyen de passer cette porte étroite, c’est la prière. » « Pour moi, la prière, c’est un élan du cœur, c’est un simple regard jeté vers le Ciel, c’est un cri de reconnaissance et d’amour au sein de l’épreuve comme au sein de la joie ; enfin c’est quelque chose de grand, de surnaturel, qui me dilate l’âme et m’unit à Jésus. » (Ms C, 25rv)
Le Royaume est donc un mouvement en nous qui est lumière et qui cherche la lumière. Ce dynamisme du Royaume qui grandit en nous est à accompagner. Il est en attente de notre consentement et de notre collaboration. Il nous espère au dedans de nous pour nous emmener au-delà de nous-même. Le Royaume de Dieu est à l’intérieur de nous. Le Royaume est dans cette maison qu’est notre cœur (sens biblique). Dans notre cœur, une porte étroite. Pourquoi étroite? C’est dû à l’étroitesse de notre cœur. D’où l’importance d’accueillir le regard d’amour du Christ sur chacun d’entre nous.
Dans notre cœur, au-delà de la sensibilité, de de l’affectivité et de l’intelligence, se trouve un domaine spécifique, l’intériorité spirituelle. Cette intériorité n’est pas soi une capacité naturelle. Elle est un domaine à part et chaque personne peut choisir de la reconnaître, de la nourrir, et d’investir cette maison intérieure où nous pouvons rencontrer le maître de maison. C’est le lieu où habite l’amour de Dieu en chacun de nous. Pourquoi porte étroite? Nous l’avons vu, parce qu’elle n’est pas évidente et si je la délaisse, si je l’abandonne, elle se rétracte et devient incapable de vivre cet au-delà de soi.
La vie spirituelle s’étiole. On comprend mieux la réponse du maître de maison : Je ne sais pas d’où vous êtes. Cette porte est étroite pour une autre raison. Beaucoup sont en chemin vers cette profondeur. L’amitié, l’amour, l’art, la connaissance sont un chemin vers cette intériorité. Mais la chercher suppose une remise en question. Beaucoup n’arrivent pas au centre de leur être parce que cela nécessite de s’alléger, de se simplifier. Entrer par la porte étroite nous oblige à laisser tous les paquets qui nous encombrent, les nommer et laisser Dieu nous simplifier.
On n’entre pas une fois pour toutes par cette porte étroite. C’est un mouvement, un déploiement, qui sans cesse s’ajuste aux situations.
Par exemple quand l’épreuve, la souffrance viennent, il nous faut à chaque fois ouvrir cette porte étroite, ne pas quitter des yeux la finalité, cet au-delà de moi-même qui m’attire et m’espère. L’enjeu, c’est sans perdre de vue le but, rester ouvert à l’expérience. Parfois, cela demande de grands actes de foi. Je crois que Dieu nous porte dans cette traversée et qu’il peut donner sens à cette souffrance. Le Christ sur la croix a résisté à la haine qui s’abattait sur lui. Son cœur ne s’est pas fermé. Le cœur humano-divin du Seigneur s’est appuyé sur son père « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ».
Comment répondre à la question du début ? « N’y a-t il que peu de gens qui seront sauvés ? »
Jésus ne répond pas directement à cette question parce qu’il sait que chaque être humain est un monde en soi. Il nous invite à explorer ce monde, notre monde intérieur. Il nous invite à respecter le monde intérieur de l’autre, sans le réduire à son comportement, à nos jugements parfois étriqués.
Jésus veut dire « Dieu sauve ». Ne quittons pas la source seule capable de nous faire grandir humainement et spirituellement. Que cette eucharistie nous donne réconfort, solidité pour ne pas nous perdre en chemin et ne jamais perdre le but de notre vie, Dieu lui-même.
Bmg