Il est beaucoup question de la soif dans ce sublime récit : celle de Jésus, celle de la samaritaine, celle des habitants de Samarie. Dans son texte, Saint Jean joue aussi sur les différentes dimensions de la soif. La soif physique de Jésus qui a longtemps marché sous le soleil. Mais aussi sa soif de rencontrer et d’échanger avec cette Samaritaine. Et bien sûr sa soif de l’amener dans la question essentielle de sa vie spirituelle.
De quoi a soif la samaritaine, quelle est sa vraie soif ? Petit à petit, Jésus va mettre de la clarté dans sa quête de bonheur. Jésus va lui révéler toutes les soifs qui l’habitent : soif du corps, soif de l’âme -dans le sens de la psyche-, soif de l’esprit. Cela correspond aux trois dimensions de tout être humain : corps, âme esprit. Le corps c’est l’interface avec le monde physique. Il nous alerte quand nous traversons des turbulences : excès de stress, d’angoisses, d’épreuves et il nous sert de fusible. Oui c’est lui qui nous permet de nous ancrer, il est notre prise de terre, remède à nos prises de tête. Enfin, il ne ment jamais. Cette femme de Samarie habite sa dimension du sensible. Elle a bien les deux pieds sur terre. Tout son discours est plein de bon sens et ses questions et ses réponses révèlent qu’elle reste très concrète. Non elle ne « fly » pas comme disent les québécois, elle ne butine pas dans l’azur, elle ne se réfugie pas dans les éthers d’une spiritualité désincarnée. La preuve, ce qu’elle rétorque à Jésus :
« Seigneur, tu n’as rien pour puiser, et le puits est profond. D’où as-tu donc cette eau vive ? »
Quant à la dimension de l’âme, son psychisme dirait-on aujourd’hui, comment le vit elle ?
De la même manière que le corps est l’interface avec le monde physique, le psychisme est l’interface avec le monde des sujets. Son lieu spécifique est le relationnel. Sûrement, la Samaritaine vit elle une souffrance à ce niveau-là. Cette femme est vivante, relationnelle avec Jésus, presque familière. Elle fait preuve de spontanéité. Tout va bien ! Alors quel est son problème ? Pourquoi vient-elle chercher de l’eau au puits à midi au moment où le soleil est accablant ? A-t-elle des difficultés relationnelles avec les autres ? On peut dire qu’elle a mauvaise réputation à cause de sa vie affective. « Tu as raison de dire que tu n’as pas de mari : des maris, tu en a eu cinq, et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari ; là, tu dis vrai. » C’est Jésus qui lui dit cela mais comment a-t-il fait pour ne pas fermer son cœur par ces quelques paroles de vérité. Bien au contraire, le dialogue avec Jésus lui a ouvert le cœur et particulièrement ces paroles vraies? Tout est dans la manière de le dire mais aussi dans la manière dont Jésus l’a regardée. Il l’a regardée sans l’enfermer. Il a regardé la personne qu’elle est dans toute sa plénitude, dans ce qu’elle est appelée à être. Ce regard d’infinie compassion délivre, guérit et permet ainsi à chaque personne qui accueille ce regard de se sentir exister. La Samaritaine s’est senti exister car Jésus l’a regardée comme jamais personne ne l’avait regardée.
C’est à cette femme de mauvaise réputation que Jésus va livrer la perle de l’évangile.
« Quiconque boit de cette eau
aura de nouveau soif ;
mais celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai
n’aura plus jamais soif ;
et l’eau que je lui donnerai
deviendra en lui une source d’eau
jaillissant pour la vie éternelle. »
Jésus introduit cette femme dans son vrai désir. Pour cela, il déploie une véritable pédagogie de l’intériorité. Elle va progressivement, de question en question se découvrir elle-même en profondeur, grâce au Seigneur, parce qu’elle accepte de se regarder en vérité. Ainsi dans la vie spirituelle, Dieu nous éduque et nous guide pour que nous le cherchions non pas seulement au-dehors de nous-même, mais aussi au-dedans. Le chemin spirituel est une voie d’intériorisation qui nous conduit vers les profondeurs de notre être : c’est là que nous rencontrons Dieu en vérité en même temps que nous nous trouvons nous-même. Le cœur profond est ainsi à la fois le lieu de notre plus grande intimité, le sanctuaire de notre conscience, mais aussi l’espace où l’Amour de Dieu demeure. Ainsi plus je me fais proche de Dieu en moi, plus je deviens vraiment moi-même.
De la même manière que le corps est l’interface avec le monde physique, que le psychisme est l’interface avec le monde des sujets, l’esprit lui est l’interface avec le monde divin. Dieu nous connecte avec la dimension spirituelle de notre être. C’est dans le domaine spirituel non déconnecté avec le reste qu’il nous faut mettre notre centre de gravité. Ce domaine n’est pas évident. Cette intériorité dite spirituelle est différente de l’intériorité physique ni même de l’intériorité psychologique.
L’intériorité spirituelle est spécifique. Elle n’est pas en soi une capacité naturelle propre à l’homme. Elle prend naissance dans la liberté de la personne qui se décide pour cet au-delà de lui-même. C’est dans cette intériorité que se vivent la foi et l’espérance, c’est dans cette intériorité que grandit notre capacité à aimer. Si cette intériorité est délaissée, abandonnée, elle se rétracte et devient incapable de vivre cet au-delà de soi. La vie spirituelle s’étiole alors.
Dieu nous sauve de cela.
Comment Dieu sauve ?
Dieu nous sauve en nous révélant notre vrai désir :
Si quelqu’un a soif qu’il vienne à moi et qu’il boive, celui qui croit en moi… Des fleuves d’eau vive jailliront de son cœur.
Nous sommes des êtres de désir et nous sommes faits à l’image et à la ressemblance de Dieu. Nous sommes limités mais créés pour l’infini de Dieu. Nous avons soif et nous ne sommes jamais désaltérés. Seul Dieu peut combler notre soif mais c’est en espérance. C’est au cœur de notre soif, que Dieu nous rencontre et que nous rencontrons Dieu. Comme pour la Samaritaine, c’est près du puits, c’est à dire au creux même de notre manque, de notre frustration mais aussi de notre désir que nous rencontrons la source, le Seigneur lui-même. Le Christ lui-même nous révèle notre soif. Jésus est notre soif et notre source. Jésus a soif de notre soif, de toutes nos soifs. C’est ce qu’il dit sur la Croix, j’ai soif. Jésus a soif de nous donner l’eau qui deviendra en nous source jaillissant en vie éternelle. Jésus seul identifie notre désir, révèle l’immensité de notre soif : celle-ci est à la mesure de son Amour, elle ne peut être étanchée qu’en s’abouchant à l’intérieur de nous-mêmes à l’eau que Jésus donne et qui jaillit en vie éternelle.
Que faire pour venir à la source qui jaillit en nous ? La prière et d’une façon éminente l’Eucharistie. Le carême nous invite dans ce chemin.
Dans le chemin de la prière, si Dieu donne souvent des grâces sensibles au début, celles-ci disparaissent au fur-et-à-mesure. Cela peut nous troubler et nous pouvons alors mal réagir : soit, en nous disant que la prière n’apporte plus de plaisir et qu’il vaut mieux arrêter ; soit, en pensant que nous n’avançons pas dans la vie chrétienne puisque nous ne ressentons plus rien. Dieu nous attend, nous espère au-delà des grâce sensibles. La prière se joue au niveau de la foi et non du seul ressenti. Plus que cela l’Amour de Dieu est parfois à accueillir dans le creux de ce qui reste douloureux en nous. C’est ce que Christ a visité dans sa Passion et c’est de cela qu’Il nous sauve dans sa Résurrection.