Quelle puissance en Jésus : puissance dans sa prédication : « il enseigne avec autorité et non comme les scribes », puissance quand il enseigne mais aussi puissance pour chasser les esprits impurs. « Il commande même aux esprits impurs, et ils lui obéissent. »
Mettons-nous à la place des personnes rassemblées dans la synagogue de Capharnaüm, quelle formidable espérance que d’entendre ce prophète venu de Nazareth. Enfin, une autorité qui fera toutes choses nouvelles, enfin la réponse de Dieu aux forces du mal. Se peut-il que l’ère messianique tant espéré puisse advenir ? Que tout s’arrange comme par magie est une fausse croyance. Croire que Dieu va tout régler sans nous, serait faire l’économie de notre collaboration et même de notre liberté. Le Seigneur va remporter la victoire mais dans une autre logique que celle qui nous vient spontanément à l’esprit. Nous sommes appelés à être collaborateurs de cette victoire. La toute-puissance nous fascine. Dieu veut nous faire prendre conscience de notre propre tentation à la toute-puissance.
La « volonté de puissance » prend sa source dans le cœur compliqué et malade de l’homme, comme dit Saint Augustin. Notre intelligence (« les pensées du cœur ») peut devenir une sorte de trône sur lequel nous siégeons, pour dicter des lois et foudroyer ceux qui ne s’y soumettent pas. Pour reprendre le Magnificat de Marie, nous sommes – sur le plan des désirs au moins, sinon dans les faits – des « puissants sur des trônes ». Il peut arriver malheureusement que notre volonté innée de domination et de répression se manifeste, provoquant des souffrances continues à ceux qui en sont victimes.
Dieu est capable de transformer nos tentations de toute-puissance. La divine alchimie, c’est de nous faire passer progressivement du pouvoir au service, par le don de nous-mêmes.
Le service, voilà l’antidote aux tentations de pouvoir que propose l’Évangile! Un pouvoir pour les autres et non pas sur les autres. Le pouvoir confère une autorité, mais le service confère quelque chose de plus. Dans l’autorité de service, se vit une autorité qui a du poids, pétrie de respect, d’estime, en fait un vrai et juste « leadership ». Au pouvoir, l’Évangile oppose également la non-violence, c’est-à-dire un pouvoir d’un autre type, un pouvoir moral et non physique. Jésus disait qu’il aurait pu demander au Père douze légions d’anges pour mettre en déroute les ennemis qui s’apprêtaient à venir le crucifier (Mt 26, 53), mais il préféra prier pour eux. Et c’est ainsi qu’il remporta sa victoire.
Toutefois, le service ne s’exprime pas toujours et uniquement par le silence et la soumission au pouvoir. Il peut parfois inciter à élever courageusement la voix contre le pouvoir et contre ses abus. C’est ce qu’a fait Jésus qui a fait l’expérience au cours de sa vie, de l’abus du pouvoir politique et religieux de l’époque. Pour cette raison, il est proche de tous ceux qui, dans n’importe quel milieu, famille, communautés, société civile font personnellement l’expérience d’un pouvoir mauvais et tyrannique. Avec son aide, il est possible, comme il l’a fait lui-même, de ne pas « succomber au mal » et même de vaincre « le mal par le bien » (Rm 12, 21).
La réponse de Dieu à la tentation de toute-puissance, c’est le Christ qui va l’incarner en donnant l’exemple d’un dépouillement, d’une kénose.
Il s’est dépouillé de sa toute-puissance : le « tout-puissant » s’est fait « impuissant ». « Il s’est dépouillé, prenant la condition d’esclave » (Ph 2, 7). Toute la pédagogie de Dieu, c’est de révéler une nouvelle puissance, celle de la croix. « Ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre les sages » (1 Co 1, 27).
Jésus appelle des disciples et les met petit à petit sur ce chemin. C’est le sublime récit du lavement des pieds. C’est en fait son enseignement quand il leur dira : ‘Vous le savez, ceux que l’on regarde comme chefs des nations païennes commandent en maîtres ; les grands leur font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. Celui qui veut devenir grand sera votre serviteur. Celui qui veut être le premier sera l’esclave de tous ».
Un saint homme a beaucoup travaillé sur sa propre tendance à imposer aux autres ses idées, sa manière de voir. C’est le patriarche Athénagoras. Je vous lis la prière qu’il a écrite et qui est comme le fruit d’un grand travail intérieur.
« Il faut mener la guerre la plus dure contre soi-même.
Il faut arriver à se désarmer. J’ai mené cette guerre pendant des années, elle a été terrible.
Mais maintenant, je suis désarmé. Je n’ai plus peur de rien, car l’amour chasse la peur.
Je suis désarmé de la volonté d’avoir raison, de me justifier en disqualifiant les autres.
Je ne suis plus sur mes gardes, jalousement crispé sur mes richesses. J’accueille et je partage. Je ne tiens pas particulièrement à mes idées, à mes projets. Si l’on m’en présente de meilleurs, ou plutôt non pas meilleurs, mais bons, j’accepte sans regrets J’ai renoncé au comparatif. Ce qui est bon, vrai, réel, est toujours pour moi le meilleur. C’est pourquoi je n’ai plus peur.
Quand on n’a plus rien, on n’a plus peur. Si l’on se désarme, si l’on se dépossède, si l’on s’ouvre au Dieu-Homme, qui fait toutes choses nouvelles, alors, Lui, efface le mauvais passé et nous rend un temps neuf où tout est possible.
Patriarche Athénagoras
C’est la proximité avec le Christ qui nous révèle le vrai remède contre le mal. Faisons-nous intime du Christ par la prière, les sacrements, la charité, le service. La rencontre avec le Christ nous enrichit. Comment ne pas transmettre cette richesse en ouvrant à d’autres, dans la mission, ce trésor.
Plonger dans l’intimité du Christ certes mais s’ouvrir aux autres, c’est la double exigence du Christ pour nous qui avons accepté d’être ses disciples. Autrement dit, il nous faut plonger en nous-mêmes pour rejoindre le Christ qui nous y attend mais aussi pour nous ouvrir aux autres. Ce double mouvement est nécessaire pour être vraiment disciples du Christ. Méfions-nous de la fausse intériorité, quand elle n’est que repli introspectif sur soi. Si la plongée en soi ne s’effectue que dans un sens, à savoir dans la profondeur de sa propre subjectivité, on est encore bien éloigné de l’intériorité authentique. Plongée en soi certes mais dans un mouvement de pur amour pour l’autre. L’intériorité n’est pas un état d’esprit mais un mouvement de l’esprit, elle est infiniment plus proche de la compassion que de l’introversion. Le mouvement de l’intériorité consiste, précisément, à se rendre proche de ce qui « est », il consiste à se tenir dans la proximité de ce qui est, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de soi. Loin d’être un repli sur soi, l’intériorité est une attitude de non distance vis-à-vis des êtres et de soi-même, par la vertu d’une ouverture totale du cœur. (cf. Maxime Gimenez)
L’Eucharistie, si nous la vivons dans ce double mouvement, est le lieu de cette transformation du cœur d’où jaillit la victoire du Christ sur le mal.
bmg