Avons-nous dans nos vies rencontré Jésus ? Il y a mille manières de le rencontrer. Parfois est marqué dans notre mémoire comme une expérience de rencontre avec Lui qui a illuminé nos vies. Les différents évangiles racontent maintes et maintes rencontres de Jésus avec des malades, des pêcheurs, des possédés, des savants, des chefs religieux. A chaque rencontre, il se passe toujours quelque chose : appel à le suivre, guérison, libération, ouverture du cœur, dilation de l’âme, appel parfois virulent à la conversion. Le texte qui nous est proposé par la liturgie raconte l’appel des premiers disciples. La manière dont Jean nous rapporte cet événement est d’une extrême concision, une extrême rapidité. En quelques versets, tout est dit. Jn 1,40-42 : « André, le frère de Simon-Pierre, était l’un des deux disciples qui avaient entendu la parole de Jean et qui avaient suivi Jésus. Il trouve d’abord Simon, son propre frère, et lui dit : « Nous avons trouvé le Messie » – ce qui veut dire : Christ. André amena son frère à Jésus. Jésus posa son regard sur lui et dit : « Tu es Simon, fils de Jean ; tu t’appelleras Kèphas » – ce qui veut dire : Pierre. » Le texte est d’une grande sobriété comme tous les récits d’appel. Souvent, quand on raconte sa vocation, on donne beaucoup de détails sur les circonstances, sur notre état d’esprit, nos hésitations, la réaction des autres. La Bible de manière générale est d’une grande sobriété dans tous les récits de vocation. Il nous faut lire entre les lignes.
André va voir son frère Simon que l’on imagine en train de préparer ou de ranger les filets. André a expliqué sa rencontre extraordinaire avec un certain Jésus que Jean a désigné comme l’Agneau de Dieu. On suppose qu’André a dû vouloir convaincre Simon et lui exprimer ce qu’il a ressenti, ce qu’il a vécu dans cette rencontre. Mais je pense que ce ne sont pas les paroles abondantes et enflammées d’André qui ont convaincu Simon. On peut penser que Simon se lève pour aller voir ce Jésus, plus pour avoir la paix que parce qu’il aurait été séduit par ce que vient de dire son frère. Il y va pour qu’André comprenne que ce n’est pas son truc et ensuite il pourra revenir s’occuper de son travail !
Il y va et ça ne se passe pas du tout comme Simon l’avait prévu, de fait, il y a quelque chose chez cet homme de bouleversant. C’est dû au regard de Jésus posé sur lui et cette parole qu’il lui adresse : « désormais Simon, tu seras appelé kephas, Pierre ». Un regard, une parole et tout bascule dans la vie de Pierre. Je pense vraiment que ce ne sont pas les paroles d’André qui l’ont converti, il a fallu qu’il fasse lui-même cette rencontre avec Jésus. Pierre a tout compris dans le regard du Christ. Le regard de Jésus n’est pas n’importe quel regard ! Jésus le regarde vraiment. Dans ce regard une rencontre d’âme à âme. Le regard est la lumière de l’âme, celui de Jésus va croiser le regard de Pierre qui reste libre d’accueillir ou non ce regard jusque dans son âme. Edith Stein décrit ce qu’est une vraie rencontre en ces termes :
« je regarde dans les yeux d’un homme et son regard me répond. Il me laisse entrer dans son intérieur ou me repousse. Il est maître de son âme et peut ouvrir ou fermer ses portes. Il peut sortir de lui-même et pénétrer dans les choses. Lorsque deux hommes se regardent, un « je » se tient en face d’un autre « je ». Il peut y avoir une rencontre devant les portes ou une rencontre à l’intérieur. Si c’est une rencontre à l’intérieur, alors l’autre « je » est un « tu ». Simon Pierre a rencontré Jésus au sens fort du terme.
C’est d’ailleurs la même chose avec la samaritaine, elle rencontre Jésus, cette rencontre bouleverse sa vie, elle rentre chez elle et en parle à tout le monde et elle a dû en parler et en parler, tellement enthousiasmée qu’elle a été par cette rencontre. Certes, elle a éveillé une vraie curiosité dans son village, toujours est-il que les gens veulent voir Jésus et ils viennent le rencontrer. Ils le voient, ils l’écoutent et c’est alors qu’ils disent ces paroles merveilleuses : « ce n’est pas seulement à cause de tes paroles que nous croyons, mais nous l’avons vu et entendu et maintenant nous savons qu’il est vraiment le Sauveur du monde. » Jn 4,42. il a fallu qu’ils fassent eux-mêmes cette rencontre avec Jésus. C’est encore ce qui se passe avec Thomas après la résurrection, les autres lui racontent ce qu’ils ont vu, mais il ne peut pas être vraiment croyant tant qu’il n’a pas rencontré Jésus ressuscité. Et quand Jésus dit : Heureux ceux qui croient sans avoir vu, je ne pense pas qu’il fasse un reproche à Thomas, il dit plutôt : croire sans voir, c’est de l’ordre de l’exceptionnel, ceux à qui ça arrive, chapeau ! Le chemin normal de la Foi, c’est la rencontre avec Jésus.
Pour croire, il y a cette nécessité d’une rencontre personnelle avec Jésus. Et c’est peut-être une des difficultés majeures de notre temps, il y a pas mal de pratiquants mais qui ne sont pas encore des croyants. Il y a beaucoup de gens qui pratiquent les valeurs de l’Évangile, mais ça ne fait pas encore d’eux des croyants ! Il y a la nécessité d’une rencontre personnelle avec Jésus, une rencontre qui peut se faire de 1000 manières différentes, qu’on a pu faire tout gamin ou qu’on a fait plus tard, peu importe, mais il faut une rencontre. Un moment où Jésus cesse d’être un personnage du passé auquel on se réfère pour vivre comme il a vécu, pour faire passer dans nos vies ses convictions à lui, tout cela est bien noble, mais ça ne fait pas un croyant, ça fait un pratiquant. Il y a cette nécessité que Jésus devienne vraiment quelqu’un pour nous ; alors la foi cesse d’être de l’ordre des idées, elle devient expérience. C’est à cette expérience que le pape François appelait tous les chrétiens dans les premiers numéros de son exhortation Evangelii Gaudium : « J’invite chaque chrétien, en quelque lieu et situation où il se trouve, à renouveler aujourd’hui même sa rencontre personnelle avec Jésus Christ ou, au moins, à prendre la décision de se laisser rencontrer par lui, de le chercher chaque jour sans cesse. Il n’y a pas de motif pour lequel quelqu’un puisse penser que cette invitation n’est pas pour lui » (EG, 3)
Peut-être que cette expérience que nous avons faite s’est un peu émoussée au cours des années, alors demandons la grâce de la revivre. Cette rencontre avec le Christ, c’est ce qu’a vécu Pierre. Et, pour autant, cette rencontre avec Jésus n’est pas le dernier mot de l’itinéraire spirituel. Pierre fait cette rencontre qui va bouleverser sa vie, toutefois, il lui restera encore une étape décisive à franchir : recevoir le Saint Esprit. Il y a dans nos vies un premier appel qui nous lie au Christ de manière indéfectible et il y a un second appel dans lequel nous sommes invités à accueillir la puissance du Saint Esprit.
Que dans cette Eucharistie, nous puissions faire mémoire d’une rencontre avec le Christ ou en demander la grâce. L’Esprit Saint nous l’avons reçu lors de notre confirmation. Puissions vivre une grande intimité avec Lui dans notre cœur, lui qui en nous, crie Abba, Père »
bmg