Le livre des Actes des Apôtres s’ouvre par le récit du départ de Jésus ressuscité. Le mystère de l’Ascension nous laisse entrevoir qu’il y a une place pour l’homme en Dieu. Pour l’homme tout entier. Nous n’avons pas à renier notre humanité pour nous élever jusqu’à la hauteur de Dieu. Nous n’avons pas à nous évader de la condition humaine pour entrer dans la condition divine. Nous avons plutôt à accueillir et à aimer notre humanité, même et surtout dans ce qu’elle a de plus charnelle. Dieu aime la matière. Il aime notre corps, notre humanité dans sa finitude et sa fragilité.  Le Seigneur en personne est venu pour restaurer l’homme dans sa liberté et sa force, le rénovant intérieurement et jetant dehors le prince de ce monde (cf. Jn 12, 31), qui le retenait dans l’esclavage du péché. »

L’Ascension marque la fin d’une étape. La deuxième étape a été minutieusement préparée par le discours d’adieu aux disciples avant la Passion et la Résurrection mais aussi par les apparitions aux disciples entre Pâques et l’Ascension.  Cette période des apparitions était très particulière, comme si Christ Ressuscité était en un entre-deux. On ne le reconnaît pas tout de suite. C’est le cas de Marie-Madeleine, des disciples d’Emmaüs. Christ ressuscité joue les passe-muraille et apparaît aux apôtres, donne un rendez-vous mystérieux en Galilée, Il apparaît à 500 frères à la fois. Dans un contraste saisissant, Paul parle de l’apparition dont il a bénéficié sur le chemin de Damas. Peut-on dire que cette apparition est de même nature que l’apparition aux disciples. Certes non ! Paul est ébloui par une lumière qui l’aveugle et le met à terre. Il entend une voix qui lui reproche de le persécuter à travers les disciples du Christ qu’il pourchasse.

Les apparitions avant l’ascension sont plus terrestres. Christ ressuscité se fait connaître quand les yeux de la foi s’ouvrent. Il mange, boit, parle avec ses disciples comme avant la Passion. Pourquoi ces apparitions à quelques-uns,  si discrètes, si intimes ? Nous aurions aimé une annonce triomphale, comme une revanche sur l’humiliation de la Croix. Mais dans l’évangile, pas de trompettes, pas de théophanie juste une démonstration : le Christ qui a partagé son intimité avec ses disciples, qui a subi le supplice de la croix est celui-là même qui leur apparaît après sa résurrection. C’est au creux de l’absence, d’un désir, celui de Marie-Madeleine qui veut retenir Jésus, celui de Thomas qui veut toucher ses plaies, parfois même au creux d’une déception, celle des disciples d’Emmaüs que Jésus pose le sceau d’une conviction profonde dans le cœur des uns et des autres à qui il apparaît: « celui qui était mort est vivant ». Après l‘ascension plus d’apparitions de ce type. Jésus s’est assis à la droite du Père, manière de dire qu’il est au Ciel.

Mais qu’est-ce que le Ciel ? L’analogie avec ce qui est au-dessus de nous et que nous contemplons en levant la tête est bonne, elle nous est donnée par l’Écriture. Mais ce que l’on appelle le Ciel est bien différent d’un lieu localisé. Pour nous chrétiens, le Ciel, c’est la Vie avec Dieu ; Jésus “monte” ainsi vers son Père au cœur de la Trinité. Le Ciel c’est cette Vie de l’amour, reçu et donné, cette dynamique de l’Amour qui caractérise la Vie trinitaire, la vie de Dieu. En remontant au Ciel, Jésus nous ouvre ainsi cette route vers la plénitude de Dieu ; les icônes orientales réservent une couleur pour dire le Ciel de la Divinté : l’or qui est déposé tout au début de l’écriture d’une icône et qui ressort en particulier sur l’auréole. L’or nous rappelle ce qu’est le Ciel, l’immersion dans la divinité même, milieu de Vie et d’Amour éternel.  La visite du Christ dans notre humanité blessée est libératrice. Il ne nous laisse pas dans nos blessures, il est bien le Sauveur qui “répare” qui guérit et libère.

L’art du Kintsugi est l’art de l’accident. C’est un art japonais qui consiste à transformer les fractures d’une poterie de façon qu’elle devienne œuvre d’art. Est rehaussée grâce à de l’or finement déposé sur les fractures la beauté de l’œuvre. Le Christ rehausse la beauté de notre humanité blessée. Pour cela, notre disponibilité au souffle de l’Esprit est guérissant. Comme le potier pratiquant le kintsugi, j’ai besoin de m’approprier ma propre terre et accueillir l’or de la divinité du Christ.  Pourquoi rêver d’une autre terre ? C’est celle-là que je dois pétrir et même chérir ! Cette terre est appelée à devenir œuvre d’art. Certes, ce sont mes mains qui agissent mais l’inspiration, le souffle vient de Dieu. Il est mon maître, mon ami, Celui qui veut faire de moi un potier. Le Christ est l’or en ma terre. Victor Frankel a fondé sa psychothérapie sur quelques idées fortes dont celle de « finalité ». L’homme a besoin de mettre du sens dans sa vie en fonction d’un but, d’une destination. Pour nous chrétiens, notre vocation, ce pour quoi nous avons été créés, c’est bien la vie au Ciel.

Notre horizon à chacun est donc le Ciel, c’est-à-dire la Vie en et avec Dieu. La fête de l’Ascension nous le rappelle très fortement. Forts de cette conviction, nous saisissons que notre vie a un sens, que nous en sommes responsables et que la terre est déjà le Ciel puisqu’il est le laboratoire qui nous permet d’expérimenter ce qu’est le Ciel. Il est l’Amour qui nous a créé, dont nous sommes pétris et vers lequel nous allons. C’est sur la terre que nous faisons nos gammes pour chanter et louer Dieu de tout notre souffle, de toute notre vie. Notre vie chrétienne se résume donc en cette marche vers le Ciel… où nous nous retrouverons auprès du Seigneur, de la Vierge-Marie et denos proches. Notre vie est donc une route où le Seigneur nous accompagne (comme à Emmaüs), où nous nous portons et entraînons les uns les autres… C’est cela l’Église ; le peuple de Dieu en marche vers le Ciel.  Souvent notre vision de l’Église peut être trop humaine (comme une seule institution). Contemplons l’Église, ce peuple en marche vers la Vie éternelle, peuple auquel nous appartenons. Avec elle, laissons le désir du Ciel nous habiter et grandir. La vertu théologale d’Espérance (reçue à notre baptême) est cette vertu par laquelle nous désirons le Ciel comme notre bonheur… Laissons donc cette vertu prendre toujours plus de place dans nos vies… « On obtient de Dieu autant qu’on en espère » disait Saint Jean de la Croix. L’Espérance est cette vertu qui nous permet de vivre aujourd’hui ce que nous avons à vivre, le regard porté sur la Vie éternelle, en en vivant déjà à chaque instant dans le quotidien de nos vies…