Ce que Lazare a vécu est unique. Mourir deux fois, c’est ce qu’il a fait. Il est donc une exception. Premier acte, il va mourir atteint d’une maladie grave. Pour Marthe et Marie seul Jésus peut le sauver de la mort. Cependant, il ne se précipite pas à son chevet : « Jésus aimait Marthe et sa sœur, ainsi que Lazare. Quand il apprit que celui-ci était malade, il demeura deux jours encore à l’endroit où il se trouvait. Puis, après cela, il dit aux disciples : Revenons en Judée. » Pourquoi, Jésus laisse mourir Lazare en laissant passer deux jours pour se rendre à Béthanie ? Parce que, dit-il, « Cette maladie ne conduit pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu, afin que par elle le Fils de Dieu soit glorifié. » C’est donc un message adressé à la communauté juive et à nous par la même occasion. Qui est Jésus ? C’est la vraie question qui nous est posée. Qui est Jésus pour nous ? On peut se dire que tout cela ce sont des histoires, des contes de fée pour les enfants. Pour se positionner sur cette question suivons les traces de Marthe et Marie. Jésus est infiniment plus fort que la mort. Mais Il est mort sur une croix, me diriez-vous ? Acceptons ce paradoxe. C’est la seule façon de le résoudre.
Marie et Marthe feront chacune leur propre chemin à partir de leur singularité : l’une est plus dans l’action, l’autre dans une compréhension qui passe par la parole. L’amitié avec Jésus va leur permettre de grandir dans la connaissance d’elles-mêmes, des autres et de Dieu. Deuxième acte. A la mort de Lazare, elles feront preuve d’une grande humanité. D’abord, la mise en mots de leur souffrance. Toutes deux, elles adressent à Jésus la même phrase : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort ». Marthe et Marie ont compris que Jésus est la vie. Cependant, le contraste est frappant entre les deux sœurs. Marthe, apprenant l’arrivée de Jésus, s’était empressée de partir à sa rencontre. Marthe a entendu le message du Christ. Tous ces moments passés avec lui, lui ont ouverts les yeux. Toute active qu’elle est, elle a les mots : “Oui, Seigneur, je le crois : tu es le Christ, le Fils de Dieu, tu es celui qui vient dans le monde”. »
Marthe a entendu Jésus dans la plus grande profondeur de son être. Marie, elle, était restée à la maison, accablée par son deuil. Marthe, en présence de Jésus, avait d’emblée reconnu que, «maintenant encore », Dieu pouvait exaucer la prière qui monterait vers lui ; Marie, en présence de Jésus, n’envisage pas cette possibilité́ : Jésus n’a pas été là à temps, et maintenant c’est trop tard, Lazare est mort, il n’y a plus rien à faire, il n’y a plus qu’à pleurer. Seules les larmes sont parfois capables de dire, d’exprimer, à l’extérieur ce qui se vit à l’intérieur. La blessure est si profonde, tellement douloureuse qu’elle secrète un poison qu’il faut chasser, expulser à l’extérieur. C’est la fonction des larmes quand c’est possible.
Ernest Hello a pu l’exprimer ainsi : « les larmes disent des secrets que la parole ne peut dire ». Quelle va être la réaction de Jésus ? Va-t-il reprocher à Marie de ne pas manifester la même confiance que Marthe ? Non, Marie est entendue dans sa singularité, jusque que dans son corps, jusque dans son psychisme, aucun reproche, mais bien plutôt une compassion extrême envers cette femme pleurant à ses pieds : « Jésus, en son esprit, fut saisi d’émotion, il fut bouleversé ». Les mots sont très forts : Jésus a été saisi aux entrailles, rejoignant Marie dans l’épreuve de son deuil, confronté comme elle à l’absence d’un être cher, au drame de la séparation, à la présence tragique de la mort. Marthe a entendu, Marie est entendue. Nous avons là un résumé de la vie de disciple du Christ : entendre et faire confiance que nous sommes entendus. Pas seulement dans la dimension spirituelle de notre être mais dans tout notre être, corps, âme et esprit, c’est l’Esprit Saint qui nous le fait comprendre. L’Esprit Saint qui nous est donné et d’une manière éminente dans l’Eucharistie fait grandir en nous la capacité d’entendre et la confiance que nous sommes entendus.
Est posé dans ce texte la question fondamentale de la mort physique. Sommes-nous des êtres pour la vie ou des êtres pour la mort ? Pour la vie bien sûr et malgré la mort. Ce récit c’est l’illustration de la Bonne Nouvelle. Christ a vaincu la mort.
La question de la mort est une question à laquelle aucun être humain n’échappe. Elle est souvent refoulée, déniée, enfouie par de savants mécanismes de défense d’où surgit une angoisse que l’on ne sait nommer. On tente parfois de la désarmer, de la désamorcer dans le tourbillon de l’ego qui se suffirait à lui-même : pouvoir, argent, puissance, reconnaissance immodérée. Rien n’y fait, jamais nous ne serons exonéré de cette question de la mort. Heureux sommes-nous d’avoir la foi ! Quelle foi ? Nous croyons que Christ a vaincu la mort par sa mort. Pourquoi devait-il mourir pour nous sauver de la mort ?
Le Seigneur nous dit, c’est tout le poids de votre humanité que je saisis dans l’amour inconditionnel que j’ai pour vous. Je viens vous sauver et c’est dans toutes les dimensions de votre être que je viens vous dire l’inouï, l’inattendu de mon amour. Oui je vous aime jusqu’à vous visiter dans ce qui vous trouble, vous désespère, vous anéantit, je vous aime jusqu’en votre mort. N’ayez pas peur de vous laisser aimer jusque-là. Dieu en Jésus-Christ nous sauve radicalement. Christ vient prendre la déchirure de notre propre mal non pas pour nous y laisser mais pour y transfuser sa vie. Déjà maintenant nous avons à accueillir les semences de résurrection.
Depuis la Passion et la Résurrection de Jésus rien n’est plus comme avant. Plus jamais seul. Nous pouvons être en dialogue au cœur même de notre vie intérieure avec celui qui nous sauve de nos peurs, tout ce qui nous enferme dans nos peurs, peur de nous-même, peur des autres, peur de Dieu.
La sagesse de Dieu est folie devant les hommes. N’est-ce pas cette folie que propose Jésus à ses disciples ? Une folie que Jésus lui-même a choisie et pour laquelle il a donné sa vie. Jésus appelle ses disciples à être parfaits comme leur Père céleste est parfait. Est-ce que le bon larron était parfait ? Certes non ! Que s’est-il passé pour qu’il fut rendu parfait en l’espace d’un instant ? Saint Augustin imagine un dialogue de Jésus avec le bon larron. « Comment as-tu fait pour reconnaître la divinité du Messie ? …Avais-tu, entre deux brigandages, pris le temps d’étudier les Écritures? – Non, je n’avais pas scruté les Écritures ; non, je n’avais pas médité les prophéties. Mais Jésus m’a regardé…et, dans son regard, j’ai tout compris ». Le bon larron est le premier Saint béatifié par Jésus lui-même sur la croix. Jésus lui déclara : « Amen, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. »