« N‘avions nous pas le cœur tout brûlant quand il nous expliquait les Ecritures ? » Dans la première lettre au Corinthiens, Paul raconte ce qu’on lui a transmis. Le christ a été vu par Képhas par les douze, puis par 500 frères à la fois (certains sont encore vivants, sous-entendu allez leur demander) et finalement il a été vu par lui. Christ s’est laissé voir par Paul mais la manière dont le Christ s’est laissé voir par Paul est radicalement différente que celle destinée aux disciples. Ce n’est plus tout à fai la même réalité. Le Christ qui apparaît à Paul est retourné vers le Père. C’est après l’ascension. Paul ne le voit pas à proprement parler. Il est aveuglé par une lumière qui le jette à terre et Il entend sa voix : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » C’est le Christ de gloire qui lui apparaît. Dire la gloire de Dieu, c’est dire le rayonnement de l’amour infini qui est en Dieu. Paul en est aveuglé et retourné. On comprend mieux alors, la raison des apparitions du Ressuscité aux disciples dans l’entre-deux. C’est un sas important entre Pâques et l’Ascension. Christ y est présent mais c’est une présence différente de celle d’avant. Le Christ qui marchait avec ses disciples sur les routes de Palestine, le crucifié et le ressucité est la même personne. Tout cela est dans la continuité de ce qu’ils ont vécu ensemble. L’insistance, c’est de dire Christ est ressuscité , il est vraiment ressuscité jusque dans son corps.
La Résurrection est corporelle. Le corps est à prendre dans le sens le plus large possible. Son Corps, c’est aussi son relationnel, les événements qu’il a vécu avec les uns et les autres, ces gestes d’intimité qu’il a partagés avec ses disciples, les guérisons qu’il a opéré, les paroles qui sont sorties de sa bouche quand il enseignait. Dans le Corps du Ressuscité une radicale nouveauté : l’extrême intimité en Christ de Dieu et de l’homme et ce jusque dans ce qui est blessé en l’humain. Notre foi repose sur les témoignages qui disent que Christ est vraiment ressuscité: amour blessé, amour fécond qui se laisse trouver par ceux qui se laissent aimer rejoindre par cet amour. N’ayons pas peur de nos fragilités, elles sont les portes d’entrées de cet amour.
N’ayons pas peur, Dieu nous rejoint dans nos blessures, dans nos frustrations, nos déceptions, dans notre tristesse comme pour les pèlerins d’Emmaüs, dans notre repentir comme pour Pierre, dans notre quête d‘amour comme pour Marie-Madeleine, dans notre zèle pour Dieu mal orienté comme pour Paul, dans le oui douloureux de Marie au pied de la croix. Dans le début du texte des pélerins d’Emmaüs, on trouve beaucoup d’expressions qui expriment désespoir, frustration, amertume, tristesse etc… Leur visage est sombre, ils sont déçus par rapport à leur attente mais aussi blessés dans l’investissement spirituel qu’ils ont mis en Jésus. Le cheminement des disciples d’Emmaüs est un exemple de reconstruction à partir d’un arrachement destructeur qui a déraciné en eux toute l’espérance, l’amour et la foi qu’ils avaient mis en Jésus. « Nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël ».
« Nous espérions », cette expression est le signe d’un profond désenchantement. Le passé est douloureux, le présent lourd d’amertume et l’avenir bouché. Ressassée sans cesse, cette expression est un enfermement dans une nostalgie délétère qui les empêche d’avoir accès à leur cœur profond et de reconnaître le maître qu’ils ont suivi. « Leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître » ? Cependant, les disciples d’Emmaüs, blessés et déracinés vont petit à petit ouvrir leur cœur à cet inconnu qui va déployer toute sa compassion, tout son art guérissant et libérateur. Dans ce récit Jésus ressuscité va pratiquer dans la rencontre avec l’autre cet art nouveau fondé sur l’énergie de la Résurrection qui ne peut s’accueillir que dans le cœur profond. Tout d’abord, Jésus s’approche de ces deux disciples enfermés dans leur déception, leur souffrance et leur amertume. Pas à pas, Jésus va les faire advenir à eux-mêmes.
Il les prend comme ils sont : amers, aveugles, défaits. L’art de l’autre chez Jésus, c’est espérer en eux : espérer qu’en les laissant nommer leur tristesse, ils pourront être suffisamment libre pour une autre parole, une parole qui ouvre le cœur. Espérer que leurs yeux s’ouvriront. Espérer qu’ils retourneront à Jérusalem pour vivre leur mission de disciples. Les disciples d’Emmaüs sont habités par des sentiments contradictoires, comme chacun d’entre nous d’ailleurs. Ils ont entendu ce qui se disait au sujet d’une possible résurrection que Jésus avait annoncé à l’avance et cependant leur cœur reste amer, fermé et leurs yeux aveuglés. « À vrai dire, des femmes de notre groupe nous ont remplis de stupeur. Quand, dès l’aurore, elles sont allées au tombeau, elles n’ont pas trouvé son corps ; elles sont venues nous dire qu’elles avaient même eu une vision : des anges, qui disaient qu’il est vivant. Quelques-uns de nos compagnons sont allés au tombeau, et ils ont trouvé les choses comme les femmes l’avaient dit ; mais lui, ils ne l’ont pas vu. »
Au cœur de la stupeur, de l’amertume, un espoir aurait pu surgir. Pourquoi les disciples d’Emmaüs ne prennent-ils la porte qui s’en-trouve? L’expression en « trois jours » n’est pas là par hasard. Ils avaient bien entendu l’annonce de la Passion et de la résurrection par Jésus lui-même. Ils ont balayé d’un revers de main l’espoir, vite étouffé́ par toute la négativité qui les habite. « Elles n’ont pas trouvé́ son corps … mais lui, ils ne l’ont pas vu. » C’est typique d’une réaction blessée. Inconsciemment, il se sont interdits d’espérer : « si je m’autorise à espérer que la mort n’a pas eu le dernier mot, je risque de revivre la souffrance de l’arrachement ». Pour lever l’interdit, une rencontre avec le Christ ressuscité est nécessaire. Ils étaient restés à la superficie d’eux-mêmes. Jésus va les faire plonger dans leur intériorité la plus profonde.
Jésus va les emmener dans une vraie cohérence, celle des écritures mais aussi dans la cohérence de ce qu’ils ont vécu avec lui. Jésus va recréer en eux une unité intérieure, une cohérence de fond. Tout ce qui a été semé par Jésus avant sa Passion et sa Résurrection va faire sens et finir par prendre à un moment donné tout le champ de leur conscience ? Par sa présence, par la visite des écritures, Jésus a amené les disciples d’Emmaüs dans la profondeur de leur être. Ils ont alors pu dépasser les obstacles intérieurs qui les empêchaient cette descente en eux-mêmes. Ils vont avoir accès au centre de leur âme. Dans cette plongée en eux-mêmes, les disciples d’Emmaüs vont faire l’expérience du « cœur brûlant », ils vont désirer que Jésus reste dîner avec eux, ils vont le reconnaître à la fraction du pain, ils vont décider de faire demi-tour et rejoindre la communauté à Jérusalem ? C’est une véritable renaissance à l’espérance. Ils sont revenus à la vie grâce à Jésus qui leur a fait faire un véritable chemin d’intériorité. Pour nous aussi, entrer dans le mystère de la Résurrection, c’est accéder à son intériorité pour que notre âme s’ouvre au divin.