Parabole du semeur

Quel est le contexte quand Jésus raconte cette parabole ? Au chapitre précédent, on assiste à de violentes polémiques. Juste une expression utilisée par Jésus montre l’intensité de ce conflit., « engeance de vipères ». C’est le terme qu’il utilise pour qualifier l’attitude des autorités religieuses.

Pourquoi les scribes et les pharisiens n’accueillent-ils pas sa parole ? Leurs comportements, leurs manières de vivre les déroutent, les aveuglent. Ils écoutent à travers leur tohu-bohu intérieur, ils se connaissent trop superficiellement parce qu’il y a comme du larsen dans l’écoute d‘eux-mêmes, et enfin, ils écoutent la parole de Dieu à travers toutes leurs projections sur le divin.

Dans le texte de ce dimanche une phrase difficile à comprendre :

« Celui qui a recevra encore et il sera dans l’abondance ; mais celui qui n’a rien se fera enlever même ce qu’il a. » Comment peut-on enlever quelque chose à celui qui n’a rien ? Deux explications qui vont dans le même sens. N’avoir rien, c’est n’avoir rien de de consistant, de nourrissant, dans le sens de notre vocation ultime, celle de vivre en profonde intimité avec le Seigneur, en amitié avec lui. Quand rien n’est fait en ce sens-là, il n’y a alors rien. L’acte de miséricorde de Dieu, c’est d’enlever l’illusion d’avoir quelque chose. Peut-être se convertiront ils ? Pour cela, il leur faut choisir non pas un chemin de mort mais un chemin de vie. C’est donc aussi une formulation particulièrement abrupte du thème des deux voies, classique dans l’Ancien Testament. Je vous rappelle ce thème des deux voies : on peut comparer l’existence humaine à un chemin. A chaque fois que nous arrivons à un embranchement : un choix nous est offert prendre le chemin de vie ou le chemin de mort : à gauche ou à droite ? Si nous prenons la bonne direction (la bonne « voie »), chaque pas que nous faisons dans ce sens nous rapproche du but : « Donne au sage, et il deviendra plus sage, Instruis le juste, et il augmentera son acquis. » (Pr 9,9). Si, par malheur, nous choisissons la mauvaise direction, chaque pas fait dans ce sens nous éloigne du but. Le choix est clair : ou bien écouter, entendre, ouvrir ses oreilles pour laisser la Parole nous instruire et nous transformer peu à peu ; ou refuser d’entendre au risque de devenir de plus en plus durs d’oreille : « Le cœur de ce peuple s’est épaissi, ils sont devenus durs d’oreille. » Alors que le seul désir de Dieu était de les guérir : « Et moi, je les aurais guéris. »

Les scribes et les pharisiens n’ont aucune confiance en ce Rabbi, ce Galiléen nommé Jésus qui, certes fait des miracles mais qui ne cesse de les dérouter, de les surprendre, de les scandaliser. Celui -là même qui pourrait les guérir, ils le rejettent.

A l’opposé qui sont les disciples du Christ ? C’est ceux qui « se sont approché » de Jésus pour avoir une explication. Plus qu’une explication : ils s’approchent pour avoir accès au regard de Jésus. Rencontrer le regard de Jésus, c’est se voir dans le regard d’amour du Père.

Invitation à la rencontre donc. Dans cette rencontre, le Christ donne le sens de la parabole dans un climat d’immense bienveillance. Dans son enseignement, aucune menace. C’est le préalable à l’écoute de la parole de Dieu. Je ne suis pas menacé, juste invité à grandir. C’est donc que l’écoute est l’acte par excellence du disciple. « Comment écoutez, comment écoutons-nous ? » Avec le mental ? avec l’affectif ? Avec nos soucis ? Superficiellement ? Avec nos contradictions ? Sûrement, avec tout ça. Comment faire pour écouter à partir de notre bonne terre ?  Qu’est-ce que notre bonne terre d’ailleurs ? C’est le sanctuaire de notre âme. Comment y accéder ? Au plus profond de notre vie spirituelle, Dieu est présent, Dieu agit, Dieu nous transforme si nous acceptons d’entrer dans une pure écoute de son action en nous. Jésus nous invite à la pure écoute. La pure écoute est le fruit d’un long chemin d’exigence, de simplification pour plus d’amour et de lucidité, dans les relations à Dieu, aux autres, à soi-même. Quelle parole, j’écoute ? Mes constructions idéologiques ou même religieuses, c’est le cas de Saint Pierre, généreux, très incarné certes mais trop à l’écoute de ses rêves, et à l’idée qu’il se fait du Messie. Il lui faudra faire une expérience radicale de sa pauvreté pour entrer dans la mouvance de l’Esprit Saint. C’est cela la pure écoute

La pure écoute est aussi le fruit d’un combat contre une parole étrangère, souvent inaudible, enfouie mais qui cependant commande et fait obstacle sur le chemin de vie. Les scribes et les pharisiens accusent Jésus de guérir par Belzébul. Ils veulent le tuer. Cette parole qu’ils entendent et qu’ils accueillent est l’anti parole, parole de mort. Cette parole de division, d’accusation, de désir de mort est une parole étrangère qui ne leur appartient pas mais dont ils sont complices : parole étrangère qui vient d’ailleurs, là où la mort règne encore. Elle cherche à les dévier du chemin de vie. D’où l’expression engeance de vipères. Jésus fait allusion au Satan qui cherche à faire obstacle au règne de Dieu.

Intéressons-nous à la semence.

« Il en est du règne de Dieu comme d’un homme qui jette en terre la semence : nuit et jour, qu’il dorme ou qu’il se lève, la semence germe et grandit, il ne sait comment. »

Ce que le Seigneur fait, il le fait radicalement et dans ce qu’il sème tout est là.  Tout est là certes, tout est accompli certes, mais c’est en devenir.

L ‘image de la semence est saisissante. Dans la semence, là aussi tout est là, tout est accompli mais c’est aussi en devenir. Analogie éclairante pour l’action de Dieu en nous.  Quand nous acceptons l’action de Dieu dans nos vies, quand nous recevons par exemple son action sacramentelle,  nous adhérons à ce que proclame Isaïe quand il dit : « La pluie et la neige qui descendent des cieux n’y retournent pas sans avoir abreuvé la terre, sans l’avoir fécondée et l’avoir fait germer, donnant la semence au semeur et le pain à celui qui doit manger ; ainsi ma parole, qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce qui me plaît, sans avoir accompli sa mission. » La parole de Dieu fait ce qu’elle dit, elle est efficace.

Il reste cependant à ce que cela soit accompli dans nos vies. C’est l’accueil de la grâce.  L’action de Dieu efficace, radicale doit donc se déployer dans tous les niveaux de notre être, notre collaboration y est nécessaire. Souvent cette adhésion se fait sans consolation. Avec ou sans consolation, nous pouvons nous appuyer sur l’action de Dieu car nous croyons que ce que Dieu dit, il le fait. Notre collaboration consiste à adhérer à ce que Dieu fait mais c’est souvent de nuit. De nuit car la grâce n’est pas forcément sensible mais c’est surtout que nul ne sait comment le travail de la grâce se fait. Simplement il nous faut adhérez à l’action de Dieu pour que l’enfouissement de la semence ne trouve aucun obstacle. Quel obstacle peut-on mettre au Règne de Dieu ? Une terre non préparée comme dans la parabole du semeur parce qu’encombrée par les pierres, les ronces, parce que la terre est peu profonde.

Arrive un moment, parce la semence a grandi, que, dans l’enfouissement, sorte de terre, bien visible, une plantule dont les radicelles restées en terre assurent subsistance et croissance. C’est déjà la promesse d’une fécondité.

Croissance vers le ciel dans l’alliance de la terre et du ciel. Savons-nous ce qui se passe dans l’invisible ? Savons-nous par exemple ce qui s’y passe quand nous prions ? Nous n’avons que cette promesse de fécondité qui est signe que le Ciel agit sur la terre dans l’attraction qu’il exerce sur cette minuscule plante appelée à devenir un refuge pour les oiseaux du ciel. Ce que nous voyons sortir de terre n’est qu’un humble et modeste signe de l’action de Dieu dans nos vies et la résonance de nos actions dans le cœur de Dieu…  Mais c’est de nuit.  Cependant cette minuscule plante comme la graine de moutarde est appelée à se déployer vers le Ciel.

« Il est comme une graine de moutarde :

quand on la sème en terre,

elle est la plus petite de toutes les semences.

Mais quand on l’a semée,

elle grandit et dépasse toutes les plantes potagères ;

et elle étend de longues branches,

si bien que les oiseaux du ciel »

peuvent faire leur nid à son ombre. »