« Convertissez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche. » C’est le moment de réorienter notre vie parce que le Royaume est tout proche. Aujourd’hui, à l’instant, pour chacun d’entre nous, la présence de Dieu est tout proche, elle est à côté de vous.  Elle est au milieu de nous. Elle est en nous. Tu n’es pas loin du Royaume . C’est maintenant ! Il nous faut dès maintenant y entrer puisqu’il est « à notre porte ». Oui mais Jésus parle aussi d’une porte étroite. La porte étroite par laquelle il nous faut passer pour entrer dans le Royaume, c’est la porte étroite de notre cœur qui est encombrée de nous-même. Il y a aussi la porte que Jésus ouvre pour son troupeau. Pour y entrer, il faut nous « convertir. » « Cette conversion, dans le texte grec, se nomme « métanoia », « changement ». Quand un écrivain corrige la construction de sa phrase, c’est une « métanoia », quand une découverte nous fait regarder autrement, c’est une « métanoia ». Cette démarche doit être la nôtre. Il faut nous renouveler sans cesse, nous réorienter souvent, selon les circonstances de notre vie et les impasses où nous nous sommes engagés. Cette démarche, au sens évangélique, ne peut se vivre que dans la foi parce que c’est elle qui nous fait découvrir, progressivement, et non pas du jour au lendemain, le dessein de Dieu sur nous et les tâtonnements que sont nos réponses.

« Venez à ma suite. » La décision et la démarche des quatre premiers disciples sont dans la suite logique de ce revirement que le Christ demande, à eux, comme à nous. Pierre et André abandonnent leurs filets alors qu’ils sont en train de les lancer. S’il les appelle, c’est pour s’assurer le concours de quelques disciples ou plus exactement en faire des coopérateurs. Ce n’est pas seulement pour leur confier sa doctrine. Il appelle des pêcheurs qui jettent leurs filets, pour les faire devenir pêcheurs d’hommes qui lanceront ainsi la Parole de Dieu. Ils amèneront des hommes au point où Dieu les veut, aux rivages même de Dieu. L’évangéliste souligne dans le même temps, cette nécessaire progression qui sera demandée aux disciples tout au long de leur vie au service de l’Evangile, pour « devenir »… « Je ferai de vous … » Jacques et Jean sont en train de réparer les filets avec leur père et des employés salariés. Les deux fils « s’éloignèrent de leur Père ». Ils ne sont plus à ses côtés en se plaçant « derrière Jésus. » Dans les deux cas, Jésus ne fait pas de longues démonstrations pour convaincre. Il les invite à réorienter leur vie dans une autre situation de pêcheurs et aussi dans une autre situation de relations familiales.

C’est une métanoia radicale. Leur conversion est exceptionnelle mais elle parle avec des arêtes vives de nos propres conversions à faire tout au long de nos vies. Permettez-moi de vous parler de Jacky Van Thuyne, un ancien braqueur de banque, appartenant à la bande des Belges. En prison après un braquage qui avait mal tourné, dans sa cellule, Jacky a hurlé vers Dieu : « si tu existes, fais quelque chose », une prière plus de défi que de conviction. Dans la nuit, il voit se déchirer un voile qu’il avait toujours devant lui et qui paralysait son intelligence. De plus et c’est sa manière de le décrire, il reçoit une goutte de vraie vie dans son néant, lui qui n’avait reçu que coups, cris, de la part de son père. « Mon père, il ne m’a jamais parlé, il m’a toujours crié dessus » disait-il. Après sa conversion et sa libération de la prison, son comportement avait changé du tout au tout. Il m’a aidé dans mon travail d’aumônier en prison. L’administration pénitentiaire de la prison où j’étais acceptait qu’il ait des parloirs avec les détenus avec qui ça pouvait convenir. Pourquoi Dieu lui a fait une telle grâce et pourquoi lui et pas les autres ? Cela reste très mystérieux. Ce que je peux en dire, c’est que la brute qu’il était n’avait pas complètement fermé son cœur. Si son dernier braquage avait été un fiasco pour eux, c’est qu’il avait pris le risque de retarder leur fuite parce qu’une maman avec son enfant passait devant la banque.

Un autre exemple dans cette même prison psychiatrique où j’étais aumônier, c’est celui de David. Lors d’une de ses crises maniaques, David avait tout cassé dans sa cellule. Dix gardiens avaient été nécessaires pour le maîtriser et l’emmener au cachot, appelé « mitard ». Il m’avait été impossible d’en franchir la porte que le brigadier-chef refusait d’ouvrir. A travers le judas, David, à ma grande surprise, m’a demandé et a reçu le sacrement de réconciliation. Peu de temps après, je lui apportais la communion. David sortait de ses crises non seulement grâce aux médicaments mais aussi grâce à sa vie spirituelle et notamment sacramentelle. David n’avait plus rien, sinon cette porte qu’il a trouvée au fond de lui, ce sanctuaire inviolable qui lui permettait de garder le sens, de ne pas être livré au chaos de son désordre psychologique.

La porte de la vie intérieure qu’il a trouvée et qu’il ouvre parfois lui donne accès à un supplément d’être d’où surgissent des forces capables de cohérence. Au fond de son mitard, au cours de ses crises, au cœur de son incohérence psychologique, il s’oriente et trouve le sens parce que Christ ressuscité continue à visiter nos mitards. Le côté extrême de ces récits vient dessiner à gros traits ce qui se passe pour chacun d’entre nous. Tout ce qui ce qui est troublé, tout ce qui nous enferme, c’est précisément cela que Christ veut toucher de sa lumière pleine de délicatesse. C’est aussi dans notre chaos psychologique, humain, existentiel, qu’Il veut nous rencontrer. C’est nos mitards qu’il veut visiter. Quoiqu’il arrive ne quittons pas Dieu, ni par honte, ni par peur, ni par culpabilité. Si l’on ne quitte pas Dieu, on ne quitte pas sa cohérence, son dessein d’amour. Moi seul peut décider de m’éloigner de Lui. Que Dieu m’en préserve !