Le texte d’Isaïe et celui de Paul de ce dimanche, nous invite à compter sur Dieu car son amour est solide. La réponse du Seigneur à notre vulnérabilité passe par la voix des prophètes. Elle est souvent adressée au peuple dans les moments de détresse. C‘est le cas dans le contexte du texte d’Isaïe. Israël traverse de nombreuses épreuves et peut s’appuyer sur Dieu qui comprend et ouvre une espérance. « Vous tous qui avez soif, venez, voici de l’eau ! Même si vous n’avez pas d’argent, venez acheter et consommer, venez acheter du vin et du lait, sans argent, sans rien payer ».  Le texte de Saint Paul nous met face à l’accomplissement de cette promesse : « qui pourra nous séparer de l’amour du Christ ? la détresse ? l’angoisse ? la persécution ? la faim ? le dénuement ? le danger ? le glaive ?» Il y a là toute une cohérence dont la source est le dessein bienveillant de l’amour de Dieu. Le festin qu’Il nous prépare se dit aussi à travers l’espérance messianique. Le loup et l’agneau vivront en paix, l’enfant jouera sur le nid du cobra qui lui fera aucun mal. Avec le Messie, les prophètes annoncent une nouvelle terre et un nouveau ciel.

Pourquoi sommes-nous touchés par ce monde que l’on pourrait penser rêvé, idyllique, utopique ?

L’homme suffisamment en bonne santé cherche la cohérence, l’harmonie et la beauté. C’est la raison pour laquelle nous sommes interpellés par la promesse divine. La misère du monde vient contredire, heurter, blesser ce vrai désir. Dans toute l’histoire humaine, le monde est marqué par la violence, la souffrance, une certaine précarité que nous vivons douloureusement en ce moment avec la pandémie qui sévit dans le monde entier.

Qui doit inaugurer l’ère messianique ? Évidemment : le Messie. Ce prophète galiléen qui enseigne avec autorité, qui guérit, qui libère et qui pose des actes de puissance, ne serait-ce pas le Messie ? Alors tout va s’arranger. Il va chasser les Romains, la guerre, la famine, les maladies.

Par son enseignement, par ses guérisons, par le miracle de la multiplication des pains, Jésus va réanimer, vivifier le désir messianique : Dieu va enfin libérer le monde de sa misère.

Par son enseignement, ses guérisons et le miracle des pains, par son intimité avec la foule, Jésus annonce un monde pacifié, vainqueur du mal. C’est comme une oasis de paix et d’amour dans un monde violent et sans merci. C’est l’expérience du paradis où peuvent se vivre cohérence, bonté, beauté et harmonie. Plus qu’un lieu, le paradis, c’est ce qui se passe entre nous quand chacun est situé à sa juste place et que circule entre nous la communion dont la Source est Dieu lui-même.

L’Esprit Saint est le maître d’œuvre de la communion. Toute communion se construit à partir d’un désir. L’Esprit Saint agit dans notre désir d’harmonie et de cohérence. Saint Paul a pu voir s’accomplir en lui la promesse messianique. Le malheur auquel Paul continue à se confronter continue. L’espérance reste car, un jour, le mal sera balayé de toute la création.

Que font les prophètes, l’Écriture, sinon réanimer en nous ce désir d’harmonie, de cohérence et de beauté. Ne le laissons pas se détruire par la misère du monde. Contemplons en nous ce désir, osons la paix. Non ce n’est pas un rêve mais une réalité. Comme chrétiens, nous sommes appelés à installer cette oasis en nous, entre nous. Une oasis, c’est ce qu’a vécue la foule lors de la multiplication des pains et des poissons. Jésus a rassasié leur faim physique, faim d’amitié, d’amour, faim de sens. Alors oui, il règne. Ce moment d’intimité avec Jésus est comme une pierre d’attente pour un autre type de présence. Pour cela est nécessaire un déplacement, un passage. Brusquement, Jésus va mettre les disciples dans la barque pendant qu’il renvoie les foules. Pourquoi cette précipitation ? C’est saint Jean qui donne la réponse à cette question. Ils veulent le faire roi pour que tout s’arrange. Or Dieu veut passer par chacun de nos cœurs pour que tout s’arrange.  Pas sans Lui bien sûr ! Mais pas sans nous ! Face à notre impuissance pour changer le monde, il veut changer nos cœurs pour que le monde change. Après avoir renvoyer tout le monde, il s’isole dans la montagne dans un cœur à cœur avec son Père. Jésus est en prière sur la montagne, les disciples peinent car la tempête fait rage. C’est le texte de dimanche prochain. Difficile de séparer ces deux récits qui racontent la multiplication des pains et Jésus qui marche sur les eaux déchainées.

Instantanément, Jésus est près de la barque des disciples et il marche sur les eaux. Surnaturellement, il a surmonté la distance qui les séparait pour leur donner sa Présence. Jésus révèle aux disciples comment il va surmonter la séparation qui se prépare, la séparation que la mort de Jésus provoquera. Comment se passer de la présence de Jésus, cette présence absolument nécessaire, vitale. Jésus va révéler comment cette apparente rupture sera surmontée. En marchant sur les eaux, Jésus manifeste sa victoire sur le mal et la mort, dont la mer est le symbole. Ce qui est préfiguré ici, c’est la puissance de la résurrection. Christ domine, piétine les eaux de la mort pour donner sa présence. Par la multiplication des pains, par ce que la multiplication des pains inaugurait : l’Eucharistie, Christ ressuscité va continuer à donner sa présence

C’est dans la profondeur de notre cœur que maintenant Jésus nous fait vivre cette intimité avec Lui comme les prémisses de ce monde messianique, déjà vivant en nous et entre nous.

Il nous faut plonger en nous pour rejoindre ce monde messianique.

Si nous restons à la surface de nous-mêmes, la rencontre se fera dans le tourbillon de nos vies psychiques où s’agitent tous les mécanismes de défense, les troubles et les dysfonctionnements, et dans le choc de nos égoïsmes.

Si nous restons à la surface de nous-mêmes, notre volonté se fera volontariste comme si tout dépendait de nous. Certes, notre volonté est moteur dans la construction de la communion, mais livrée à elle-même, elle peine pour nous ouvrir à l’imprévu de Dieu.

Pour vivre le passage de l’humain au divin, notre volonté doit s’exercer et décider de s’abandonner à la volonté de Dieu. En Dieu, la volonté est habitée de la divine douceur et devient douce. « Elle veut sans vouloir, elle laisse aller, elle accepte la lassitude, elle ne se raidit pas contre l’inévitable. Mais elle tient le cap, imperturbable, elle maintient l’adhésion secrète à la vie, à l’amour, aux choses bonnes, à ce qui va venir et qu’il faudra vivre, et vivre bien ». (Maurice Bellet)

Bmg