Les bergers, qui sont-ils ? Pour les autorités religieuses de l’époque de Jésus, ce sont des marginaux, vivant dehors, n’allant pas au temple. En fait, ce que ces bien-pensants ne voient pas, c’est que ce sont des pauvres de cœur : cœur de pauvre, au sens biblique du terme. Ils sont ouverts, disponibles parce que simples, non encombrés de tellement de choses inutiles, capables d’émerveillement, d’éblouissement devant un ciel étoilé par exemple. Pas de suffisance, juste une attente comme une légère blessure, comme une aspiration vers une réalité qui les dépassent, en fait simple humilité face à la création et à son Créateur. Pour eux le ciel va s’ouvrir. Dieu les a choisis pour une liturgie céleste tellement sublime qu’ils en sont à la fois effrayés et ravis.
Et soudain, il y eut avec l’ange une troupe céleste innombrable, qui louait Dieu en disant : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes, qu’Il aime. »
Ce que les bergers voient, c’est bien sûr le ciel physique qui s’ouvre mais le sens de cette sublime ouverture, c’est l’accès à l’invisible, l’invisible ordonné à Dieu, cet invisible qui comble de beauté les bienheureux, ceux qui sont déjà dans cette lumière. Heureux sommes-nous, nous qui croyons aux écritures saintes et qui accueillons le récit de Luc comme une révélation de la beauté de Dieu. Oui, c’est une source de bonheur de croire en cette beauté qui nous espère, qui nous attend.
La révélation faite aux bergers n’est pas un simple privilège, elle est en vue d’une mission. Ils sont appelés à faire un passage pour annoncer une bonne nouvelle. Première bonne nouvelle. Le divin est lumière. Les bergers proclameront « le Ciel s’est ouvert, nous avons vu combien Dieu est lumière ». La grâce faite aux bergers, les a ouverts à la Transcendance. Transcendance, un mot peu courant mais très significatif. La Transcendance, c’est la grandeur de Dieu. Elle nous intimide. Qui sommes-nous devant le Créateur ? Mais en même temps, elle nous fascine. Nous sommes dans la pensée de Dieu de toute Éternité, c’est de Lui que nous tenons l’être, l’existence, la vie. Il est aussi le sens et la finalité de notre vie. Il est l’Amour, la Lumière qui nous attire, nous protège, nous conduit à travers nos doutes et nos erreurs.
Se peut-il que Dieu nous demande quelque chose ? Il nous demande de lui faire confiance. Le chemin vers cette lumière divine, c’est la foi.
De la liturgie céleste, les bergers auront à cheminer vers la crèche, déplacement qu’ils font sur l’invitation de l’ange : Aujourd’hui, vous est né un Sauveur …Il est le Messie, le Seigneur et voici le signe qui vous est donné, vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. La suite du texte de l’évangile nous dit que les bergers se hâtèrent d’aller jusqu’à Bethléem pour voir ce qui est arrivé et que le Seigneur nous a fait connaître.
Si l’on traduit littéralement : « les bergers se hâtèrent d’aller jusqu’à Bethléem pour voir la parole qui est arrivée et que le Seigneur leur a fait connaître. » Voir la parole ? Comment peut-on voir la parole ? Grâce à un chemin de foi. Cette parole, ils l’ont crue. Ils ont cru ce qu’il leur avait été dit lorsque que le Ciel s’est ouvert. Dans cette théophanie, parole et lumière divine sont une même chose. Parole et lumière, c’est aussi cet enfant emmailloté dans la mangeoire. L’acte de foi transforme le regard. Ce qu’ils vont voir, c’est bien sûr Marie, Joseph et le nouveau-né couché dans une mangeoire mais ils verront bien plus. Dans ce pauvre lieu, l’Éternité a fait irruption. Les bergers sont saisis et adorent. Non qu’ils aient compris que cet enfant était le Verbe incarné. Ils ont vu le signe annoncé. De la liturgie céleste à ce signe, voilà le chemin de foi. Il y a pour eux comme une illumination spirituelle : la lumière qu’ils ont vue quand le ciel s’est ouvert, c’est cet enfant, cette parole qu’ils contemplent. En Jésus, ils ont vu la parole, cette Parole à laquelle ils ont cru : parole de vie, parole de salut, parole venue de Dieu.
Approchons-nous de la crèche ! Comment ne pas prendre part à la fête de ce mystère si grand où la gloire de Dieu est manifestée d’une manière tellement imprévue. Dieu n’est pas seulement puissance, Il est immense tendresse. Comment ne pas se laisser éclairer par la lumière qui émane de la grotte, au cœur de la nature, en compagnie des bergers et des animaux ? Comment mesurer davantage la Miséricorde de Dieu qu’en regardant ce petit et en se laissant aimer par Lui ? En vérité, ce petit désire que nous venions à Lui pour nous libérer de nos fardeaux, de nos égoïsmes, de nos lâchetés. N’ayons pas peur de les déposer au pied de la crèche. C’est tellement simple que c’en est éblouissant.
Les bergers vont raconter ce qu’ils leur avaient été annoncé au sujet de cet enfant. Il faudrait traduire par les bergers racontèrent la parole qu’ils leur avaient été annoncée. Comment garder cela pour soi. Cette parole qu’ils ont reçue est à transmettre. La Bonne Nouvelle de Noël, c’est la lumière en notre humanité, la lumière en notre monde non pacifié mais sauvé.
Marie, cependant retenait ces événements et les méditait dans son cœur. Pour la troisième fois dans ce court texte nous retrouvons le mot parole traduit ici par événements. Marie, cependant retenait cette parole et la méditait dans son cœur. Marie continue son chemin de foi. De toute la force de son intelligence, de toute sa volonté, de tout son cœur, de tout son être, elle cherche à pénétrer le sens de ces événements. L’Esprit Saint a pris Marie sous son ombre et elle a enfanté le Christ. Elle ne cessera de l’enfanter pour nous dans sa disponibilité à l’Esprit en elle. Et Dieu seul sait combien elle sera travaillée, déplacée, traversée par les événements du salut. Marie est mère du Christ pour nous, cette maternité n’est pas limitée à l’espace et au temps. Elle est maintenant éternelle. Marie enfante toujours Jésus en nous, elle préserve et protège la vie divine en nous.
Nous aussi, nous avons à nous déplacer. Certes, nous l’avons fait en venant dans cette Église. Nous avons aussi à nous déplacer spirituellement. Ce chemin est un cheminent dans la foi.
Quelle est notre foi ? Même si nous n’avons pas fait l’expérience spirituelle de Marie, de Joseph ou des bergers, nous avons bien conscience de la grandeur de Dieu, créateur de toutes choses. Le passage de l’idée d’un Dieu tout-puissant à la révélation d’un Dieu qui se fait proche, tellement proche qu’il se fait enfant n’est pas aisé. La crèche nous y aide. Dieu vient non pas nous écraser de sa lumière en nous forçant à croire mais il vient dans notre humanité nous illuminer, éclairer toutes les obscurités de notre humanité. Notre vie, le fond de notre être est habité par cette lumière de Noël. Dieu en Jésus se fait homme. Son rayonnement est enfoui dans l’humanité de Jésus, enfoui dans la crèche, enfoui dans l’Eucharistie. Là aussi nous avons à faire un passage. Dans cette liturgie, la grandeur de Dieu que les bergers ont entre-aperçu dans leur expérience spirituelle est enfouie dans l’Eucharistie. Le père Cantalamessa affirme cela :
La mémoire véritable et vivante n’est pas la crèche mais précisément l’Eucharistie.
C’est une invitation à nous déplacer de la crèche à l’autel. Nous avons également à faire un autre déplacement, celui de l’Eucharistie à nos frères, tous nos frères qui sont depuis le Christ habités par la lumière de Dieu. Dieu habite désormais le souffle de tout homme. L’Eucharistie change notre regard.
A proprement parler, Jésus ne naît pas tous les ans dans la crèche. C’est une évidence ! Il renaît en nous, en cette crèche vivante qu’est notre cœur aimant.
bmg