« Au commencement était le Verbe ». Le prologue nous situe avant la création du monde avec un solennel » au commencement » (Jn 1,1) ; commencement « en arkê », en grec, peut se traduire par principe. Le temps est une création. Le Verbe, non ! Il est de toute Éternité tourné vers Dieu, Il est Dieu. Le Verbe par qui tout a été créé est principe, racine du temps, racine de toute création. Non seulement c‘est par le Verbe que tout a été créé mais de plus et c’est la Bonne Nouvelle, Il a planté sa tente parmi les hommes et s’incarne dans un être humain.
Ce que les bergers ont vu quand le Ciel s’est ouvert, c’est l’Éternité au cœur du temps. Ils ont entraperçu l’Éternité venant habiter notre temps car la lumière est venue dans nos nuits obscures… Heureux sommes-nous d’avoir accueilli cette bonne nouvelle.
Le Créateur du ciel et de la terre, est venu prendre chair – c’est à dire prendre visage, joie, douleur, sourire, angoisse, blessure, rire souffle et espérance… – au cœur même de notre condition humaine blessée.
Les bergers, qui sont-ils ? Ce sont des pauvres de cœur : cœur de pauvre, au sens biblique du terme. Ils sont ouverts, disponibles parce que simples, non encombrés de tellement de choses inutiles, capables d’émerveillement, d’éblouissement devant un ciel étoilé par exemple. Pas de suffisance, juste une attente comme une légère blessure, comme une aspiration vers une réalité qui les dépassent, en fait simple humilité face à la création et à son Créateur. Pour eux le ciel va s’ouvrir. Dieu les a choisis pour une liturgie céleste tellement sublime qu’ils en sont à la fois effrayés et ravis. Et soudain, il y eut avec l’ange une troupe céleste innombrable, qui louait Dieu en disant : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes, qu’Il aime. » Ce que les bergers voient, c’est bien sûr le ciel physique qui s’ouvre mais le sens de cette sublime ouverture, c’est l’accès à l’invisible, l’invisible ordonné à Dieu, cet invisible qui comble de beauté les bienheureux, ceux qui sont déjà dans cette lumière. Heureux sommes-nous, nous qui croyons aux écritures saintes et qui accueillons le Verbe comme une révélation de la beauté de Dieu. Oui, c’est une source de bonheur de croire en cette beauté qui nous espère, qui nous attend. Saint Jean nous précise que le Verbe est vie et lumière. Le prologue identifie le » Verbe » avec la vie et la lumière et précise que celle-ci brille dans les ténèbres. Quant à ces dernières, elles sont incapables de saisir la lumière. C’est bien cette lumière que les bergers ont vu dans la liturgie céleste qui s’est ouverte à leurs yeux ébahis.
Les bergers ont fait un passage par la foi. De la lumière qu’ils découvrent dans la liturgie céleste à la vie, qu’ils découvriront dans la crèche, tout un déplacement, déplacement qu’ils font sur l’invitation de l’ange : Aujourd’hui, vous est né un Sauveur …Il est le Messie, le Seigneur et voici le signe qui vous est donné, vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. Cet enfant couché dans une mangeoire est symbole de vie, plus que cela, il est principe de vie. Le chemin qui va vers la grotte de Bethléem est passage de la lumière à la vie, du Ciel à la terre. Les bergers ont cru à la Parole-Lumière-Vie. Cette parole, ils l’ont crue. Ils ont cru ce qu’il leur avait été dit lorsque que le Ciel s’est ouvert. Dans cette théophanie, parole et lumière divine sont une même chose. Parole et lumière, c’est aussi cet enfant emmailloté dans la mangeoire. L’acte de foi transforme le regard. Ce qu’ils vont voir, c’est bien sûr Marie, Joseph et le nouveau-né couché dans une mangeoire mais ils verront bien plus. Dans ce pauvre lieu, l’Éternité a fait irruption. Les bergers sont saisis et adorent. Non qu’ils aient compris que cet enfant était le Verbe incarné. Ils ont vu le signe annoncé. De la liturgie céleste à ce signe, voilà le chemin de foi. Il y a pour eux comme une illumination spirituelle : la lumière qu’ils ont vue quand le ciel s’est ouvert, c’est cet enfant, cette parole qu’ils contemplent. En Jésus, ils ont vu la parole, cette Parole à laquelle ils ont cru : parole de vie, parole de salut, parole venue de Dieu. Dans son prologue, Saint Jean constate la difficulté de la rencontre de la lumière avec le monde. Face à la lumière, le monde est comparé aux ténèbres. Le monde, chez Saint Jean, n’est pas une notion négative, il désigne l’humanité dans sa précarité. Le Verbe n’est pas reconnu par le monde dans lequel il s’est rendu présent, il n’est pas reçu par » les siens » (pas seulement son peuple, mais aussi toutes les nations) vers lesquels la Lumière est venue. Cependant, une note d’espérance apparaît tout de suite après ces affirmations. Il est question en effet d’accueil du Verbe et de la possibilité de devenir enfants de Dieu. On passe donc d’un rejet qui semble général à un accueil qui commence par un » tous » ( tous ceux qui l’ont reçu). Ce sont les ténèbres du monde mais aussi nos ténèbres qui ont du mal à accueillir la lumière, la vie divine. Les ténèbres en nous, ce sont tous nos refus de la lumière, de la vie divine. Mais il existe aussi en nous comme une alchimie capable de transformer nos ténèbres en ombre. Le passage des ténèbres à l’ombre, c’est dans l’acceptation de la puissance guérissante et libératrice de l’amour de Dieu. Il existe un autre niveau, plus profond que notre péché, plus profond que notre angoisse, souvent enfouies dans le déni, neutralisé par nos mécanismes de défense, en attente d’être vraiment regardées et assouplies, il s’agit de notre ombre, le pauvre en nous qui cherche à exister, silhouette famélique, cachée au creux de notre aveuglement, cherchant la lumière de notre conscience et plus encore, si nous le voulons, en attente de la lumière douce et miséricordieuse de Dieu. Dans cette lumière, tout devient lumière, tout prend vie et couleurs.
Notre ombre, c’est ce qui en nous n’a pas pu advenir à la pleine lumière, ce qui en nous stagne dans les grisés de l’attente d’un regard de bienveillance. Notre propre regard sur nous-même est parfois si dur, pourquoi ne pas décider de nous aimer mieux et d’aimer mieux les autres sous le regard d’amour de Dieu sur nous ? Nous mettons toute une vie pour accepter que Dieu nous aime infiniment mieux que l’ont fait nos parents, pourquoi ne pas, dès maintenant, accueillir dans la foi Celui qui jamais ne désespère de nous mais qui, bien au contraire, nous révèle la merveille que nous sommes à ses yeux ? Reconnaitre nos ténèbres et accueillir notre ombre est un travail de lucidité et d’humilité, c’est un vrai travail, un travail coûteux car un travail sur soi. Exposer notre ombre à la lumière est un acte de confiance. C’est alors que, sous le regard illuminateur du Christ, l’ombre se met à resplendir des couleurs de l’arc en ciel, signe de l’Alliance entre Dieu et les hommes. Nommer, ouvrir à la lumière de Dieu, c’est passer des ténèbres à la lumière. Dieu, peut transfigurer tout ce que j’ai reconnu, nommé et offert au Seigneur. C’est une véritable transfiguration, œuvre de Dieu, véritable alchimie divine qui transforme le plomb de nos lourdeurs en or, cet or qui est la sainteté que Dieu veut pour chacun d’entre nous. Qu’il est grand ce mystère ! Marie, cependant retenait ces événements et les méditait dans son cœur. Marie continue son chemin de foi. De toute la force de son intelligence, de toute sa volonté, de tout son cœur, de tout son être, elle cherche à pénétrer le sens de ces événements. L’Esprit Saint a pris Marie sous son ombre et elle a enfanté le Christ. Elle ne cessera de l’enfanter pour nous dans sa disponibilité à l’Esprit en elle. Et Dieu seul sait combien elle sera travaillée, déplacée, traversée par les événements du salut. Marie est mère du Christ pour nous, cette maternité n’est pas limitée à l’espace et au temps. Elle est maintenant éternelle. Marie enfante toujours Jésus en nous, elle préserve et protège la vie divine en nous.
Dieu en Jésus se fait homme. Le rayonnement divin est enfoui dans l’humanité de Jésus, enfoui dans la crèche, enfoui dans l’Eucharistie. Là aussi nous avons à faire un passage. Dans cette liturgie, la grandeur de Dieu que les bergers ont entre-aperçu dans leur expérience spirituelle est enfouie dans l’Eucharistie.
La mémoire véritable et vivante n’est pas la crèche mais précisément l’Eucharistie.
Nous avons également à faire un autre déplacement, celui de l’Eucharistie à nos frères, tous nos frères qui sont depuis le Christ habités par la lumière de Dieu. Dieu habite désormais le souffle de tout homme. L’Eucharistie change notre regard.
A proprement parler, Jésus ne naît pas tous les ans dans la crèche. C’est une évidence ! Il renaît en nous, en cette crèche vivante qu’est notre cœur aimant.