Les bergers, qui sont-ils ? Pour les autorités religieuses de l’époque de Jésus, ce sont des marginaux, vivant dehors, n’allant pas au temple. En fait, ce que ces chefs religieux ne soupçonnent pas, c’est que ces bergers sont des pauvres de cœur : cœur de pauvre, au sens biblique du terme. Ils sont ouverts, disponibles parce que simples, non encombrés de tellement de choses inutiles, capables d’émerveillement, d’éblouissement devant un ciel étoilé par exemple. Pas de suffisance, juste une attente comme une légère blessure, comme une aspiration vers une réalité qui les dépassent, en fait simple humilité face à la création et à son Créateur. Pour eux le ciel va s’ouvrir. Dieu les a choisis pour une liturgie céleste tellement sublime qu’ils en sont à la fois effrayés et ravis.

 Et soudain, il y eut avec l’ange une troupe céleste innombrable, qui louait Dieu en disant : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes, qu’Il aime. »

Ce que les bergers voient, c’est bien sûr le ciel qui s’ouvre mais le sens de cette sublime ouverture, c’est l’accès à l’invisible, l’invisible ordonné à Dieu, cet invisible qui comble de beauté les bienheureux, ceux qui sont déjà dans cette lumière. Heureux sommes-nous, nous qui croyons aux écritures saintes et qui accueillons le récit de Luc comme une révélation de la beauté de Dieu. Oui, c’est une source de bonheur de croire en cette beauté qui nous espère, qui nous attend. 

Savons-nous encore contempler ? Oui, sûrement car nous sommes capables de goûter la beauté de la nature, nous qui vivons ici ou qui venons chercher dans ces belles montagnes un ressourcement. Nous nous sommes déplacés en cette Église pour fêter Noël. Nous ne sommes donc pas otages des sollicitations permanentes de l’industrie du commerce et de la communication qui ne cesse de vouloir capter le maximum de notre temps en prétendant nous faire gagner du temps. Nous avons pris le temps de contempler l’enfant Jésus. Bien sûr, nous sommes pressés de connaître la joie et de profiter de la fête, mais nous nous appuyons surtout sur notre capacité d’éblouissement en prenant le temps de la contemplation, de l’attention portée aux autres et à Dieu. Dans le tourbillon d’une société qui s’agite sans cesse, comme elle paraît discrète la puissance de l’amour de Dieu par rapport à toutes ces démonstrations de puissance. C’est que la toute-puissance de l’Amour de Dieu qui se donne en Jésus ne s’impose pas. Elle n’écrase pas. Elle se livre dans la douceur et la fragilité comme la tendresse d’un enfant. C’est dans ces instants de grâce, où l’on se fait contemplation et attention à l’autre, que l’Amour de Dieu fait signe. Quelle joie de pouvoir vivre de profondes relations faites de simplicité, d’humilité et de vérité. Accueillons patiemment l’amour humble et fragile qui se vivent au cœur de nos relations, quand nous portons attention au souffle discret de la vie, aux humbles signes de la présence de Dieu. Or, c’est par la richesse de sa vie intérieure qu’un être humain devient capable de recevoir Dieu et de s’élever en Lui. C’est par elle qu’il peut prendre distance avec ce qui peut le manipuler et le rendre esclave du dedans ou du dehors de lui. L’éducation à la vie intérieure et contemplative est une urgence pour notre monde. Noël nous invite ce soir à la contemplation. Il nous appelle à faire une trêve dans nos vies agitées, à marquer une pause, pour mieux nous interroger sur ce que c’est que vivre vraiment, pour mieux accueillir la puissance de l’Amour de Dieu en Jésus, pour nous inspirer de sa vie, et grandir dans la foi, l’espérance et la charité.    

Comme les bergers, nous sommes appelés à faire un passage. Les bergers proclameront « le Ciel s’est ouvert, nous avons vu combien Dieu est lumière ». La grâce faite aux bergers, les a ouverts à la Transcendance. Transcendance, un mot peu courant mais très significatif. La Transcendance, c’est la grandeur de Dieu. Elle nous intimide. Qui sommes-nous devant le Créateur ? Mais en même temps, elle nous fascine. Nous sommes dans la pensée de Dieu de toute Éternité, c’est de Lui que nous tenons l’être, l’existence, la vie. Il est aussi le sens et la finalité de notre vie. Il est l’Amour, la Lumière qui nous attire, nous protège, nous conduit à travers nos doutes et nos erreurs. Se peut-il que Dieu nous demande quelque chose ? Il nous demande de lui faire confiance. Le chemin vers cette lumière divine, c’est la foi. 

De la liturgie céleste, les bergers auront à cheminer vers la crèche, déplacement qu’ils font sur l’invitation de l’ange : « Aujourd’hui, vous est né un Sauveur …Il est le Messie, le Seigneur et voici le signe qui vous est donné, vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire ».  Comme pour les bergers, nous avons à faire un lien entre la théophanie qui a ébloui les bergers et cet enfant emmailloté dans la mangeoire. L’acte de foi transforme le regard. Ce qu’ils vont voir, c’est bien sûr Marie, Joseph et le nouveau-né couché dans une mangeoire mais ils verront bien plus. Dans ce pauvre lieu, l’Éternité a fait irruption. Les bergers sont saisis et adorent. Non qu’ils aient compris que cet enfant était le Verbe incarné. Ils ont vu le signe annoncé. De la liturgie céleste à ce signe, voilà le chemin de foi. Il y a pour eux comme une illumination spirituelle : la lumière qu’ils ont vue quand le ciel s’est ouvert, c’est cet enfant. Approchons-nous de la crèche ! Comment ne pas prendre part à la fête de ce mystère si grand où la gloire de Dieu est manifestée d’une manière tellement imprévue. Dieu n’est pas seulement puissance, Il est immense tendresse. Comment ne pas se laisser éclairer par la lumière qui émane de la grotte, au cœur de la nature, en compagnie des bergers et des animaux ? Comment mesurer davantage la Miséricorde de Dieu qu’en regardant ce petit et en se laissant aimer par Lui ? En vérité, ce petit désire que nous venions à Lui pour nous libérer de nos fardeaux, de nos égoïsmes, de nos lâchetés. N’ayons pas peur de les déposer au pied de la crèche. C’est tellement simple que c’en est éblouissant. Le passage de l’idée d’un Dieu tout-puissant à la révélation d’un Dieu qui se fait proche, tellement proche qu’il se fait enfant n’est pas aisé. La crèche nous y aide. Dieu vient non pas nous écraser de sa lumière en nous forçant à croire mais il vient dans notre humanité nous illuminer, éclairer toutes les obscurités de notre humanité. Notre vie, le fond de notre être est habité par cette lumière de Noël. Dieu en Jésus se fait homme. Son rayonnement est enfoui dans l’humanité de Jésus, enfoui dans la crèche, enfoui dans l’Eucharistie. Là aussi nous avons à faire un passage. Dans cette liturgie, la grandeur de Dieu que les bergers ont entre-aperçu dans leur expérience spirituelle est enfouie dans l’Eucharistie. La mémoire véritable et vivante n’est pas la crèche mais précisément l’Eucharistie. C’est une invitation à nous déplacer de la crèche à l’autel. Nous avons également à faire un autre déplacement, celui de l’Eucharistie à nos frères, tous nos frères qui sont depuis le Christ habités par la lumière de Dieu. Dieu habite désormais le souffle de tout homme. L’Eucharistie change notre regard. A proprement parler, Jésus ne naît pas tous les ans dans la crèche. C’est une évidence ! Il renaît en nous, en cette crèche vivante qu’est notre cœur aimant.

bmg