Une question cruciale qui revient souvent, pourquoi Dieu laisse faire le mal ? Qu’est-ce qui a changé depuis l’Incarnation du Verbe ? Le désir d’harmonie, de cohérence qu’habite notre cœur est comblé par le message de Noël mais la misère du monde vient contredire ce mouvement intérieur d’un monde enfin pacifié. Qu’est-ce qui a changé ou plutôt qu’est-ce qui est appelé à changer ? Notre vision du monde. Certes ce monde n’est pas pacifié. Comment pourrait-on dire le contraire ? Il l’est en espérance et sûrement pas sans nous. Il est à réenchanter dans ce laboratoire du monde qui nous est donné pour que nous y travaillions. Le message des Anges de Bethléem n’aurait été que pure tromperie, s’il annonçait la gloire de Dieu et la paix des hommes comme des fruits spontanés de la naissance de Jésus Christ. Ce message fait naître, à travers les siècles et partout sur terre, une espérance sans bornes. La gloire et la paix annoncées sont à accueillir comme une œuvre humano-divine, qui débute avec la naissance de l’Enfant de Bethléem et qui prend forme avec sa vie et son action sur terre, et se confirme de siècle en siècle. Le Christ est né sur terre pour faire surgir à partir de lui-même une humanité nouvelle, un peuple de fils de Dieu passionnés pour le bien et la justice, pour le respect et l’amour de tout être, surtout le plus faible et le plus petit ; un peuple d’hommes et de femmes qui rejette le mal et engage le combat contre les passions désordonnées. C’est nous le peuple des enfants de Dieu qui avons pour mission de poursuivre et parachever l’œuvre grandiose de Jésus Christ, Prince de la Paix.
« A quoi sert que le Christ soit né il y a si longtemps dans une étable s’il ne nait pas aujourd’hui dans ton cœur ? » demandait Origène. À partir de l’enracinement historique de ce que nous célébrons, nous sommes devenus capables de comprendre qu’aujourd’hui Christ naît dans notre cœur. C‘est le sens de tous les textes de Noël que nous avons médités. Certes Jean ne nous raconte pas la naissance de Jésus car il suppose que cela est fait. Il va directement à la finalité de la naissance de Jésus : « le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous » Saint Jean ne raconte pas non plus la tragédie des enfants de Bethléem tués sur l’ordre du roi Hérode.
Cependant, il fait allusion à ce que Saint Paul appelle le mystère d’iniquité. Saint Jean parle dans sa première lettre des anti-Christ, c’est-à-dire ceux par qui les forces du mal passent pour contrecarrer le dessein bienveillant du Seigneur. Dans le prologue il parle également du monde. Deux sens pour ce mot dans Saint Jean : Le monde qui accueille l’amour de Dieu et le monde qui s’est coupé de Dieu. Ailleurs dans son évangile, Jean dit que Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils pour que le monde soit sauvé.
Dans le prologue, il s’agit du monde pas encore advenu et qui refuse de se recevoir de Dieu : « Le Verbe était la vraie Lumière, qui éclaire tout homme en venant dans le monde. Il était dans le monde, et le monde était venu par lui à l’existence, mais le monde ne l’a pas reconnu. Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu. » saint Jean parle d’un monde à venir, à partir d’une nouvelle naissance, la nôtre. Il nous faut devenir enfants de Dieu.
Le Christ est né pour que nous accueillions aujourd’hui la vie divine, qu’elle nous remplisse et nous déborde, qu’elle soit notre force et notre joie ! « Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, eux qui croient en son nom. Ils ne sont pas nés du sang, ni d’une volonté charnelle, ni d’une volonté d’homme : ils sont nés de Dieu ». Dans l’obscurité de la nuit de Bethléem s’allume réellement une grande lumière : le créateur de l’univers s’est incarné, s’unissant de façon indissoluble à la nature humaine, au point d’être réellement « Dieu de Dieu, lumière de lumière », et dans le même temps homme, vrai homme.
Ce que Jean appelle en grec « ho logos » – traduit en latin « Verbum » – « le Verbe » – signifie également « le Sens ». Nous pourrions donc comprendre ainsi l’expression de Jean : le “Sens éternel” du monde est devenu tangible « le “Sens éternel” du monde est devenu accessible à nos sens et à notre intelligence ; nous pouvons à présent le toucher et le contempler. La crèche nous y aide. Le passage de l’idée d’un Dieu tout-puissant à la révélation d’un Dieu qui se fait proche, tellement proche qu’il se fait enfant n’est pas aisé. Le rayonnement divin est enfoui dans l’humanité de Jésus, enfoui dans la crèche, enfoui dans l’Eucharistie. Là aussi nous avons à faire un passage. La mémoire véritable et vivante n’est pas la crèche mais précisément l’Eucharistie. C’est une invitation à nous déplacer de la crèche à l’autel. Nous avons également à faire un autre déplacement, celui de l’Eucharistie à nos frères, tous nos frères qui sont depuis le Christ habités par la lumière de Dieu. Dieu habite désormais le souffle de tout homme. L’Eucharistie change notre regard. A proprement parler, Jésus ne naît pas tous les ans dans la crèche. C’est une évidence ! Il renaît en nous, en cette crèche vivante qu’est notre cœur aimant.