Ce passage s’inscrit dans un ensemble plus vaste, le chapitre 6 de St Jean appelé la section des pains. Ce texte va nous occuper tout ce mois d’août. Le texte de ce dimanche met en situation Jésus enseignant dans la synagogue de Capharnaüm. Un enseignement qui va prendre au dépourvu toute l’assemblée et en scandaliser beaucoup. Imaginez-vous ce Jésus du village d’à côté qui annonce Moi je suis le pain qui est descendu du Ciel. C’est une prétention formidable. La bible est claire l’unique nourriture spirituelle valable, véritablement vivifiante, c’est la Parole de Dieu. Et voilà que cet homme prétend être cette nourriture. Bien sûr il a multiplié les pains, bien sûr, il est un grand prophète. De là à prétendre être la Parole même de Dieu. C’est vrai que l’on ne se lasse jamais de l’entendre. Quand il ouvre la bouche, c’est comme si Dieu exprimait clairement son amour pour son peuple mais plus encore, c’est comme s’il nous révélait le sens de nos vies, le sens de toute l’histoire de l’univers et du salut. Notre affectivité, notre intelligence, notre vie spirituelle qui aspirent à la sagesse en sont illuminées. Mais de là à prétendre qu’il est le pain descendu du ciel c’est à dire la Parole incarnée. De là à prétendre qu’il est celui qui comble la faim spirituelle de l’homme et qu’il est celui qui donne la vraie vie. Prétention inouïe de cet homme, de ce petit charpentier du village d’à côté dont on connaît les parents. Deux récits, la multiplication des pains et la tempête apaisée, ont préparé cet enseignement difficile à recevoir. On ne peut séparer le récit de la multiplication des pains de celui de la tempête apaisée. Le premier, la multiplication des pains, raconte un événement de profonde communion autour d’un geste de puissance. Tous ceux qui se sont rassemblés autour de Jésus ont vécu, un moment de grâce inouï. La belle communion vécue autour de Jésus qui enseigne, qui guérit et partage le pain ne vient pas d’ici, elle vient du Ciel. Le Ciel présent et agissant dans le cœur de chacun. Le récit de la tempête apaisée est, lui aussi, présence du Ciel mais là dans un événement tragique. C’est donc le même mouvement, le Ciel se rend présent dans le temps, d’abord dans la joie pendant la multiplication des pains et puis dans la détresse lors de la tempête apaisée. La foule qui cherche Jésus veut revivre avec Lui ce moment de communion. Quand il parlait, leur cœur s’était ouvert et le désir d’harmonie, de cohérence, de beauté, de paix et d’amour s’était réanimé en eux. Ce Rabbi qui les avait rassemblé avait fait des guérisons, des libérations. Il avait multiplié les pains et les poissons. Ne serait-il pas le Messie? Ils avaient voulu alors le faire roi. C’est la raison de la dispersion provoquée par Jésus. Quel Messie attendent-ils? Un Messie qui va combler leurs biens matériels, chasser les Romains, installer un monde de paix où le lion cohabitera avec l’agneau et où l’enfant jouera sans danger sur le nid du cobra? La foule a été touchée mais Jésus se méfie de leur vision et attente messianiques. Jésus n’est pas un Messie descendu du ciel pour tout arranger instantanément sur la terre. Certes, il est le Messie et il le confirme dans le passage de ce dimanche. Il est le fils de l’homme, dit-il, et Dieu a mis son empreinte sur lui. Il est également l’envoyé. Ce sont deux titres messianiques bien connus dans l’Écriture. Les interlocuteurs de Jésus ont un passage à faire. Ce que Jésus va faire, c’est de les préparer à ce passage et c’est ce qu’il a anticipé avec les disciples. Jésus révèle comment il va surmonter la mort, la séparation: sa mort, la mort des proches, notre propre mort, nos petites morts de tous les jours. Comment se passer de la présence de Jésus, comment se passer de la présence de tout être que nous avons aimé et qui est parti? Comment affronter notre propre mort, et toutes les petites morts de tous les jours? En marchant sur les eaux, Jésus manifeste sa victoire sur le mal, sur la mort dont les flots en furie sont le symbole. Christ piétine, domine les eaux de la mort pour donner sa présence. C’est ce qu’il fera dans sa Passion, sa Résurrection, son ascension et dans le don de l’Esprit Saint.
La présence de Jésus, juste après la multiplication des pains et marchant sur les eaux est présence eucharistique non seulement dans l’intimité paisible et joyeuse autour du pain partagé mais aussi dans l’épreuve, dans l’angoisse de la mort. Il apaisera non seulement la tempête extérieure mais la tempête intérieure de la peur et de l’angoisse de la mort. C’est dans la profondeur de notre cœur que Jésus, maintenant, nous fait vivre cette intimité avec Lui. Si nous restons à la surface de nous-mêmes la rencontre se fera dans le tourbillon de nos vies psychiques où s’agitent tous nos mécanismes de défense, les troubles et les disfonctionnements et dans le choc de nos égoïsmes.
La communauté nous préserve de cela. L’autre dans le « vivre ensemble » me décentre de mon ego. La famille est la première communauté où cette exigence du décentrement est au cœur de la communion familiale, bien sûr, à un autre niveau, la communauté qui se rassemble autour de l’Eucharistie, toutes les communautés où nous vivons, professionnelle, associative, etc… sont des lieux d’un déplacement. Ces « vivre-ensemble », sont des chemins possibles pour nous centrer sur le Christ. Ce chemin de simplicité, de transformation profonde de notre cœur passe par ce petit laboratoire qu’est la communauté. Quelle communauté? Celle qu’on idéalise ou la communauté réelle dans laquelle on vit: famille, communauté religieuse, communauté professionnelle, communauté paroissiale, d’Église … ? Une communauté composée d’ individus non reliés entre eux est une communauté livrée aux egos qui se fonde sur les désirs opaques du cœur de l’homme Une communauté spirituelle est une communauté qui se reçoit de l’Esprit Saint et renonce à l’illusion d’une communauté idéale. Renoncer à l’idéalisation de toute communauté, c’est accepter de se recevoir d’une autre perfection que de l’illusoire perfection humaine, mais plutôt de la perfection qui vient de la dynamique de l’Esprit saint. Cette communauté se fonde sur la Parole de Dieu révélée en Jésus-Christ, sur les grâces qu’Il a laissées à l’Église. Le passage vers des communautés qui se vivent de plus en plus dans le souffle de l’Esprit se fait à travers un chemin de consentement au réel (des-idéalisation), de simplification (la confrontation à l’autre m’invite à arrondir les angles comme les galets qui s’entrechoquent sous l’effet de la mer), d’altérité (purification de l’affectif), d’humilité (renoncement à mes schémas réactifs dus à mes blessures). Tout cela se fait souvent dans une souffrance comparable à celle de l’accouchement. Accoucher d’une plus grande liberté intérieure, d’une plus grande capacité à aimer, accoucher de la vie profonde ne peut se faire que dans le souffle de l’Esprit Saint. C’est ce dont toutes les communautés qui se disent chrétiennes sont invitées à vivre. C’est une telle communauté, une communauté de rétablissement qu’est la communauté de Cenacolo à Medjugorje. Romain est roumain. Il nous a témoigné de son chemin rétablissement. Toxicomane au bout du rouleau, il a eu un sursaut de vie et il est venu se mettre à l’abri dans la communauté Cénacolo. Au départ, quarantaine jeunes dans la grande chapelle en silence pendant une demie heure lui a semblé complètement fou. Il attendait que cela se passe. Au bout d’un certain temps il a compris que quelque chose s’était passé en lui, une découverte incroyable. Il contacte en lui une vie intérieure qui grandit et qui se confronte à ce qu’il appelle sa tête malade. Fort de cette prise de conscience, il est parti à la conquête de son unité intérieure. Je me suis dit qu’il avait encore un long chemin à parcourir et qu’il avait encore besoin de cette communauté capable de le mettre en sécurité pour vraiment trouver son unité intérieure. Dehors, il rechuterait. L’Esprit Saint, qui a été livré dans notre cœur, construit, consolide affermit en nous cette unité intérieure. Nous avons besoin des autres pour la construire en nous et autour de nous. Dieu change le monde en passant par notre cœur et les communautés. Le lieu où Dieu travaille, c’est notre cœur en relation avec les autres et la visée, c’est ce qu’annonce Jésus, la vie éternelle. « Travaillez non pour la nourriture qui se perd mais pour la nourriture qui demeure jusque dans la vie éternelle ».
Bmg