A propos de la guerre en Ukraine, beaucoup de questions fondamentales surgissent ou resurgissent. C’est vrai que beaucoup de témoignages décrivent l’horreur. Des récits de résilience viennent atténuer le désespoir et le choc des récits d’exactions commises sur la population civile ( assassinats, viols).

Stefan Vanistendael, sociologue, démographe, ancien membre du Bureau international catholique de l’enfance répond aux questions du journal la Croix et notamment à cette question :  

« La résilience dit-elle quelque chose de la résurrection et de l’espérance chrétienne? Affirmer que l’homme est capable de survivre au malheur, n’est-ce pas un peu le sens que les chrétiens donnent à l’espérance ? 

S.V. : En effet. Le Christ nous a montré qu’il n’est pas nécessaire de chercher à revenir à ce qu’était la vie avant le malheur. Le Christ nous a libérés de cette profonde aliénation en nous indiquant une autre voie : notre vie brisée, nos blessures peuvent se transformer en une vie nouvelle et inattendue. 

Vous pensez à la résurrection ? 

S.V. : Je le crois, du moins si l’on accepte l’idée que la résurrection commence déjà sur terre, que cette regénération peut se produire ici et maintenant. Le Christ a montré que ce processus se poursuivra au-delà du temps et de l’espace, au-delà de nos limites naturelles. Ceci ne justifie ni ne glorifie les souffrances humaines, mais peut alléger le désespoir et ouvrir l’avenir au bonheur. » Fin de l’interview.

Résurrection, regénération commence dans le « ici et maintenant ». Encore faut-il affronter la question de la mort. L’homme se sait mortel puisqu’il habite un monde marqué par la finitude et la mort. Grandeur de l’homme déchiré par la question : pourquoi mourir avec au fond du cœur ce désir inaliénable d’immortalité ? On peut faire semblant d’ignorer la mort. C’est le « même pas mal » de certains enfants à propos de la douleur. C’est cela le déni. Sur cette question, la pandémie actuelle et la guerre en Ukraine sont comme un électrochoc. Qu’offre comme alternative le christianisme ? Le christianisme c’est Pâques aurions-nous tendance à simplifier ! Si Pâques n’existait pas, le christianisme n’existerait pas. Ce que célèbre Pâques, c’est la Résurrection du Christ. La question de la Résurrection oblige à un long cheminement intérieur. C’est toute l’histoire de Saint Jean qui dans la proximité avec le Christ va faire un passage : de l’ancien au nouveau monde. Il raconte ce qui s’est passé le matin de Pâques. Ce sont encore les ténèbres. C’est au petit matin. La lumière rasante de l’aurore commence à dissiper l’obscurité : ouverture donc, passage de la mort à la vie triomphante. La pierre roulée en est le symbole, le tombeau est rendu accessible à une nouvelle réalité. Marie-Madeleine, encore toute embrumée et envahie par la tristesse cherche de l’aide auprès des apôtres non pour chercher le vivant mais toujours le corps inerte du crucifié. « On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a déposé. » Marie-Madeleine n’est toujours pas sortie de l’ancien monde ; elle n’a pas encore pris conscience de la nouveauté advenue. Pierre et Jean accourent. Pierre, sans hésiter, entre dans le tombeau. La lumière de la résurrection n’a pas encore fait naître en lui un nouveau regard capable de saisir dans les événements le monde nouveau qui surgit. Dans la pénombre du tombeau, il ne voit que linge et linceul. Il ne peut que prendre acte de l’absence troublante du corps du Seigneur. Jean n’entre pas tout de suite ; il « se penche » et « contemple le linceul resté là ». Son regard scrute l’invisible et « voit ». Bien sûr, il voit ce que Pierre a vu mais bien plus. « Jean vit et il crut » nous dit l’évangéliste. Jean était au pied de la croix. Il a vu mourir Jésus. L’Evangile de la Passion selon St Jean précise que Jésus remit l’Esprit. L’évangéliste ne dit pas que Jésus rendit l’Esprit mais qu’Il remit l’Esprit. Pour lui, Jésus meurt sur la croix en livrant déjà l’Esprit. Difficile pour nous de comprendre que la mort de Jésus donne la vie, donne l’Esprit. L’Esprit change notre regard, change le regard de Jean. Que voit-il ? Des linges mais disposés d’une certaine façon. Il aperçoit les linges, posés à plat, ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus, non pas posé avec les linges, mais « roulé à part, à sa place ». Le suaire autour de la tête de Jésus, c’est le linge roulé qui enserre la tête et qui retient la mâchoire. Il est roulé à sa place, c’est à dire en place. Le drap proprement dit qui a enveloppé le corps de Jésus posé à plat. C’est dire que le corps de Jésus n’est plus là et cependant, rien n’a été déplacé. Jean a compris cela et en plus, il fait un lien avec l’Écriture.

Le disciple bien aimé est capable de saisir au plus profond du tombeau, au creux tragique des événements ce qu’avait annoncé les écritures. « Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris que, selon l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts ». Quelle phrase de l’Écriture arrive alors à l’esprit de Jean lui permettant de faire ce passage dans la foi en la résurrection ? Aucune phrase précise dans le premier Testament, juste un faisceau d’indications annonçant un monde nouveau, nouvelle terre, nouveaux cieux ». Comment Jean ne se souviendrait-il pas de certaines paroles prononcées par Jésus ? Comment Jean peut-il oublier cette phrase de Jésus ? « Détruisez ce temple et en trois jours je le rebâtirai ». Seul l’esprit illuminé par la foi, l’espérance et l’amour peut discerner, le mystère du Jour nouveau et du Monde nouveau, le mystère de la nouvelle création qui s’annonce, le mystère de la présence du Vivant qui vient combler notre attente. « Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité ».  De la croix a jailli l’eau vive du salut et c’est notre joie. Maintenant, nos yeux éblouis par la lumière de Pâques saisissent cette joie comme un cadeau inespéré : Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité. Christ est ressuscité et c’est pour nous qu’Il est ressuscité. Les effets de la résurrection agissent déjà dans notre vie. Au milieu de notre chaos, Dieu trace des chemins de libération. La résurrection est cette nouveauté, cette nouvelle création dans nos vies. Oui ! croyons aussi à l’expérience de la puissance de la résurrection dans la nuit de ce monde. Mettons-nous à l’écoute de ce monde en souffrance, de ce monde en attente. En son nom, accueillons ce mouvement puissant qui nous fait passer de la mort à la vie. 

« Jean vit et il crut . »

Pourquoi ne pas imiter Saint Jean : « Voir et croire ». D’abord voir. Voyons-nous vraiment le monde, voyons-nous vraiment la misère du monde ? Comment occultons-nous la réalité de ce monde ? Indifférence, violence, bons sentiments, mépris, condescendance, idéologie sont comme la matière première de notre art à fuir la réalité de ce que nous ne voulons ou ne pouvons pas voir. Nos propres mécanismes de défenses nous privent d’une partie de notre acuité visuelle.

Jésus nous invite à rééduquer notre regard par notre vie intérieure capable d’accueillir des semences de Résurrection. Voir plus et mieux ce qu’il y a derrière la souffrance de ce monde, de notre propre souffrance. Alors, il nous est possible de croire : croire à une regénération, à un surcroît de vie au cœur des pires souffrances. Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité. Christ est ressuscité et c’est pour nous qu’Il est ressuscité. Et c’est aussi ici et maintenant.

Bmg