Une parabole s’appuie sur des images familières. C’est une invitation à creuser ces images mais pour les dépasser et saisir la fine pointe de la parabole. Tout d’abord une première lecture à plat, littérale que l’on pourrait résumer dans cette formule: « une semence qui pousse toute seule ». Vraiment toute seule ? Il s’agit plutôt d’une synergie, c’est à dire des énergies qui se complètent. D’abord le semeur qui fait confiance car il en a l’expérience. Ce n’est pas la première fois qu’il voit ce petit miracle de la nature. Le miracle est contenu dans la semence, petite usine biochimique travaillant dans l’obscurité de la terre. Semeur, semence bien en phase dans un relai fructueux ! Que serait cette collaboration s’il n’y avait pas la nature ? La terre, l’eau, le soleil…. Le texte d’Ézéchiel s’appuie sur cette cohérence de la nature pour nous permettre un passage : de la nature, visible, accessible en partie par la raison à un autre domaine, celui de la cohérence du plan de Dieu dans l’histoire de l’humanité. Dieu lui-même va intervenir dans l’histoire de l’homme. Prendre une tige en haut d’un splendide cèdre et la planter sur la montagne d’Israël, c’est, pour nous chrétiens, l’annonce de l’Incarnation. Le rejeton, c’est le Messie qui renversera l’arbre élevé et relèvera l’arbre renversé, qui fera sécher l’arbre vert et reverdira l’arbre sec. Quel est l’arbre élevé, sinon la tendance de l’homme à l’orgueil, sa superbe qui l’empêche d’accueillir le plan de Dieu. Dieu agit. Il agit dans l’histoire mais il agit aussi dans la puissance de notre vie intérieure. Acceptons-nous l’action de Dieu dans nos vies, par exemple quand la recevons dans les sacrements, quand nous le rencontrons dans notre prière, dans nos actions au service des autres. L’action de Dieu efficace, radicale doit donc se déployer dans tous les niveaux de notre être, notre collaboration y est nécessaire. Souvent cette adhésion se fait sans consolation. Avec ou sans consolation, nous pouvons nous appuyer sur l’action de Dieu car nous croyons que ce que Dieu dit, il le fait. Notre collaboration consiste à adhérer à ce que Dieu fait mais c’est souvent de nuit. De nuit car la grâce n’est pas forcément sensible mais c’est surtout que nul ne sait comment le travail de la grâce se fait. Simplement il nous faut adhérer à l’action de Dieu pour que l’enfouissement de la semence ne trouve aucun obstacle. Quel obstacle peut-on mettre au Règne de Dieu? Le seul obstacle: une terre non préparée comme dans la parabole du semeur parce qu’encombrée par les pierres, les ronces, parce que terre peu profonde. A un moment, parce la semence a grandi dans l’enfouissement, sort de terre, bien visible, une plantule dont les radicelles restées en terre assurent subsistance et croissance. C’est déjà la promesse d’une fécondité. Croissance vers le ciel dans l’alliance de la terre et du ciel. Savons-nous ce qui se passe dans l’invisible? Savons-nous par exemple ce qui s’y passe quand nous prions? Nous n’avons que cette promesse de fécondité qui est signe que le Ciel agit sur la terre dans l’attraction qu’il exerce sur cette minuscule plante appelée à devenir un refuge pour les oiseaux du ciel. Ce que nous voyons sortir de terre n’est qu’un humble et modeste signe de l’action de Dieu dans nos vies. Croyons à l’immense résonance de nos actions dans le cœur de Dieu. Cette minuscule plante comme la graine de moutarde est appelée à se déployer vers le Ciel. C’est la deuxième parabole « le Royaume est comme une graine de moutarde : quand on la sème en terre, elle est la plus petite de toutes les semences. Mais quand on l’a semée, elle grandit et dépasse toutes les plantes potagères ; et elle étend de longues branches, si bien que les oiseaux du ciel peuvent faire leur nid à son ombre. » La deuxième parabole insiste sur le contraste entre ce qui est minuscule comme de la poussière quand on laisse glisser sur sa main les graines de moutardes et ce que cette graine deviendra. Mais il faut aller plus loin. Cette plante potagère aussi grande soit-elle n’est pas un arbre. Rien à voir avec l’immense cèdre magnifique du récit d’Ézéchiel quand il parle de la ramure qui « portera des rameaux, et produira du fruit, qui deviendra un cèdre magnifique. En dessous d’elle habiteront tous les passereaux et toutes sortes d’oiseaux, à l’ombre de ses branches ». La plante potagère qui elle aussi abrite les oiseaux du Ciel, n’est qu’un signe d’une réalité grandiose, sublime quand tout sera accompli. C’est au-delà du contraste entre les réalités terrestres et les réalités du ciel, l’accomplissement des réalités terrestres qui ont mûri dans l’enfouissement de notre vie intérieure et de nos bonnes actions. Le Royaume dont parle Jésus est le lien entre terre et Ciel. Semence jetée en terre, graine de moutarde semée en terre, voilà des images bien terrestres pour parler du Royaume de Dieu. Le Royaume est d’abord souterrain? Il surgit de notre vie intérieure. Il est caché certes mais pas statique. Bien au contraire, il est mouvement vers la lumière. Il est fait pour la lumière. Il est lui-même semence de lumière, lumière dans la terre! Voilà comment Sainte Thérèse de Lisieux décrit cette fécondité enfouie. “… Je comprends et je sais par expérience que le Royaume de Dieu est au-dedans de nous. » Le dedans de nous, c’est notre terre intérieure visitée par la lumière qu’est le Royaume. Thérèse précise comment la prière nous fait vivre de ce Royaume caché: « » Pour moi, la prière, c’est un élan du cœur, c’est un simple regard jeté vers le Ciel, c’est un cri de reconnaissance et d’amour au sein de l’épreuve comme au sein de la joie ; enfin c’est quelque chose de grand, de surnaturel, qui me dilate l’âme et m’unit à Jésus. » (Ms C, 25rv) D’où l’importance de la foi et de la prière! Nous croyons que ce qui se passe dans notre vie intérieure ne s’exprimera dans toute sa plénitude que quand nous verrons Dieu mais déjà maintenant, nous sommes en contact avec les oiseaux du Ciel. Le Royaume nous fait signe jusque dans notre vie intérieure la plus profonde. Il manquerait l’essentiel si nous ne cherchions pas le fondement de cette cohérente synergie, celle qui rejoint la cause première. L’amour est le véritable moteur, un amour qui nous a précédé, un amour dont nous sommes pétri, un amour dont nous sommes rendus capables dans cette véritable alchimie de notre vie intérieure, un amour vers lequel nous allons. Que cette Eucharistie nous ouvre au véritable enjeu de l’action de Dieu dans nos vies : la foi, l’espérance et l’amour.
Père Bernard-Marie Geffroy