« Ordonne que mes deux fils que voici siègent, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ton Royaume. » C’est la mère de jacques et Jean qui demande ce qu’elle estime être le meilleur pour ses fils. Et eux, que veulent-ils ? Qu’en est-il des autres apôtres, qu’est-ce qui motive leur indignation? Tous, que cherchent-ils, que veulent-ils? Être dans les meilleurs places, exercer un pouvoir? N’est-ce pas la tentation de la toute-puissance? Quelle image peuvent-ils avoir du Royaume et du chemin qui y conduit?
Jésus déclare que pour le Royaume « Il ne doit pas en être ainsi parmi vous ». Quel est ce renversement radical de perspective? Quelle est la coupe dont parle Jésus par trois fois quand il annonce sa Passion, et celle qu’ils auront à boire à sa suite. La réponse de Jacques et de Jean : « nous le pouvons » révèle une certaine inconscience, confirmé par Jésus. Ils s’imaginent pouvoir boire à la coupe que Jésus va boire. Ils affirment cela, en ne sachant pas exactement ce qu’est cette coupe et ne comptant que sur eux-mêmes et leurs propres forces. Avant qu’elle ne devienne coupe de bénédiction, elle est d’abord coupe amère qu’il faut avaler. Et quelle amertume! A Gethsémani, le Christ a d’abord repoussé cette coupe amère. L’amertume de la souffrance n’a pas de sens en soi. Dieu ne veut pas le malheur et surtout la souffrance innocente et scandaleuse. A Gethsémani, Christ est confronté au malheur de tout homme. C’est un paroxysme d’angoisse. Dans un premier temps, de toute la force de son humanité, il avait crié « que cette coupe s’éloigne de moi ! » C’est dire qu’en Jésus aucune complicité avec le mal. Dans sa nature humaine, c’est le refus absolu du mal, « Que cette coupe s’éloigne de moi » est une parole essentielle, elle signe le rejet absolu du mal de la part de Dieu. Cette parole de Jésus confirme ce qui est affirmé dans le livre de la sagesse : « Dieu n’a pas fait la mort, il ne se réjouit pas de voir mourir les êtres vivants. » (Sg, 1, 13)
Christ cherche de l’aide et veut s’appuyer sur Jacques, Jean et Pierre qui sont accablés dans cette nuit obscure. A Jean et à Jacques, Il avait dit : « Pouvez-vous boire à la coupe que je vais boire ? »Bien sûr que non ! bien sûr que c’est trop dur, au-delà de leur force! Seul le Christ, vrai Dieu-vrai homme, peut boire à cette coupe. C’est parce que le Christ accepte de boire toute l’amertume contenue dans cette coupe qu’ils pourront à sa suite boire à cette coupe. Le renversement radical qui s’opère vient de l’ultime consentement du Christ qui accepte par amour de communier au malheur et à la souffrance de l’homme. Après avoir dénoncer le mal dans sa nature humaine : « que cette coupe s’éloigne de moi ! », dans sa nature divine, Christ consent à visiter ce mal : « Non pas ma volonté mais ta volonté ». A Gethsémani, au prix d’un déchirement intérieur, Jésus ajuste sa volonté d’homme, aux prises avec le mal, avec sa volonté divine. C’est le désir de Dieu qui veut que tout homme soit sauvé. C’est le geste du Christ qui boit cette coupe amère pour en faire une coupe de béédiction.
En Jésus, Dieu visite nos ténèbres pour que la lumière vienne toucher ce qui est blessé, parfois au cœur d’une blessure profondément enfouie. Au creux de la blessure : la lumière. C’est cette lumière jetée dans les ténèbres qui œuvre, souvent dans l’anonymat de Dieu. C’est cette lumière qui explique la résilience. Quelle résilience ? Celle que décrit Mathieu Dauchez, prêtre de Manille, directeur de la fondation ANAK qui accueille les enfants des rues dans des foyers d’insertion. Il raconte dans son dernier livre la résilience des enfants de la rue, confrontés au pire « violence, criminalité, drogue, abus prostitution, indifférence, mépris ». Ces enfants traversent tout cela, non comme s’ils s’étaient résignés, ils souffrent mais ils sont vivants. Ils traversent tout cela, non comme êtres passifs, comme s’ils étaient agis par une force à laquelle ils ne collaborent pas. Mathieu Dauchez insiste : la résilience « n’est pas un pouvoir magique ou une grâce tellement surnaturelle qui relativiserait leur courage et leur souffrance. Ce qu’ils vivent est à la limite du supportable. Ils souffrent vraiment et la profondeur de la blessure de leur cœur est abyssale. Or c’est justement là que réside la beauté des réponses qu’ils donnent au mal, le caractère lumineux de leur résilience est le signe qu’ils sont rejoints au creux de leur mal par le Christ lui-même. » C’est sur la croix mais aussi sur leur croix que s’opère la victoire sur le mal. Sur la croix, jaillit le cri de Jésus: Père pardonne leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. Jésus s’adresse à son Père et lui confie ceux qui le haïssent, le méprise, se moque de lui, le frappe et l’insulte. Ces paroles signent la défaite des forces de mort. Se brisent au pied de la croix la haine, la destruction de soi et des autres. Sur la croix, sur nos croix, le cœur de Jésus ne s’est pas fermé alors qu’il est percuté par la haine. Le cœur humano-divin de Jésus continue à aimer malgré le déferlement de haine qui s’abat contre lui. Jésus nous sauve car il est comme une source d’amour que rien n’arrête. « Mon cœur est sans repos tant qu’il ne repose en toi », dit Saint Augustin. Voilà la finalité de notre vie. Dieu lui-même qui fait grandir en nous et autour de nous sa victoire. Le signe éclatant de cette victoire, c’est la résurrection. Christ s’est fait serviteur, aux antipodes des tyrans de la terre qui dominent par la terreur.
Christ serviteur révèle la vraie puissance, puissance d’amour et non de pouvoir : puissance d’amour , faite de douceur et de force, jaillissant d’un cœur habité par la puissance de l’Esprit.
Dans cette puissance qui rayonne lumière et tendresse infinies, Christ relève, remet debout par sa discrète force d’amour, de libération et de guérison.
La douce puissance de la résurrection est irrésistible. Elle s’oppose efficacement au pouvoir de la mort. La mort et la vie s’affrontèrent en un duel prodigieux (séquence de Pâques). Comment la Vie a-t-elle remporté la victoire ? Nous l’avons vu : à Gethsémani, au Golgotha. Contrairement au pouvoir qui commence toujours par gagner avant de perdre, Christ s’est dessaisi de sa vie par amour : Il n’y pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis.
Dans nos vies, la victoire sur la mort reste à accomplir. Certes en Christ, la victoire est certaine mais en nous, elle reste à accueillir et à se vivre dans le concret de nos vies, dans toute l’épaisseur du quotidien. Il nous reste à donner notre vie ou plutôt à donner la vie que le Christ ressuscité ne cesse de nous donner à chaque Eucharistie, dans les sacrements, sans oublier le quasi-sacrement du frère, surtout le frère qui me provoque à me dépasser dans l’amour.
Faites ceci en mémoire de moi ( institution de l’Eucharistie) trouve son écho dans le texte du lavement des pieds Heureux êtes si vous le faîtes. Heureux sommes-nous d’accueillir la puissance de la Résurrection dans le service de nos frères !
Bmg