Soyez joyeux, heureux, c’est Noël ! cette phrase est à prendre avec des pincettes. Surtout ne pas vivre cette invitation comme une injonction. Si je suis frappé par des événements douloureux, si je suis en dépression, si je ne vais pas bien, pourrais-je, à la force de mes poignets, arriver à être heureux ? Ce que je vis dans la partie sensible de mon être, ce sont émotions positives ou négatives.  Juste une anecdote pour illustrer cela. Un jeune toxicomane, dans une communauté de rétablissement ne va pas bien. Je séjournais dans cette communauté pour donner un coup de main. Lors d’un repas, ce jeune sort précipitamment de table et est rejoint par le responsable qui se demande ce qu’il peut lui dire. L’Esprit Saint lui souffle une parole qui sera déterminante dans le chemins de guérison de ce jeune qui s’entend dire avec une force de persuasion peu commune : « tu n’es pas que ta dépression ». Une autre anecdote qui se passe à l’hôpital psychiatrique de Saint Anne. Une dame âgée habitant le 16ème arrondissement, ayant tout pour être heureuse : un mari attentionné, des filles plein d’amour pour leur mère mais elle vit au fond d’elle une tristesse abyssale. Elle demande la communion. Je lui lis le texte de l’évangile et lui demande si elle a été touché par ce qui vient d’être lu. Sa réponse a été : « ça a coulé sur moi comme l’eau sur les plumes d’un canard. » Je lui pose alors la question : « recevoir l’Eucharistie vous a fait ni chaud ni froid ? » – En effet l’effet, c’est pas d’effet, » m’a-t-elle répondu. Je lui demande alors : « Pourquoi m’avez-vous demandé la communion. Réponse : « pas de ressenti ne veut pas dire qu’il ne se passe rien au fond de mon cœur. Je crois que Dieu y agit mais je ne le perçois pas »  Il existe en chacun d’entre une autre réalité que le ressenti. Oui ! Joie et peine peuvent vivre ensemble mais parfois à des niveaux différents. Pour le commun des mortels, joie et peine, c’est l’un ou c’est l’autre ! C’est la joie ou c’est la peine, mais pas les deux ! Autre chose : peut-on traverser l’épreuve de la souffrance, sans perdre ni la paix, ni la joie ? Comment affronter la souffrance sans que cela annule toute joie en nous ? C’est extrêmement difficile. Affronter notre propre souffrance, celle de nos proches, et rester dans la joie, mission impossible. Quand le chemin semble impossible, avec Dieu, l’impossible devient le chemin. Plus profondément que la tristesse, plus profondément que la dépression, une joie possible qui vient de Dieu mais c’est parfois de nuit. Cette joie qui vient de Dieu, est une joie solide inaliénable vécue dans la profondeur du cœur. Le Seigneur nous révèle et nous livre le secret de sa joie si pure et si sainte. La joie du Seigneur, c’est d’abord le fruit de son union au Père. Jésus veut que sa propre joie passe dans le cœur de ses disciples et qu’elle devienne leur et ce, jusque dans le malheur. Tous les textes de ce dimanche mettent en récit cette question. Le premier texte raconte l’histoire d’Abraham. « Le Seigneur estima qu’il était juste ». La « justice » au sens biblique est d’abord « justesse » ; comme un bon instrument sonne juste, Abraham est simplement « accordé » au projet de Dieu sur lui. L’homme juste est celui qui répond « Me voici » à l’appel de Dieu, sans autre préalable. « Abraham eut foi dans le Seigneur, et le Seigneur estima qu’il était juste. » Être ajusté à Dieu, c’est se laisser ajuster à son dessein d’amour. Dieu veut notre bonheur. Heureux sommes-nous quand nous sommes accordés à sa joie, à sa paix, jusque dans la peine, l’usure, la souffrance : joie, peine et fatigue intimement mêlées. Notre cœur blessé se protège. Souvent, nous ne permettons pas à l’amour de Dieu de circuler librement en nous. Nous voulons exister par nous-même, nous ne croyons pas que l’amour de Dieu peut nous emmener au-delà de nous-même.

Siméon prophétise que Marie sera blessée : « et toi, ton âme sera traversée d’un glaive, ainsi seront dévoilées les pensées qui viennent du cœur d’un grand nombre. » Marie en communion avec Jésus sera blessée de nos propres blessures. C’est ce qu’elle vit en communion avec Jésus au pied de la Croix devant l’Innocence crucifiée. Dans la mission de Marie, beaucoup de joie, mais aussi beaucoup de souffrance. Le texte de l’évangile de ce dimanche dit une joie sensible, celle provoquée par l’Esprit Saint. Tout respire la joie, celle que l’Esprit livre dans le cœur de chacun des personnes du récit évangélique. Cela dans la deuxième partie du texte. Dans la première partie du récit décrit un passage, celui de l’ancien au nouveau Testament, de la loi au règne de l’Esprit Saint en notre monde. Les rites de l’Ancienne Alliance effectués par Marie et Joseph relèvent de la foi d’Israël.

Dans la rencontre avec deux prophètes, Anne et Siméon invités à une ronde liturgique dont l’Esprit Saint est le maître d’œuvre, nous sommes déjà dans la Nouvelle Alliance.

En conformité avec les rites de l’Ancienne Alliance, Marie et Joseph viennent sacrifier au temple un couple de tourterelles ou deux petites colombes. Quel est le sens de ce sacrifice ? Double signification : Autrefois, avant la réforme du temple, le premier né, dans chaque famille devait assurer le service liturgique. Après la réforme, sont alors institués les fils de Levi pour ce service. Le rituel sacrificiel imposé pour chaque premier-né rappelle cette obligation de service en maintenant ainsi symboliquement le lien au temple. D’autre part, ce n’est pas sans faire référence au fait que Dieu a préservé les premiers nés des Hébreux contrairement aux premiers nés des Égyptiens qui étaient innocents du mal qui s’était abattu sur eux. C’est comme une sorte de réparation. L’autre signification de ce rite, c’est pour la maman qui vient de mettre au monde son enfant. Elle doit se purifier par ce sacrifice. En fait assainir ce qui a été troublé par la souffrance de l’accouchement. Cela pose des questions : Sacrifier dans l’Ancien Testament, est-ce pour Dieu qui n’a pas besoin qu’on lui offre des animaux, Lui qui a tout créé ? Alors, pourquoi un sacrifice, c’est pour celui qui sacrifie, pour qu’il puisse accorder son cœur à celui de Dieu, en posant un acte symbolique. Joseph et Marie ont-ils besoin de cela, eux qui sont en accord parfait avec le dessein d’amour du Père ? Marie, la toute pure a-t-elle besoin de se purifier ?

Luc insiste sur l’importance de la Loi qui, en Israël, est loin d’être juste une série de préceptes à suivre. La Loi en Israël est toute la foi d’Israël qui a cru aux promesses du Seigneur malgré toutes ses épreuves, toutes ses infidélités, le mal subi, le mal commis. Le rituel que font Marie et Joseph au temple décrit et les prophéties de Siméon et d’Anne signe le passage de l’ancien au nouveau Testament mais y est également signifié que ce n’est pas une rupture mais un accomplissement. Joseph et Marie participent à ce rituel et nous n’y voyons, non pas un abandon de la foi d’Israël mais passage pour laisser l’Esprit Saint à l’œuvre : œuvre plénière de réparation et de purification. Ne restons pas dans l’ancien Testament, entrons de plein pied dans le nouveau, c’est-à-dire dans la mouvance de l’Esprit Saint.

La deuxième partie du texte d’Évangile de ce dimanche, se centre sur l’action de l’Esprit Saint. C’est Lui qui prépare Siméon à participer au temple pour une nouvelle liturgie, celle où l’enfant est au centre de sa joie, de son action de grâce. C’est encore l’Esprit Saint qui attire la prophétesse Anne à y être activement participante avec Marie et Joseph autour de l’enfant. Nous sommes dans la quintessence de la liturgie, dans le temple, la maison du Père, autour du Verbe incarné en Jésus et dans ce tourbillon de l’Esprit Saint à l’œuvre. Ce qui accompagne cette liturgie, c’est la joie de l’Esprit saint livrée dans le cœur de chacun. Siméon est en extase. Anne prophétise et est portée par la joie qu’elle transmet à tous ceux qu’elle rencontre. On peut parler de la sobre ivresse de l’Esprit Saint. C’est dire qu’en christianisme, la joie est centrale.

La joie est très présente mais pas sans l’ombre du mal qui semble vouloir la contredire.

Le drame de la souffrance innocente est caché dans cette célébration au temple. Rappelons-nous des paroles de Siméon. « et toi, ton âme sera traversée d’un glaive – : ainsi seront dévoilées les pensées qui viennent du cœur d’un grand nombre. »

Il nous faut accepter de voir nos contradictions qui font obstacles à la joie que Dieu veut livrer dans notre cœur. La Parole de Dieu vient toucher nos propres résistances à l’amour de Dieu. Prendre conscience de ce qui nous divise intérieurement peut provoquer des pleurs. Mais il y a aussi la joie, la joie de la rencontre.

Et c’est à cette joie que cette liturgie du temple nous invite,

La joie que livre l’Esprit Saint dans notre cœur, nous donne l’audace du repentir. L’Eucharistie est le lieu de cette métanoia, véritable libération et guérison du cœur.

Viens Esprit Saint, viens en nos cœurs, purifie et transforme.

 

Bmg