Le récit de Job est un conte théologique qui traite d’un thème fondamental, la question de la rétribution. La thèse du livre de Job démonte un vieux mécanisme qui affirme que le bonheur est une récompense pour les actes bons, le malheur pour les actes mauvais. «Faites-le bien et vous serez heureux, faites le mal et vous serez malheureux ». Ce n’est pas si simple et en tout cas ce n’est jamais systématique. Pour traiter ce thème, le livre de Job invente un personnage qui est heureux, sage et sans péché́. Brusquement, sa vie s’effondre. Sa vie pleine et heureuse devient un vrai désastre. Dans le malheur, Job va questionner Dieu voire l’invectiver. Peut-on demander à Dieu de rendre des comptes ? Quand on est accablé, il arrive qu’on puisse lever le poing vers le Ciel en accusant celui qui peut recevoir toutes nos accusations, à savoir Dieu. Cela va durer des chapitres et des chapitres. Ce n’est qu’au chapitre 38 que Dieu va répondre à Job. Il va inviter Job à contempler la grandeur de la Création. Retour donc à la Genèse. Dans le texte de la Genèse, l’idée de séparation est fondamental pour sortir de la confusion. Pour en parler, la bible utilise le mot tohu-bohu. A l’origine était le tohu-bohu, la confusion, l’indifférenciation. Toute vie s’origine dans des séparations. Ainsi dans le récit de la création, Dieu sépare la lumière et les ténèbres, les eaux d’en haut et les eaux d’en bas, la terre et les mers, dans un processus symbolique de différenciation. (Cf Gn 1, 3 sq.). Le texte de ce dimanche, montre le Créateur imposant des limites à la mer. C’est ce que Dieu fait pour Job. Il met des limites à cette immense détresse qui jaillit du cœur brisé de Job, en lui faisant prendre conscience de sa condition de créature . «Qui es-tu Job pour m’interpeller de la sorte? Est-ce toi qui as créé les étoiles et les merveilles que nous pouvons contempler sur cette terre ? » Job convient alors qu’il est créature, en face de son Créateur. Dieu invite Job à la contemplation, c’est-à-dire à la faculté de l’étonnement et de l’admiration face à la beauté. Il lui faut contempler Dieu à travers la création, comprendre qu’Il est le Transcendant qui nous attire vers le haut, nous simples créatures, invitées à nous sortir de notre moi blessé, pour, humblement, nous ouvrir à la Transcendance. La deuxième réponse à Job ne tardera pas. Nous y avons accès à travers une fondamentale prise de conscience chez Job. «J’avais ouï dire de Toi, mais maintenant mes yeux t’ont vu». Le Transcendant se fait proche. Dieu lui a répondu dans l’intime de l’intime de son cœur. Job accueille cette réponse et il est rétabli dans sa dignité, ses biens et l’intégrité de sa personne. Le travail de deuil, la traversée de la souffrance que Job a fait, l’a mis dans une plus grande sagesse, une meilleure compréhension de l’homme, en lien avec son Créateur. La réponse de Dieu à la question de la souffrance innocente, c’est l’intimité avec Lui.
Dans le récit évangélique de ce dimanche , Jésus en imposant le silence à la tempête va révéler sa nature divine. Il est le transcendant. C’est pourquoi, on peut dire que ce récit est à la fois historique et apocalyptique. Historique car les apôtres racontent ce qu’ils ont vécu. Mais pourquoi dire qu’il est apocalyptique ? L’apocalypse, un mot qui fait peur. Pourtant, c’est comme l’étymologie de ce mot l’indique, un dévoilement, une révélation, un cadeau de Dieu.L’apocalypse décrit l’histoire du point de vue de l’Éternité de Dieu, de son dessein d’amour bienveillant pour l’humanité. Pour Marc il s’agit surtout de l’Apocalypse de l’Église.Ce qui caractérise son récit, c’est que l’Église y est très présente dans une vision apocalyptique de ce qu’elle est profondément.« Survient une violente tempête. Les vagues se jetaient sur la barque, si bien que déjà elle se remplissait. Lui dormait sur le coussin à l’arrière. » Donc, vision apocalyptique de la barque de l’Église qui navigue à travers les eaux de l’océan qu’est le monde. Les vagues qui se soulèvent contre cette barque sont les persécutions que subit l’Église, et ces vagues sont provoquées par un vent qui leur est hostile, qui leur est contraire. La barque de Pierre, l’Église, subit de tous temps des vents contraires. Faisons mémoire de son histoire : c’est vrai, dès les temps des persécutions romaines. Et puis l’empire à peine converti, voici les invasions barbares ! Puis le Grand Schisme, la Réforme, la Révolution française, la Révolution bolchévique, les guerres mondiales, l’indifférence et le déni de Dieu dans notre monde occidental… Les apôtres sont paniqués. Ils réveillent Jésus qui dort dans la barque : « Les disciples le réveillent et lui disent: « Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien ? » Il se peut que Jésus dans le récit semble dormir. Comment dormir dans une telle tempête ? Il s’agit bien là aussi d’un élément apocalyptique dans un récit historique. Un message est donné. N’ayez pas peur s’il vous semble que je dors, je suis avec vous dans la barque de l’Église jusqu’en la fin des temps. « Réveillé, il menaça le vent et dit à la mer : « Silence, tais-toi ! » Le vent tomba, et il se fit un grand calme. » Le vent dont il est question ici, ce n’est pas simplement du vent, nous sommes de nouveau dans l’apocalypse. Le terme de vent se dit en hébreu comme en araméen, par le même mot qui est utilisé pour dire “esprit”, « souffle ». Voyez l’image apocalyptique. L’esprit du mal s’archarne contre la barque des apôtres et prophétiquement, Satan soulève les vagues du monde contre l’Église, à l’intérieur comme à l’extérieur. Ce que Marc veut nous montrer, c’est qu’il n’y a pas seulement une manifestation divine, une épiphanie divine du Christ Sauveur, mais il y a aussi une manifestation de Satan, une apocalypse de Satan, Satan qui, apocalyptiquement, en soulevant les forces humaines contre l’Église, veut se révéler lui aussi, et veut, en faisant peur de cette manière-là, détourner de la foi. Et bien les disciples y ont cédé. « Hommes de peu de foi ! » Jésus leur dit : « Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? » Saisis d’une grande crainte, ils se disaient entre eux : « Qui est-il donc, celui-ci, pour que même le vent et la mer lui obéissent ? »
Lorsqu’on lui demande s’il croit en Dieu, Einstein répond : « Je crois au Dieu de Spinoza, qui se révèle dans l’harmonie de tout ce qui existe mais non en un Dieu qui se préoccuperait du destin et des actes des êtres humains. L’idée est qu’il n’existe pas un dieu personnel anthropomorphe qui peut punir et récompenser mais que dieu est partout et nulle part à la fois. Il n’intervient pas dans la sphère des hommes. » Que manque-t-il à Albert Einstein pour qu’il croit en un Dieu qui aime, sinon cette expérience d’intimité avec Lui ? L’harmonie de tout ce qui existe est souvent percutée, fracassée par les forces de mort qui se déchaînent sur l’humanité. Einstein a été confronté à deux guerres. Comment peut-il voir, dans le chaos de la violence humaine, l’harmonie qu’il contemple dans l’univers ? « Quand je contemple l’ordre qui préside aux lois de l’univers, j’éprouve comme un sentiment religieux » ( citation de mémoire). La shoah a mis à mal l’idée d’un Dieu qui se penche sur la souffrance humaine. Se peut-il qu’Albert Einstein n’entende pas la réponse, au plus profond de son cœur à cause du scandale du mal ? Dieu ne nous rencontre pas uniquement dans l’harmonie. Il est engagé dans le désordre du monde. La réponse est dans la barque de l’humanité, dans l’Eglise, au sens large du terme, pas seulement l’Eglise des sacrements. L’Eglise mystique du Christ est le lieu où Christ continue à mettre en lien la souffrance du monde et l’amour qui se révèle sur la croix. Elie Wiesel raconte ce qui s’est passé dans un camp nazi. Trois hommes et un jeune garçon sont condamnés à mourir au bout d’une corde. On oblige tous les prisonniers à assiter à la scène. L’enfant tarde à mourir. Un prisonnier ne peut s’empêcher de dire tout haut : « Dieu où est-il ? » Une réponse d’un autre prisonnier lui est donnée. « Il est dans cet enfant qui se débat au bout de sa corde. » Demandons au Seigneur qu’Il grave cette réponse dans notre cœur. Même si nous mourrions de la barbarie, l’amour de Dieu sur la Croix a vaincu la mort. C’est ce que nous célébrons dans chaque Eucharistie. Il a vaincu la mort, en assumant la violence innocente. En l’Eucharistie et en nos vies, nous ressucitons avec lui tous les jours et en plénitude quand nous le verrons face à face.
Bmg