La scène se passe le premier jour de la fête des pains sans levain, c’est la Pâque juive, jour où l’on immole l’agneau pascal. Dans la religion juive, Pâques commémore, pendant 8 jours, la libération du peuple d’Israël et la traversée de la mer Rouge. Ce n’est pas un hasard que Jésus institue l’Eucharistie le jour où le peuple juif fête la libération de l’esclavage en Égypte. Pour commémorer l’exode et célébrer la Pâque, les juifs ont coutume de sacrifier un agneau. Avant la traversée de la mer Rouge, Dieu a ordonné à Moïse de sacrifier un agneau par famille et de répandre le sang de l’agneau sur les portes des maisons avec une branche d’hysope afin que l’Ange de la Mort épargne les premiers nés des Hébreux.

Pour les chrétiens, la fête de Pâques célèbre la résurrection de Jésus et l’agneau pascal y symbolise le Christ. Jésus est identifié à l’agneau sacrificiel de la tradition juive car il est une victime innocente sacrifiée pour racheter les péchés des hommes. Libération et sacrifice ces deux mots résonnent à la fois dans la liturgie juive et chrétienne.

J’ai un parrain sculpteur. Sa fille est écrivain, baptisée mais non catéchisée. Elle a été bouleversée. Son père a failli mourir d’un grave cancer. Il en est sorti grandi. J’ai été surpris moi-même. Il a grandi en sagesse, lui le soi-disant mécréant. C’est comme si l’échéance de la mort le faisait aller à l’essentiel. J’ai reçu de sa part toutes les photos des sculptures religieuses qu’il a faites. Mécréant ? Oui ! mais dans le sens étymologique de « mal-croyant ». Qui peut dire qu’il est bien-croyant ? Sa fille a décidé de chercher et a l’audace d’affronter la question du sens de la vie. Elle m’a appelé pour une question théologique. Elle me demande ce que veut dire cette phrase entendue dans le film Ben-Hur : Christ est mort pour nous racheter de nos péchés ? Les mots « racheter », « rançon » peuvent être pris à contre-sens. Nous, les trinitaires, avons rachetés des captifs emprisonnés dans les geôles d’Afrique du Nord. Oui avec de l’argent. Nous avons payé la rançon aux ravisseurs. A qui le Christ a-t-il payé la rançon ? Au Père pour apaiser son courroux comme nous le chantions autrefois dans le cantique de Noël « minuit chrétien » ? C’est un contre-sens car on se trompe sur la nature de Dieu. Dieu est perfection d’Amour entre le Père, le Fils et le Saint Esprit. C’est cet Amour qui épouse notre humanité et ce, jusqu’en nos blessures. Croire à l’amour libérateur ou rédempteur de Dieu, c’est comprendre que nous sommes profondément aimés par Dieu lui-même. Racheter, c’est aimer, donner sa vie pour ceux qu’on aime, aimer d’un amour inconditionnel, immérité. C’est ce que j’ai dit à la fille de mon parrain.

Moïse prit le sang, en aspergea le peuple, et dit : « Voici le sang de l’Alliance que, sur la base de toutes ces paroles, le Seigneur a conclu avec vous. » C’est le récit de l’Exode. « Prenez, ceci est mon corps. Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude. » C’est le récit de l’institution. A la fois dans l’ancien Testament et le nouveau Testament,  « sang » et « alliance » tiennent une place essentielle. Pourquoi ? Le sang est perçu comme le flux vital qui nourrit et anime le corps de l’homme. Il est plus que cela, il est le symbole du souffle de vie, de l’âme. L’expression « Sang versé » exprime la violence du sacrifice du Christ. C’est vrai qu’à une époque récente, nous avions exagérément insisté sur le sacrifice de la messe, en tant que sacrifice sanglant, oubliant que c’est le Christ ressuscité qui agit dans l’Eucharistie, s’offrant et nous offrant au Père. Bien sûr, le Christ par son sang versé scelle l’Alliance nouvelle. Sang de Jésus et Alliance doivent s’éclairer mutuellement. Le sang de Jésus livré dans l’Eucharistie devient alors symbole de vie, de communauté de vie, de communion de destin et de vie spirituelle et ce jusque que dans ce qui est blessé, troublé en nous, entre nous.

Manducation spirituelle, à prendre comme réalité de l’amour de Dieu qui se donne à manger et qui se donne à boire.

Faut-il pour autant éliminer la notion de sacrifice sanglant du Christ. Certes non ! La mort a été librement consentie par le Christ, elle a été sanglante. Pourquoi fallait-il que Christ passe par là ? Rien à voir avec le dolorisme et ses relents de jansénisme. La souffrance, et en particulier la souffrance innocente est révoltante, écœurante. Rappelons-nous la phrase de Jésus à Gethsémani : « que cette coupe s’éloigne de moi ». Il déclare ainsi absurde la souffrance. Alors pourquoi Christ finit par accepter de s’y engager ? « Non pas ma volonté mais ta volonté. » C’est pour nous, pour la multitude que Christ s’engage librement dans le combat de l’amour contre la haine, de la vie plus forte que la mort pour donner à la souffrance un sens et susciter notre adhésion. Au creux de la souffrance, nous pouvons dire oui à Dieu, consentir, non en justifiant la souffrance, mais plutôt consentir à ce que le Christ par sa propre souffrance en fasse un lieu de rencontre et d’intimité avec Lui. Consentir non à la souffrance mais à l’amour de Dieu et ce jusque dans notre souffrance. Que pouvons-nous donner à Dieu sinon notre consentement à l’Alliance? Alliance, ce mot exige bien une réciprocité de don. La seule chose que nous pouvons Lui donner, le seul mérite qui est à notre portée, c’est dire oui à l’amour de Dieu en engageant toute notre liberté. Pourtant, nous savons bien que nous ne donnons rien. C’est Dieu qui donne tout, y compris son amour pour Lui. Alors qu’avons-nous donc à donner ? Ce que nous avons de plus précieux sur cette terre : notre liberté ! La vie au Ciel aura quelque chose d’inéluctable et d’irrésistible. Nous serons emportés comme un fétu de paille sur l’océan. Là sera l’évidence de l’amour, un fleuve bouillonnant d’amour.

Chacun de nous prendra conscience que nous n’avons fait que recevoir, que nous n’avons jamais rien donné, hormis notre consentement.

Sur terre, nous pouvons donner. Dire oui à Dieu alors que nous pourrions lui dire non, voilà ce que nous pouvons donner et ce jusque dans nos épreuves, notre liberté imparfaite, notre péché. Si nous subissons des épreuves en ce monde, si notre oui à Dieu nous vaut des combats, c’est pour que Dieu au Ciel puisse nous dire « Tu m’as donné quelque chose. Je donne mais toi aussi tu donnes, nous donnons l’un à l’autre. Je me donne pour te remercier pour m’avoir donné quelque chose que tu aurais pu refuser. Maintenant tu ne peux plus rien me donner, mais ce que tu m’as une fois donné a valeur d’éternité ! » L’Eucharistie est le lieu privilégié où nous disons oui à Dieu.

C’est pourquoi le Concile affirme que « l’Eucharistie est la source et le sommet de la vie chrétienne ».

Avons-nous suffisamment soif pour venir boire à la source ? Faisons-nous de l’Eucharistie du dimanche le sommet de notre vie ? L’Assemblée du dimanche est-elle pour nous la rencontre à laquelle nous ne pouvons renoncer ?

L’Eucharistie, mystère de la rencontre ! Qui rencontrons-nous ? Rayonne-t-il de cette rencontre une « onde de charité » qui se diffuse dans toute notre vie ?

bmg